L’espace du rituel avec la Staatskapelle Berlin et Daniel Barenboim
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Paris. Philharmonie. Grande salle Pierre Boulez. 6-IX-2018. Biennale Pierre Boulez. Pierre Boulez (1925-2016) : Rituel in memoriam Bruno Maderna, pour orchestre ; Igor Stravinski (1882-1971) : Le Sacre du printemps pour orchestre. Staatskapelle Berlin, direction : Daniel Barenboim
Mettre en perspective Rituel in memoriam Bruno Maderna de Pierre Boulez et Le Sacre du printemps d'Igor Stravinsky fait sens, les deux chefs-d'œuvre de la modernité invoquant le même ordre du sacré et la dimension collective d'une musique de la célébration.
Dans Rituel in memoriam Bruno Maderna créé en 1975 (le collègue et ami très cher décède en 1973), l'orchestre est divisé en huit groupes aux effectifs croissants, du duo (hautbois et percussion) à l'ensemble de quatorze cuivres s'agrégeant deux percussionnistes. De fait, chaque groupe est augmenté de la percussion, dont les couleurs et la recherche de variété (mokubios, castagnettes, guiro etc.) participent de la séduction sonore de l'œuvre. Quinze séquences se répartissent en deux catégories : les numéros impairs ont une écriture fixée et sont dirigés. Les paires relèvent du hasard contrôlé, les groupes évoluant en autonomie sans directive centrale. Boulez stipule dans la partition que les huit groupes doivent être sur le plateau. Mais Daniel Barenboim, au micro pour présenter, longuement, l'œuvre au début du concert, nous dit que le compositeur avait changé d'idée au fil des années et à la faveur des nouvelles salles permettant une spatialisation. Ce soir, six groupes sur huit sont ainsi distribués à différents niveaux, dans la Grande salle de la Philharmonie. Mais force est de constater – l'expérience de Répons en 2015 aidant – que la sophistication de l'espace conçu par Jean Nouvel sert assez mal les tentatives de ce genre. La déperdition sonore, s'agissant des groupes perchés au second étage, est effective, même pour un fauteuil central de l'orchestre. La tension de l'écoute s'en trouve un brin relâchée. On aurait également souhaité plus de définition dans le « trait » boulézien, incisif et racé, et davantage de réactivité entre les groupes pour faire circuler le son dans la salle. La résonance puissante et frontale des cuivres, sur l'appel obsédant du gong, n'engendre pas moins ce soir ce rapport physique au son qui émeut, dans cette « cérémonie du souvenir » aux lancinants retours d'une même formule, dont Boulez renouvelle les profils à chaque occurrence.
Le Sacre du printemps est bien évidemment au répertoire de la Staatskapelle Berlin qui donne à entendre, dans cette partition culte, l'énergie et l'acuité du son qui nous ont manqué dans Boulez. L'Introduction est jouée en demi-teinte, dans une belle transparence des textures avant la charge rythmique des Augures printaniers, où les sonorités chauffées à blanc revêtent une rugosité singulière. Traits lumineux des bois solistes, mordant des cordes et virtuosité des cuivres (Jeux des cités rivales) constituent une palette de couleurs et une qualité d'exécution qui captivent notre écoute. Barenboim favorise la dramaturgie sonore à travers les contrastes de masses et de temporalités. Fulgurante, la Danse de la terre au bon tempo préserve le pigment et la morsure du son.
Après l'Introduction de la seconde partie (Sacrifice), au rendu très fin de la polyphonie et des couleurs (le violon en harmoniques mis en vedette), le surgissement rythmique dans Glorification de l'Élue évoque les sauts de la danseuse dans la chorégraphie de Nijinski. On reste très près de la danse et de ses tempi dans cette seconde partie, conduite de main de maître par le maestro Barenboim. L'assise rythmique et la vitalité du mouvement qu'il donne à la Danse sacrale, jouant avec les attentes de l'écoute, est exemplaire, jusqu'à la dernière « image » où l'on voit littéralement tomber la danseuse.
Crédits photographiques : © Philharmonie de Paris
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