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Aux Jardins Musicaux : rendez-vous, vous êtes (à) Cernier !

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Cernier.26-VIII-2004. Une production de l’Opéra Décentralisé Neuchâtel. Mauricio Kagel (*1931) , Dix marches pour rater la victoire, pour orateur politique, fanfare et haut-parleur, (1979). Kurt Weill (1900-1950) – Bertolt Brecht (1898-1956)Das Berliner Requiem (1928). Grand choral d’actions de grâces, Sostenuto. Ballade de la jeune fille noyée, Lento. Epitaphe, Andante moderato. Premier poème du Soldat Inconnu sous l’Arc de Triomphe, Moderato assai. Deuxième poème du Soldat Inconnu sous l’Arc de Triomphe, Rezitativ. Direction musicale: Valentin Reymond. Mise en scène: Michel Kullmann. Scénographie et costumes: Jean-Claude Maret Eclairages: Jean-Philippe Roy. Son: Jean Faravel. Le Tribun: André Marcon. Ténor: Paul Kirby. Baryton: Armand Arapian. Basse: Grzegorz Rózycki. Big Band du Conservatoire de La Chaux-de-Fonds. Construction du décor: Ateliers de l’Orme. Peinture: Terence Prout. Réalisation des costumes: Nathalie Matriciani. Anton Bruckner (1824-1896). Symphonie N° 7 (1881-83). Version pour orchestre de chambre de Hanns Eisler et Karl Rankl (1923). Orchestre de l’Opéra Décentralisé Neuchâtel. Solistes: Rick Friedman, violon solo. Clive Hughes, violon. Sarah Smale, alto. Clare Spencer-Smith, violoncelle. Laura Campbell, contrebasse. Michel Westphal, clarinette. Gregory Cass, cor. Jonathan Higgins, piano. Marc Pantillon, harmonium. Direction: Valentin Reymond.

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En s'installant dans la grange — une véritable grange ! —, le public se découvre cerné par des gardes du corps — épaules carrées sous le costume-cravate, lunettes noires et oreillettes — trois figurants à l'évidence, ouf. Mais il est moins évident de soupçonner que sous ces lunettes noires se cachent les trois chanteurs qui soixante-quinze minutes plus tard lanceront leurs voix superbes, alourdies des mots terribles de Brecht, soutenues par la musique de Kurt Weill. Mais seulement après avoir salué ces personnages admirables, au talent de chanteurs avéré, qui acceptent néanmoins pour la noble nécessité du spectacle de se tenir coi pendant une heure et quart, dans une température bien peu de saison dans cette grange « c'est vrai qu'il fait cru » confirme-t-on à l'accueil ! Et de soudain chanter, sans transition aucune : quid de la concentration, de l'échauffement de la voix ? Chapeau bas devant Messieurs , Paul Kirby, Grzegorz Rózycki (Baryton, Ténor, Basse) !

Cette « performance » présage très bien de l'ambiance pas banale de ces curieux et ravissants Jardins Musicaux à Cernier (www.jardinsmusicaux.ch) Le Tribun créé pour Les Jardins Musicaux 2004, est un spectacle très précisément inouï, suivi en continue par le Berliner Requiem de Kurt Weill et Brecht. Ce montage est un collage très pertinent, une idée de génie (de « ingéniosité » et « art de la construction »). L'enchaînement serait même invisible sans le changement bruyant de partitions sur les pupitres de la fanfare. Un petit dérapage qui toutefois n'entache pas le beau travail de mise en scène et de scénographie de Michel Kullmann et de Jean-Claude Maret.Une fanfare qu'on s'étonne d'ailleurs d'avoir trouvé un peu approximative dans Kagel — difficile c'est vrai de faire du « n'importe quoi » volontaire — mais à l'aise avec Kurt Weill.

Le Tribun était l'époustouflant et jamais essoufflé André Marcon, magnifiquement convaincant (l'acteur) : drôle, ridicule en même temps qu' horriblement convaincant (l'orateur) ; commandant à la foule, rendue par un judicieux système de hauts-parleurs on/off, glaçants. La démonstration est accablante, à l'unisson des tics de nos grands communicateurs que l'on prétend politiques. 1979, 2004 : on ne va pas vers le beau temps Messieurs-Dames…

Ce Tribun, « pour orateur politique, fanfare et haut-parleur, Dix marches pour rater la victoire », que Kagel a donc composé en 1979, laisse un peu sur sa faim : peu de « Musique » en somme, bien moins que dans son plus dense « Variétés » par exemple ; et surtout une fin… qui n'est pas une … Non plus une porte ouverte, non plus une mise en boucle…

C'est sur ce malaise qu'à Cernier ce 26 août démarre en trombe le violent Berliner Requiem de Kurt Weill : on ne rit plus, plus du tout. On frémit, on tremble de ce propos qu'on aurait, pour se rassurer vainement, repoussé dans un temps historique révolu. Mais la fuite est interdite, après la solide démonstration d'actualité de la première moitié du spectacle… Terrifiant. 1928-2004 : on va vers du bien mauvais temps, Messieurs-Dames… Jusqu'où se rapprocherons-nous de ces infamies, dénoncées en 1928 par ces mots de Brecht ?

Des mots durs que l'on nous projette traduits en français sur le décor en fond de scène : parfait, à la curieuse exception d'une lettre systématiquement effacée ; et à la gêne éprouvée quand notre regard redescend après lecture sur les chanteurs, et croise leurs yeux noirs, furieux, chargés. Chanteurs parfaits donc — en trio aussi homogène qu'un chœur, et en solo tous les trois d'un phrasé bien campé — et rappelons-le, encore à nos yeux sous le poids du rôle de molosses muets il y a quelques minutes… Il y a quelques minutes, et demain avec leurs avatars « pour de vrai », si l'on continue ainsi nos complaisances face à nos tribuns modernes. Complaisances qu'on n'imagine pas dans le cœur du public local, puisque venus en masse dans cette grange de l'école d'agriculture — improbables mélanges d'odeurs, chevaux dans leurs stalles sous les gradins, matériel agricole rangé le long des allées — pour un propos bien loin de la légendaire neutralité suisse ! En masse oui : 320 places seulement — c'est très bien ainsi — un prix bas, même du point de vue d'un français en Suisse pour quelques heures — et un défilé très étonnant de spectateurs qui quittent le site à pied. A pied, parce que voisins : magnifique succès auprès d'une population qui dans sa probable majorité ne prendrait pas d'abonnement à ce type de festival « difficile », ni à aucun festival vraisemblablement, s'il fallait prendre sa voiture !

Retour au spectacle, pour une mention à la récitante, Maryse Fuhrmann, exactement dans le ton. Maryse Fuhrmann est aussi la co-directrice du festival, avec Valentin Reymond, le chef d'orchestre de la soirée.

Puisque nous en sommes aux saluts, comment ne pas réagir aux dessins magiques de Martin Leiter ? Aperçu sur www.jardinsmusicaux.ch

La soirée se prolongeait, sous le titre de « Symphonie Cosmique », d'un second concert, proposant la Symphonie n°7 de Bruckner en version de chambre ( et Karl Rankl -1923). Dix musiciens seulement pour une lecture limpide, claire : un concert « confortable » même si au contraire des violons et des vents, les basses manquaient un peu de souffle. La dynamique aussi était réduite. Logique, mais acceptable dans une salle — délicieusement — petite. De même que d'aucuns ont enfin poussé avec profit la porte du Requiem de Brahms grâce à la version réduite enregistrée récemment par le Chœur Accentus, on peut savoir de divination certaine qu'un jour on aimera Bruckner, sans avoir jamais pu pourtant jusqu'à ce 26 août lui garder attention tout au long d'une symphonie. Cette version de chambre était l'occasion de raccrocher enfin sa barque à la flotte des bruckneriens… Pari gagné ! Il suffit maintenant de poser avec gourmandise la version « lourde » (pardon) sur la platine,… selon Gunther Wand par exemple, ample et retenue à la fois ?

Bilan de tout ceci ? Notre agenda spectacles aura tendance à s'alourdir encore, avec les « Jardins Musicaux » 2005… Réjouissons-nous, et portés par , Bertolt Brecht et Kurt Weill, tenons à distance les éternelles réincarnations du « Tribun », pour ne jamais avoir la nostalgie de cette époque bénie pour les boulimiques de musique vivante !

 

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