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Au festival Manifeste, la pluridisciplinarité à l’œuvre

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Paris. Centre Georges-Pompidou. 31-V-2021. Oren Boneh (né en 1991) : Her Majesty the Fool, pour accordéon microtonal et électronique ; Sivan Eldar (née en 1985) : Heave, pour contreténor et électronique ; Roque Rivas (né en 1975) et Carlos Franklin (né en 1979) : Mutations of Matter, performance audio-visuelle pour 5 chanteurs et dispositif électronique audio spatialisé sur 6 points et vidéo sur 2 canaux ; Philippe Leroux (né en 1959) : Quid sit musicus?, pour quatre voix, guitare, violoncelle et électronique. Guilhem Terrail, contre-ténor ; Fanny Vicens, accordéon, Les Métaboles ; Oren Boneh, Augustin Muller, Gilbert Nouno, Roque Rivas, RIM IRCAM ; direction : Léo Warynski

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Le festival célèbre les trente ans du Cursus de composition et d'informatique musicale (1991-2021). Trois personnalités révélées durant cette année d'étude au sein de l'institution sont à l'affiche du concert d'ouverture de cette dixième édition, côtoyant leur ainé (et maître pour certain) .

On se souvient de Her Majesty the fool («Sa majesté l'idiot »), la pièce de cursus 2019-2020 d' qui nous avait impressionnés lors du concert filmé (Covid oblige) de 2020. C'est sans doute l'une des premières pièces pour accordéon microtonal et électronique du répertoire, écrite par le jeune compositeur états-unien pour l'accordéoniste avec laquelle il a beaucoup collaboré. Deux micros de contact ont été fixés sur l'instrument accordé en quarts de ton pour traiter le son en direct via les logiciels de l'. Le ton est donné avec ce premier geste radical autant que spectaculaire où l'interprète racle le clavier sur toute sa surface, générant des impacts granuleux décuplés par l'électronique : matériau saturé, explosions en chaîne, effets vibratoires géants … l'espace de lutte qu'instaurent l'accordéon et la partie électronique (Boneh est aux commandes) est tout à la fois violent et jouissif, virtuose et non dénué d'humour ; telles ces sonorités d'orgue de Barbarie qu' tire de l'accordéon microtonal en mode répétitif, ou ces accords tonals qui « pleurent » sur l'instrument en quarts de ton. Au centre de la dramaturgie, est rien moins qu'éblouissante, évoluant dans cette spirale du sonore avec autant d'aisance que d'énergie.

De six ans son ainé, la compositrice israélienne « passe son Cursus » durant l'année 2016-2017 : Heave (soulever) n'est pas sa pièce ircamienne mais celle de sa résidence à Royaumont en 2018, entendue dans les jardins de l'abbaye dans la version pour ensemble et électronique qui nous avait déjà beaucoup séduits. Le contre-ténor est seul en scène dans cette nouvelle version où l'on retrouve la bande son multicanal (64 canaux) et le texte de l'auteure anglaise Cordelia Lynn. La voix sensible et délicate du contre-ténor fait merveille, qui tend à se fondre dans l'environnement flottant et scintillant de l'électronique ( à la console). Une dramaturgie s'instaure au mitan de la pièce (déferlement de matière entendu dans les haut-parleurs) sans rompre pour autant le climat méditatif et le temps long sur lequel s'inscrit la ligne de chant.

Projet bicéphale, Mutations of matter (2008) est une performance audiovisuelle du compositeur chilien (cursus 2006-2007) et du vidéaste colombien . L'image et le propos tournent autour de la ville de New-York, ses quartiers, son métro et ses réalisations architecturales sur fond de réflexions théoriques. Le dispositif électronique associe sons fixés et temps réel (Rivas à la console) et sollicite la présence (bien que cachée) de cinq chanteurs, ceux des Métaboles dirigés par : « C'est la voix qui érige la ville et qui devient architecture. Le son et l'image seront cette ville, ou plutôt son utopie », précisent les artistes.

L'usage des phonèmes et la dimension incantatoire des voix traitées par l'électronique ne sont pas sans évoquer la manière énergétique d'un Ohana. tandis que les images, entre réalité et fiction, sont projetées sur deux canaux et allient finesse et virtuosité de facture. La réalisation tirée au cordeau fonctionne superbement, dans une synergie très communicative.

On retrouve Les Métaboles et leur chef, bien visibles cette fois, dans Quid sit musicus ? (une question posée par le théoricien latin Boèce au Vᵉ siècle) pour quatuor vocal, guitare et violoncelle : reprise bienvenue de cette pièce de créée à Manifeste en juin 2014 par les Solistes XXI de Rachid Safir. L'idée aussi singulière que visionnaire du compositeur, qui se tourne ici vers Guillaume de Machaut (1300-1377), est de réexploiter le graphisme des manuscrits du XIVᵉ en essayant d'extraire des gestes calligraphiques (les neumes du Moyen Âge) un autre type de geste accordé cette fois à une pensée musicale du XXIᵉ siècle. Grâce au stylo optique Bluetooth de l' et au papier interactif, les données gestuelles de la calligraphie médiévale ont pu être converties en autant d'informations sonores qui ont nourri l'écriture des parties vocale et instrumentale.

Elles sont très solidaires, dessinant les mêmes morphologies sonores via une quantité de modes de jeu auxquels se soumettent instrumentistes et chanteurs avec un naturel confondant : voix parlée-rythmée (avec les intonations du moyen français), atomisée, glissée, en son fry pour la basse, en yodel pour les autres… Guitare et violoncelle sont joués comme des cithares ou portés jusqu'à la bouche pour servir de caisse de résonance à la voix parlée : tout un théâtre de gestes et de sons auquel l'électronique raffinée apporte son soutien en termes de couleurs et de scintillements. Le traitement live ( aux manettes) concerne davantage la spatialisation du son et l'équilibre sonore toujours très délicat à entretenir. Saluons la performance des Métaboles servant avec beaucoup de relief l'écriture exigeante et risquée de Leroux, et la concentration sans faille de dans une œuvre qui, comme chez Machaut, allie avec brio la complexité et la séduction sonores.

Crédit photographique : ©

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