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L’art de Vladimir Sofronitsky selon Scribendum

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Œuvres d’Alexandre Scriabine (1872-1915), Franz Schubert (1797-1828), Frédéric Chopin (1810-1849), Alexandre Borodine (1833-1887), Anatoli Liadov (1855-1914), Sergueï Rachmaninov (1873-1943), Sergueï Prokofiev (1891-1953), Dmitri Kabalevski (1904-1987), Boris Goltz (1913-1942), Felix Mendelssohn (1809-1847), Claude Debussy (1862-1918), Dimitri Chostakovitch (1906-1975), Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Ludwig van Beethoven (1770-1827), Franz Liszt (1811-1886), Robert Schumann (1810-1856), Joseph Haydn (1732-1809), Nikolaï Medtner (1879-1951), Alexandre Glazounov (1865-1936). Vladimir Sofronitsky, piano. 34 CD Scribendum. Enregistrés entre 1942 et 1961 à Moscou et Saint-Pétersbourg (alors Léningrad). Pas de notice. Durée totale : non précisée y compris pour les disques individuels

 
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Après le coffret dévolu à Maria Grinberg, voilà que le label Scribendum publie le legs discographique d'un autre géant russe, . Cette imposante publication permet de mieux se rendre compte de la personnalité troublée du légendaire pianiste.

Vladimir Sofronitsky_ScribendumCe nouveau coffret est d'une qualité éditoriale modeste : il ne comporte pas de livret, en conséquence de quoi on doit se contenter des dates des gravures, des noms des compositeurs ainsi que de leurs œuvres, listés sur les pochettes. Tous les lieux d'enregistrements n'y sont pas indiqués. Reste la musique qui nous est parvenue dans des reports pour lesquels la qualité des sources, non précisées, est inconstante et ne rend pas justice au talent de l'artiste. Dans la grande majorité des cas, nous avons affaire à des enregistrements publics, réalisés les vingt dernières années de la vie de Sofronitsky, dont le répertoire s'étend, ici, de à Dmitri Kabalevski. Certaines œuvres apparaissent plus d'une fois, comme la Sonate pour piano en si bémol majeur D. 960 de Schubert, qu'on retrouve à trois reprises avec parfois un étiquetage erroné. Sous les doigts de Sofronitsky, elle combine invariablement l'empressement et la poésie.

fut certes un artiste accompli, mais dans une grande mesure, ses interprétations nous laissent sur notre faim du fait du caractère inégal de sa production, une inégalité probablement liée à son émotivité, à son impulsivité, de même qu'à son addiction à la drogue et à l'alcool. Selon une anecdote, quand Sofronitsky déclarait à que celui-ci était un génie, ce dernier lui répliqua qu'il était dieu. Ce constat nous fait supposer que dans les années 1942-1961, à l'époque où ces enregistrements ont été réalisés, Sofronitsky était parfois fatigué, alternant le pire et le meilleur. Des problèmes qui font inévitablement penser à Josef Hofmann, pour lequel on revient le plus souvent aux gravures effectuées avant 1936.

Pour , on savoure notamment ses Scriabine, abondants, fortement marqués du sceau des personnalités déséquilibrées des deux artistes. C'est avec ce compositeur que le nom de Sofronitsky sera à jamais lié, aussi en raison du fait qu'il se maria à Elena Scriabina, la fille aînée de Scriabine, trois ans après le décès de celui-ci. À comparer les enregistrements de quelques-unes de ces partitions avec ceux signés par ou ledit Richter, on découvre que ces derniers interprètes exécutaient cette musique d'une manière plus suggestive, ce qui est perceptible, par exemple, dans Vers la flamme op. 72 ou l'Étude en ré dièse mineur op. 8 n° 12. Sinon, pour Erlkönig de Schubert dans la transcription pour piano de Liszt, les accords répétés (à la main gauche) par Richter sont beaucoup plus électrisants que ceux de Sofronitsky, que ce soit par leur précision articulatoire comme par la gamme des nuances intermédiaires.

Ensuite, prêtons l'oreille aux Chopin. Il convient de noter que Sofronitsky fut, durant quelques années, l'élève d'Aleksander Michałowski qui avait étudié, quant à lui, auprès de Karol Mikuli, ce dernier ayant suivi l'apprentissage, à son tour, aux côtés de Chopin lui-même. De cette perspective, Sofronitsky fut l'arrière-petit-fils de Chopin et donc l'un des héritiers de la vaste tradition de l'exécution de ses œuvres. Cependant, ces prestations-là nous laissent de marbre, probablement parce que l'individualité de Sofronitsky lui faisait jouer cette musique à sa manière. Ainsi, ses Chopin nous paraissent-ils parfois trop rudes (Ballade en la bémol majeur op. 47), et surtout dénués de la délicatesse imprégnant les interprétations d'un autre « arrière-petit-fils » de Chopin, Raoul Koczalski. Mettons par exemple en parallèle les diverses lectures du Nocturne en ré bémol majeur op. 27 n° 2 : d'une part, celles de Sofronitsky et, d'autre part, celles de Koczalski (disponibles en disque comme sur YouTube). Si le jeu du Russe manque de raffinement, celui du Polonais envoûte par la palette des couleurs, la régularité du pouls, un sens du legato extraordinaire, une imagination musicale hors pair, ainsi que par une conjugaison toute naturelle d'agitation et de tendresse. La Polonaise en fa dièse mineur op. 44 semble, sous les doigts de Sofronitsky, désordonnée, privée de majesté et de grâce. Pour retrouver ces qualités, on reviendra à l'interprétation, pour n'en citer qu'un exemple, du jeune . Et si Sofronitsky est impétueux voire furibond dans la Fantaisie en fa mineur op. 49 et la Ballade en sol mineur op. 23, il n'y respire pas profondément, ni avec ampleur. L'intensité de ces partitions s'égare sous un volume excessif de forte. Sinon, ses Mazurkas sont dans l'ensemble tissées avec mélancolie et noblesse, et ponctuées – par instants – d'espièglerie. Par leurs particularités rythmiques en général bien rendues, elles renvoient ici, évidemment, au folklore du peuple des Mazurs, vivant dans les plaines de Mazovie autour de Varsovie.

Et pour les autres compositeurs ? Les œuvres de Liszt, y compris sa grande Sonate en si mineur, sont multiples, et pas toujours convaincantes. Le Haydn (la Sonate en ré majeur Hob. XVI:37), quant à lui, a l'air étriqué en raison des phrasés étouffés par la promptitude. Et les Beethoven ? La lecture de la Sonate « Au clair de lune » en ut dièse mineur op. 27 n° 2 est belle, marmoréenne, mais d'une froideur glaciale.

Par la suite, on se réfère aux Schumann, assez nombreux. Assurément, ils sont poétiques mais également à sa manière. Par exemple, l'Äusserst bewegt (Extrêmement agité), le premier mouvement des Kreisleriana op. 16, est criard et joué quasiment sans pédale, fragmenté par des accentuations frénétiques du rythme.

Dernières pépites et non des moindres, n'oublions pas de mentionner les Debussy, marqués tant par le sens de l'humour que par le goût des demi-teintes ou la netteté des contours. En outre, ne passons pas sous silence les miniatures des compositeurs russes, comme La Boîte à musique d', dont la lecture, donnée en concert le 28 janvier 1952, est sublimée par la profondeur du toucher et la précision des attaques, permettant de se figurer ladite machine à musique. Enfin, nous admirons la virtuosité de Sofronitsky dans l'interprétation – du 11 juin 1954 – du Scherzo en mi mineur de Boris Goltz. Il s'agit d'une page diabolique et tonitruante, faisant penser à une toccata obstinée, élaborée par un jeune artiste très doué qui n'a vécu que vingt-huit ans. Ayant travaillé dans des conditions atroces pendant le siège de Léningrad, il est décédé, six mois après le commencement du siège, d'une maladie causée par la malnutrition. Il en resta, entre autres, ce beau et émouvant témoignage que nous devons chérir. Un coffret collector !

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