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Olivier Schneebeli : Les Pages et les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles

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Les Pages et les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles ont été créés en 1987, à la naissance même du Centre afin de restituer le chœur de la Chapelle Royale sous le règne de Louis XIV. Composée de 20 enfants (les Pages) et 17 adultes (les Chantres), plus un continuo, cette maîtrise est unique en Europe. ResMusica a rencontré leur chef afin qu'il nous en décrive toutes les spécificités. Il nous a invité à une répétition, puis un concert est venu nous montrer au-delà des mots la réussite de ce travail.

« Je me suis dit surtout que nous sommes aujourd'hui au XXIe siècle et que ce serait quand même dommage de se priver des petites filles et de leurs qualités musicales dans le chœur. Il faut qu'elles aussi puissent se former au répertoire parmi les jeunes garçons ! »

ResMusica : Votre particularité est de travailler avec des enfants et de rechercher une esthétique précise, du point de vue de la couleur vocale. Est-ce que vous pourriez nous en dire un petit peu plus ? Pourquoi des enfants et cette couleur ?

 : La mission de la maîtrise du CMBV est double, à l'origine, et complémentaire, la première étant de faire entendre à nouveau au public tout un répertoire : la musique française des XVIIe et XVIIIe siècles qui n'avait plus résonné à Versailles depuis un long moment, et notamment le répertoire de la Chapelle Royale. Le second objectif est de former les futurs chanteurs à l'interprétation de cette musique, tout en reconstituant un chœur évoquant celui de la Chapelle Royale tel qu'il existait à la toute fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. Ainsi les parties de dessus (soprano), sont tenues par les voix d'enfants (les Pages) mais également par de jeunes chanteuses (nos étudiantes Chantres soprano), et les parties intermédiaires et graves, par l'ensemble des tessitures masculines. Précisons qu'en effet, parallèlement aux enfants en classes à horaires aménagés, le chœur est composé de 17 jeunes chanteurs qui viennent ici se spécialiser dans l'interprétation de la musique baroque, et particulièrement française, dans le cadre d'un cursus de formation professionnelle de haut niveau.

RM : Il y a une particularité ici, on trouve des femmes qui chantent dans des chœurs religieux, il y a quelque chose qui allait contre certaines directives papales ou même une certaine réticence à voir des femmes chanter dans des églises ou sur scène ?

OS : A cette époque, en France, dans les maîtrises des grandes cathédrales, il était hors de question que les femmes chantent. Mais on sait, d'après de nombreux témoignages, que les nièces de Couperin, les filles de Lalande chantaient à la Chapelle Royale. On sait aussi, bien sûr, que Mme de Maintenon, en créant la maison de Saint-Cyr, a voulu donner naissance à une institution destinée aux jeunes filles nobles non fortunées ; on leur enseignait également le chant (ce sont elles qui ont créé les deux dernières pièces de Racine, Esther et Athalie, et toute la partie musicale de ces œuvres).

RM : Et quelle est la partie musicale dans ce choix de ces voix de femmes et la partie politique, car c'était aussi une résistance à tout un aspect politique et religieux ? C'était un choix du Roi de France à l'intérieur de sa Chapelle ?

OS : Oui absolument, puisqu'on sait également qu'à l'époque, et jusqu'au XVIIIe siècle, aux côtés des Pages de la Chapelle et de femmes choristes et solistes, chantaient ceux que l'on appelait «les Italiens» que Mazarin avait emmenés avec lui quand il était devenu premier ministre. Il avait fait venir avec lui quelques castrats pour chanter des parties de dessus. Enfin, au sein de la Chapelle Royale, on entendait également des «dessus mués», c'est-à-dire ce que nous appellerions aujourd'hui des falsettistes ou contre-ténors.

RM : Donc il y avait une richesse de couleurs extraordinaires qu'on devait retrouver en très peu d'endroits au monde ?

OS : C'est totalement unique à cette époque. Et ce qui est véritablement emblématique, c'est qu'on retrouve cette richesse de couleurs dans l'orgue français. Et avec notamment cet assemblage de registres et de timbres particulièrement caractérisés qui est alors totalement unique. Il suffit d'écouter l'orgue Clicquot de la Chapelle Royale de Versailles. C'est flagrant. Cette alliance de timbres en apparence inconciliables donne à l'instrument, comme au chœur «louis-quatorzien», une couleur qui leur est particulière.

RM : Y avait-il un répertoire écrit particulièrement pour mettre en valeur toutes ses couleurs ? Ou était-ce un répertoire étranger adapté ?

OS : Très rarement en vérité, même si on en trouve quelques exemples frappants comme le Laudate Dominum de Michel Corrette, qui est une adaptation vocale du Concerto «Le Printemps», extrait des Quatre Saisons d'Antonio Vivaldi. Mais le principal répertoire de la Chapelle Royale était constitué par le grand motet à la française. C'est à travers ce répertoire que nous donnons vraiment à entendre les spécificités de notre chœur. En général, je m'arrange toujours pour que les voix de femmes et les voix d'enfants ne soient pas mélangées, de manière à ce qu'il y ait ces couleurs différentes, à ce que cela fasse «alliance» de couleurs plutôt que «mélange». Ainsi j'organise un double chœur, avec les femmes d'un coté et en face les enfants. J'ai constaté très vite que c'est comme cela que ça «marchait» le mieux.

RM : C'est ce qui est frappant en dehors des nombreuses qualités que je ne veux pas détailler ici, c'est qu'on a dans votre chœur cette justesse que l'on ne rencontre pas souvent chez les voix d'enfants, et une fragilité qui est une force. Je ne sais pas comment vous travaillez cette question ? Comment la fragilité peut-elle devenir une couleur sans être une faiblesse ? Est-ce que ça vient de cette association ?

OS : Ça vient sans doute de ça, mais aussi du fait que la plupart des chœurs d'enfants (je pense notamment à l'Angleterre et à l'Allemagne) sont exclusivement composés de garçons. Pour ma part, je sais pertinemment que nous travaillons une musique qui, à l'époque, était interprétée essentiellement par des enfants/garçons. Cela dit, à l'époque également, les orchestres étaient presque entièrement composés d'hommes ! Mais je me suis dit surtout que nous sommes aujourd'hui au XXIe siècle et que ce serait quand même dommage de se priver des petites filles et de leurs qualités musicales dans le chœur. Il faut qu'elles aussi puissent se former au répertoire parmi les jeunes garçons ! D'autre part, elles manifestent une indéniable stabilité vocale sur le plan de la justesse et de la «rondeur» vocale. Enfin, sur le plan relationnel, au sein du groupe, elles jouent un rôle déterminant dans la bonne entente qui règne entre tous les enfants de la Maîtrise. Les jeunes garçons sont souvent bien plus agréables dans un chœur mixte ! Mon souci était donc d'équilibrer le chœur, mais de façon à ce qu'il y ait quand même une certaine prépondérance de la couleur des voix de garçons. Chez eux, un an avant la mue environ, la voix prend toute son ampleur et toute sa richesse. Pour obtenir cette couleur du chœur d'enfants, nous avons donc retenu une répartition approximative entre deux tiers de garçons et un tiers de filles. Chaque semaine ou presque, nous donnons une audition à la Chapelle Royale. Et afin «d'augmenter la pression», très régulièrement, une courte œuvre nouvelle est déchiffrée le jour-même, en plus du programme prévu. Elle est travaillée sous la direction d'un Chantre (un étudiant adulte en cours de direction de chœur, qui, en une demi-heure de temps, suivie du raccord à la Chapelle, doit parvenir à monter l'œuvre).

RM : Comment avez–vous conçu le programme autour de Roland de Lassus de ce soir, car chaque jeudi vous avez des programmes très différents ?

OS : Effectivement. Je choisis ces programmes en fonction de la pédagogie mais aussi de l'année liturgique. Aujourd'hui, Jeudi Saint, il me semblait intéressant de faire entendre une œuvre écrite pour la Semaine Sainte. L'année dernière nous avions donné, toujours de Lassus, La Passion selon Saint Matthieu, cette année ce sont Les Larmes de Saint Pierre.

RM : Pièces très variées ?

OS : Question instrumentation, oui. Ces madrigaux sacrés sont tous écrits à sept parties. De pièce en pièce, nous avons varié les instrumentations afin d'obtenir des couleurs différentes mettant en relief toutes les intentions du texte.

RM : Et on voit les flûtes et les voix ensemble, ils regardent la même partition, cela crée quelque chose d'assez particulier…

OS : C'est merveilleux à la fois pour les jeunes instrumentistes qui apprennent à phraser comme les chanteurs et pour les chanteurs qui travaillent la justesse. Lorsque cela fonctionne bien, on ne distingue plus trop où est la voix humaine, où est la flûte. Nous avons la chance, grâce au professeur de musique ancienne du CRR de Versailles, Pierre Boragno, qui est l'un des meilleurs flûtistes en France, d'avoir un consort de flûtes, de la flûte soprano à la flûte basse, auquel on a adjoint deux violes et un serpent. L'acoustique de la Chapelle Royale favorise particulièrement les voix aiguës. C'est pourquoi il faut toujours penser à renforcer les voix et instruments graves. Vous avez pu constater que les voix aigües s'envolaient.

RM : Vous travaillez pour ce son à la Française dans ce répertoire particulier et donc dans ce lieu de la Chapelle Royale. Mais vous préparez également le chœur pour d'autres répertoires ? Vous allez monter Amadis, de Lully, cet hiver ?

OS : Ce sera le premier opéra que je dirigerai et j'en suis ravi. C'est un long rêve… En plus Amadis est l'un des plus beaux opéras de Lully, mêlant le fantastique et l'épopée. C'est l'un des trois derniers de ce compositeur, avec Roland et Armide. L'orchestre y est omniprésent. Il y a de moins en moins de récitatifs, où alors ce sont des récitatifs accompagnés à l'orchestre, annonçant déjà l'opéra ultérieur. Nous le donnerons les 24 et 26 janvier 2010 à l'Opéra d'Avignon et les 6 et 7 février à l'Opéra de Massy.

RM : Et puis diriger un grand orchestre avec les chœurs, n'est-ce pas quelque chose que vous attendiez depuis un certain temps ?

OS : J'ai déjà dirigé de grandes formations orchestrales, comme dans le cadre de concerts de grands motets à double chœur, mais le répertoire lyrique c'est encore autre chose. C'est ma passion. Ma première passion d'ailleurs, puisqu'avant de décider de devenir musicien, j'ai pensé longuement devenir comédien. Je reviens à mes premières amours …

RM : Et d'autres projets ?

OS : Bien sûr : nous avons d'autres concerts en vue notamment des Vêpres de la Vierge de Pietro Paolo Bencini, compositeur de la Capella Giulia du Vatican au début du XVIIIe siècle, que nous donnerons, toujours en 2010, à Saint-Louis des Français, à Rome. Nous donnerons aussi des musiques plus tardives comme une Messe en musique de Nicolas-Jean Lefroid de Méreaux, à l'usage des couvents, à voix égales, par les Pages, lors de nos grandes journées Grétry. Et les adultes (les Chantres) chanteront les chœurs de la tragédie lyrique de Grétry : Andromaque, avec le Concert Spirituel.

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