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Chants de la nuit par Matthias Pintscher

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Paris. Auditorium de Radio France. 26-X-2021. Matthias Pintscher (né en 1971) : Neharot, pour orchestre ; Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n°7, en mi mineur. Orchestre Philharmonique de Radio France ; direction : Matthias Pintscher

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La Maison ronde et l' poursuivent le cycle de concerts consacré aux compositeurs chefs d'orchestre initié avec Thomas Adès en octobre dernier en invitant l'actuel directeur de l'Ensemble Intercontemporain, , qui met à l'affiche Mahler et sa nouvelle pièce pour orchestre donnée en création française.

Bereshit, Mar'eh puise volontiers ses titres dans l'hébreu dont il dit aimer la qualité polysémique. Neharot signifie à la fois les rivières et les larmes, les pleurs d'une lamentation. L'œuvre pour orchestre d'une petite demi-heure composée à New York durant le confinement est écrite pour toutes les victimes de la pandémie. C'est une sorte de requiem ou de kaddish où le registre sombre domine et les moments de latence sont nombreux, entretenus par la résonance profonde des tams, la figure lancinante de cette harpe zinguante et le souffle envoyé périodiquement par les trompettes, comme un grand frisson qui vrille l'espace et traverse toute la partition. Pour autant, la pièce débute sur un appel offensif lancé par les cuivres clairs, un motif qui revient tout au long de la pièce et semble conduire la dramaturgie. Pintscher instaure un espace de tension où s'affrontent lignes verticales et horizontales, couleurs solistes et bruit blanc. On est d'emblée intrigué par ce solo de contrebasson (rare dans le répertoire orchestral !) rampant dans les graves avant l'arrivée d'autres timbres solistes, celle du marimba puis de la trompette. Son « chant » orné et mélismatique est d'une grande beauté, qui s'inscrit dans un contexte bruiteux et inquiétant. Cet art de la ligne culmine au mitan de l'œuvre avec l'intervention du hautbois solo (Hélène Devilleneuve en vedette), long cheminement mélodique d'une virtuosité transcendantale dont la sonorité des plus délicates est confrontée aux assauts violents de l'orchestre ; tout comme la superbe envolée lyrique des cordes rapidement absorbée par la véhémence des cuivres et percussions dominant la dernière partie. S'inscrivant sur la résonance du tam, la sonorité troublante de la plaque tonnerre « chantant » sous l'action de la « superball » du percussionniste – tel l'ultime appel d'un shofar – confère une vibration/émotion dernière à ce chant de l'obscur.

Pintscher a pris sa baguette pour diriger la Symphonie n° 7 de au programme de la seconde partie de la soirée. Moins souvent mise à l'affiche que ses voisines, la « Mahler 7 », écrite en deux temps (1904 et 1905) est aussi la plus abstraite du compositeur (pas de programme dévoilé ni de texte chanté) et l'extrême pointe de son évolution en termes d'écriture (harmonique, contrapuntique, orchestrale) et de liberté formelle. Avec ses cinq mouvements en arche et le scherzo comme clé de voûte, la « septième » préfigure l'agencement symétrique du cinquième Quatuor à cordes de Bartók composé en1934. Les deux Nachtmusiken (« chants de la nuit » qui donnent son sous-titre à la symphonie) de part et d'autre du scherzo ont été conçus en premier lieu, et en même temps que la « Sixième » ; les trois autres mouvements voient le jour l'été suivant, dans la plus intense souffrance – « je me suis torturé jusqu'à la folie… », confie-t-il à son épouse Alma – avant que l'inspiration ne jaillisse, le compositeur achevant sa symphonie en quatre semaines seulement.

C'est dire l'état d'urgence voire de fureur dans lequel Mahler écrit son premier mouvement, débutant comme il se doit dans une ambiance de marche funèbre (superbe entrée du cor ténor) et se poursuivant dans l'entre-choc des idées mélodiques et des tonalités, dans une pluralité de matériaux et une virtuosité de l'orchestration jamais atteinte. C'est ce foisonnement de l'écriture et la vitalité des contrastes qui ressortent sous le geste énergétique de (tonicité des cuivres , tension lyrique des cordes) conférant au discours un élan quasi expressionniste. La première « musique de nuit », sans aucun doute le plus beau moment de cette soirée, allie subtilité des couleurs (celles, étranges et lumineuses, des bois dans les premières minutes), dimension fantastique et échos de nature (des cloches de vache lointaines) dans une recherche d'espace et de profondeur de champ particulièrement sensible. Le thème de marche militaire qui traverse le mouvement – « une patrouille évoluant dans un clair-obscur fantastique », aurait dit le compositeur – recréé l'atmosphère du Knabenwunderhorn et du Lied mahlérien. Pris au bon tempo, le scherzo elfique (huit minutes seulement !) est une gageure, pour l'orchestre comme pour le chef : musique de l'ombre toujours, ton grinçant, écriture ciselée – on pense à la Klangfarbenmélodie (mélodie de couleurs) de la seconde école de Vienne! – lancée par les timbales qui en martèlent le parcours : l'exécution millimétrée des musiciens du « Philar » force l'admiration. L'Andante amoroso, qui constitue la seconde « musique nocturne », est conçu à partir du timbre de la guitare rejointe par la mandoline, une idée dont Schönberg fera son miel ! Honneur au violon solo (Ji Yoon Park) mais aussi aux violoncelle et alto qui multiplient les apartés solistes dans un équilibre sonore un rien fragile et une recherche de transparence : c'est une brève accalmie avant le torrent furieux du Rondo final que débute une fois encore la timbale : un ultime sursaut (plus d'un quart d'heure de musique !) où s'exprime pleinement l'ironie mahlérienne, avec son lot de musiques populaires, militaires, mouvements de valses et menuets galants, un patchwork monté avec une dextérité fulgurante par le compositeur dans une esthétique pluraliste avant la lettre que Matthias Pintscher maîtrise à bout de bras, aux limites des forces d'un orchestre dont il faut saluer la ténacité et l'engagement face à l'énormité de la tâche.

Crédit photographique : © Franck Ferville

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