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Paris. Théâtre du Châtelet. Concert spécial au bénéfice exclusif d’« Ensemble Contre le Sida ». Samedi 1er Décembre 2001. Martha Argerich, piano – Myung-Whun Chung, direction. Orchestre Philharmonique de Radio France. Gabriel Fauré : Pelléas et Mélisande, opus 80 : Prélude. Robert Schumann : Concerto pour piano en la mineur, opus 54. Franz Schubert : Symphonie n° 8 « Inachevée », D 759.

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L'enfer est pavé de bonnes intentions ; et les meilleures causes, on le sait, ne font pas forcément les plus grands événements. C'est donc avec prudence, malgré le renom des interprètes, que l'on se rend à cette magnifique démonstration caritative, à l'occasion de la journée mondiale contre le sida. A guichets fermés, et devant un parterre huppé, Pierre Bergé, président de l'association bénéficiaire, rappelle le bien-fondé et l'urgence de l'initiative ; ce que tout un chacun encourage évidemment.

Le programme est à la fois commun et étrange. En effet, le Pelléas et Mélisande de Fauré en ouverture est trop rare pour qu'on ne songe pas à la splendeur qu'eût constitué un concert symphonique de musique française de cette époque : la Symphonie en si bémol de Chausson, par exemple ; et entre les deux, un beau Concerto de Saint-Saëns pour mettre en valeur …Hélas, même avec la caution d'un Chung, de telles affiches épouvanteraient le public de France, surtout lors d'une soirée de prestige ! On se contentera donc d'œuvres rebattues, quoiqu'évidemment magnifiques : le Concerto de Schumann et l'Inachevée de Schubert. Il est tout de même des choix plus malheureux.

jouit d'une immense popularité à Paris, pour des raisons affectives évidentes. N'étant pas de ses inconditionnels – il s'en faut -, c'est avec d'autant plus de plaisir qu'on aura été capté d'emblée par un prélude de Pelléas hypnotique. Cette musique de scène de 1898, la première écrite pour ce sujet, et en partie orchestrée par Charles Koechlin, disciple de Fauré, n'a pas pour seul apanage sa grande beauté quasi « deliusienne ». Elle exige, entre autres, une transparence et une souplesse de cordes digne des plus grandes phalanges. D'une arachnéenne délicatesse, le Coréen prouve avec humilité que le Philharmonique de Radio-France est, avec lui, en train d'en devenir une.

L'oreille tout appâtée se félicite pour le coup de l'entremets schumanien proposé, dont l'écriture orchestrale n'est pas des plus pauvres, quoi qu'on ait écrit ici ou là. Surtout à l'arrivée de , naturellement fêtée. Devenue rarissime – on la sait malade -, chacune de ses apparitions fait figure d'aubaine, encore que l'on craigne légitimement pour la qualité de son jeu. L'Argentine se déplace d'ailleurs avec une démarche hésitante qui suscite l'émotion. Sans être outrageant, il n'est pas inutile de rappeler que son premier disque chez DGG remonte à… 1961. Et un quart de siècle, déjà, nous sépare de sa divine Fantaisie opus 17 du même Schumann (EMI) !

Il ne lui faut pas plus de trois secondes après s'être assise pour attaquer, avec l'énergie léonine qui a fait sa réputation (et son surnom), les vigoureux accords initiaux du chef d'œuvre. On a d'ores et déjà compris que la force motorique et la verve inextinguible du poignet sont intactes. La réplique de l'orchestre est miraculeuse : Chung a conféré à ses bois, si sollicités dans le cours du Concerto, une tendresse et un moelleux incomparables ; qui en fait l'un des rares à donner la sensation d'avoir bien lu le nom du mouvement, « Allegro affetuoso » ! Son sens fabuleux de la durée – outre la beauté plastique du son – secondée par une Argerich diamantaire du clavier (infinie variété des nuances, toucher véhément conforme à sa légende, fusion avec l'orchestre) ourle d'or cette page, que tant de gravures inutiles ont réussi à rendre mièvre.

En particulier, l'Andantino grazioso échappe à la niaiserie ennuyeuse dont certains l'ont affublé, grâce à un jeu des deux comparses aussi crémeux que non fade (la réponse des violoncelles à l'exposé du piano !). L'Allegro vivace auquel il est attaché tourne à la démonstration. La très haute virtuosité de la pianiste, la beauté de sa pâte sonore ne se départissent jamais de la modestie nécessaire à qui veut servir une musique certes concertante, mais à l'orchestre exigeant – même si l'on n'est pas encore chez Brahms… Quant à Chung, il rend à chaque épisode de cette sorte de Rondo, avec un lyrisme à chavirer de bonheur, une couleur particulière et prégnante. Du très grand art, qui vaut son ovation et son petit bis confraternel à quatre mains (Ma mère l'Oye).

Est-ce pour marquer le départ de Martha Argerich – en principe prévue de nouveau à Paris le 9 Janvier , mais devant interrompre prochainement ses concerts – que le chef, sans le moindre entracte il faut le souligner, se lance dans une Symphonie Inachevée à la manière d'une intense déploration ? Supplique quasi funèbre dès la première mesure (avec des basses d'outre-tombe)… Un respect envoûtant de l'indication moderato, une beauté de cuivres dignes du Commandeur ; une reprise aux antipodes de la redite : en comparaison de quoi, la version Carlos Kleiber (DGG), pourtant référentielle, n'est qu'une aimable bluette. L'Andante con moto prolonge le malaise, par sa capacité à surenchérir (ce qui n'est guère évident !) sur l'étirement macabre du premier mouvement, avec des tutti pathétiques, cinglants comme des lacérations ; et des bois… à faire pleurer les pierres.

Voyage au bout de la nuit follement et justement acclamé, auquel donne en bis, et comme pour s'excuser de tant de déréliction, un exutoire flamboyant : la première Danse Hongroise de Brahms, chaloupée et « swingante », toute en rubato, mettant en valeur l'incroyable précision des cordes du Philharmonique de Radio-France sous son autorité. Et renvoyant pour le coup un Abbado sur le banc des écoliers ! Pour une soirée placée sous le signe de la solidarité, aucun souvenir ne pourra paraître plus touchant, que l'accolade donnée par une pianiste au soir d'une carrière déjà mythique, à un chef aujourd'hui – semble-t-il – à son apogée. Ensemble contre le sida, Paris valait bien cette kermesse.

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