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Norma Intérieur Nuit à Angers Nantes Opéra

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Angers. Grand Théâtre, 07.XII.2003. Vincenzo Bellini (1801-1835) : Norma (1831). Hasmik Papian, Brandon Jovanovitch, Daniel Borowski, Maria Soulis, Isabelle Henriquez, Alfredo Pœsina. Chœurs d’Angers Nantes Opéra, direction : Xavier Ribes. Orchestre National des Pays de la Loire, direction : Alessio Vlad. Mise en scène : Jean-Jacques Cubaynes.

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Norma est un drame de l'obscurité, qui tout entier s'articule autour du début de l'Acte II. Scène magnifiquement nocturne, au cours de laquelle l'héroïne s'apprête à tuer ses enfants endormis : réminiscence de Médée bien sûr, d'une pureté et d'une dureté tout helléniques.

casta_diva-300x472La scénographie choisie par pour le Grand Théâtre d'Angers restitue pleinement cette épure crépusculaire : des lignes verticales ou obliques, un mégalithe évoquant Stonehenge, pas d'accessoire superflu. La lumière lunaire, durant le « Casta Diva », ne fait timidement irruption que par un quartz énigmatique aux allures de stalactite.

Tout cela est captivant, et fort beau. La forêt demeurant dans le domaine de l'imaginaire, tout se déroule en huis clos, enseveli en quelque sorte depuis le lever de rideau. Jusqu'à cette montée au bûcher, cette « mort d'amour » qui rapproche Norma de Tristan, autre tragédie de la nuit. Créé en 1831 par Giuditta Pasta (avec un succès mitigé), le chef d'œuvre de Bellini n'a jamais quitté le répertoire ; au point que le personnage principal en a été surnommé le « rôle des rôles ». Lili Lehmann pour sa part l'estimait « plus ardu à chanter que les trois Brünnhilde réunies ». La seconda donna, Adalgisa, y est une protagoniste d'autant plus capitale, que ses deux duos en miroir avec Norma constituent un socle dramatique et musical rarement égalé. Si les deux hommes n'ont aucune épaisseur psychologique, ils disposent de pages particulièrement heureuses ; surtout Oroveso, le père de la prêtresse.

Redressons ici deux préjugés toujours tenaces aujourd'hui. Si le créateur de ce rôle, malade, avait des moyens limités — ce qui amena Bellini à solliciter le moins possible la coloratura en force —, voyons-y plutôt une chance. Le résultat est d'autant plus réussi : voué tout entier à la ligne et à l'harmonie, le compositeur lui offre, par la Cavatine avec chœur du deuxième acte, l'un des plus beaux moments de l'opéra. Et puis, on lit encore que l'orchestre bellinien n'a qu'une fonction d'accompagnement. C'est encore moins vrai ici qu'ailleurs ! L'instrumentation, fort riche, fait largement appel par exemple à la nostalgique tendresse des clarinettes. Teinte forestière, obituaire même, que ne contredisent pas les interventions des cors et des violoncelles.

Attention toutefois : l'écriture symphonique de Bellini est un piège mortel. Si la narration, la scansion de Norma sont très proches du grand style classique façon Gluck, le développement musical en est d'une extrême plasticité ; souvent nanti d'une mélodie continue « en herbe », ce que Wagner entre autres choses reconnaîtra. Au chef donc de manier comme jamais le rubato, de laisser respirer les grandes phrases tout en ourlant leurs contours, de souligner leur ponctuation en se gardant de toute lecture littérale. Le simple respect métronomique y accuse le martèlement de maints passages belliqueux ; et y gomme la langueur toute mozartienne des complaintes.

La direction d'Alessio Vlad fraye par trop souvent avec ces travers. La magnifique ouverture manque d'allant, le « Casta Diva » d'introspection. Le duo Pollione-Adalgisa pétarade plus que de raison, et les deux femmes font du surplace au cours de « Mira, o Norma ». Enfin, l'immense tableau final est plus bruyant que solennel. Reconnaissons que si le maestro fait bien ressortir les fréquents élans religieux de la partition, il l'emmène un peu trop alors vers l'oratorio, au détriment du théâtre.

Face à lui, la personnalité d' s'avère forte, extrêmement forte. L'autorité native, qui va jusqu'à l'imprécation, est stupéfiante dans une présence scénique toute de dignité. Et il en faut, de la dignité, pour sauver l'invocation à la Lune d'une posture et d'une vêture contestables ! La vocalisation n'est pas l'apanage de l'Arménienne ; on lui sait gré de ne pas doubler la redoutable cabaletta « Ah bello, a me ritorna », dont elle se tire non sans péril, avec probité. En revanche, à mesure que progresse l'Acte II, sa composition plutôt univoque de femme outragée répond à une tendance très nette à tout chanter forte… à la limite de la justesse. Le volume est impressionnant : Papian doit apprendre que pour Norma davantage que pour une autre, c'est dès le début qu'il doit être dosé, et que s'y prépare déjà l'immolation finale.

À ses côtés, une autre généreuse personnalité, Brandon Jovanovitch. Enfin, un Pollione pourvu de deux grands atouts : séduction et abattage. Ce dernier mérite possède toutefois ses dangers ; le jeune homme a dès la fin de son air d'entrée tendance à confondre belcantisme et vérisme, avec des aigus dardés qui ne sont pas du goût le plus sûr. Pourtant, il dispose de beaucoup d'agilité, d'un timbre cuivré absolument splendide et — surtout — d'un avantage idéal pour son personnage : il est baryténor. L'écriture, qui regarde nettement vers le Licinius de La Vestale (Spontini, 1807), exige une large assise dans le grave que l'Américain prodigue sans compter, sans pour autant se montrer chiche de haut medium. Débutant dans le rôle, il est en outre le seul à chanter admirablement la dernière scène, compromise par des altérations insolites d', et une extinction totale de Daniel Borovsky.

Cette très jeune basse polonaise arbore un assez joli palmarès allant de Daland à Banquo, de Sarastro à Basilio, en passant par Oroveso. Sa projection est remarquable, et son charisme sans faille le destine sans problème à Padre Guardiano (La Force du Destin). Disons-le, on aimerait — justement — ressentir sinon une blessure, du moins une contrariété sous-jacente dans son air du II, déclamé recto tono et sans la moindre inflexion. À cela s'ajoute une gutturalité fort peu italianisante, et comme on a dit une neutralité décourageante au terme de la pièce — ce qui ne le dissocie même plus des choristes. Reconnaissons à sa décharge que son accoutrement grossier n'est pas pour le mettre à son aise. De Maria Soulis (Adalgisa), on apprécie une « voix filée » (messa di voce) somme toute très réussie au début de son unique arioso (Acte I).

Les chœurs d'Angers Nantes Opéra sont — spécialement pour les hommes — entièrement à la hauteur de leur tâche. L'opéra de Bellini les sollicite beaucoup : sachons remercier de leur avoir insufflé ce statut de protagoniste collectif, extraordinairement vivant, jamais caricatural ; qui une fois de plus regarde du côté de… Gluck. Très à l'ouvrage aussi, les vents (en particulier cuivres) de l'Orchestre des Pays de la Loire n'ont pas à rougir de la comparaison avec des phalanges plus illustres ; même si les cors auraient gagné à se faire moins stentors.

On a évoqué au début les points forts de la mise en scène : décors, lumières, idées. La direction d'acteurs proprement dite ? Beaucoup moins satisfaisante. Le statisme bras ballants, face au public, devient vite pénible ; et ce n'est pas parce que l'œuvre se déroule au temps des menhirs que les chanteurs doivent leur être assimilés ! Mais le principal handicap de cette bonne Norma demeure dans des costumes et maquillages indéfendables… Ce n'est pas rédhibitoire, malgré tout : Angers et Nantes se dotent d'une production solide, à défaut de mémorable. En outre, deux voix au moins sont robustes et bien démarquées au sein d'un convaincant travail d'équipe. Si quelques éléments ne sont pas un régal pour les yeux, il n'est que de les oublier en plissant ces derniers — ce à quoi se prête naturellement l'intérieur nuit.

Crédit photographique : © Vincent Jacques (pour Angers Nantes Opéra)

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Angers. Grand Théâtre, 07.XII.2003. Vincenzo Bellini (1801-1835) : Norma (1831). Hasmik Papian, Brandon Jovanovitch, Daniel Borowski, Maria Soulis, Isabelle Henriquez, Alfredo Pœsina. Chœurs d’Angers Nantes Opéra, direction : Xavier Ribes. Orchestre National des Pays de la Loire, direction : Alessio Vlad. Mise en scène : Jean-Jacques Cubaynes.

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