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Le conservatoire de musique d’Alfred Roland au cœur des Pyrénées

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En plein cœur des Pyrénées, la première édition en 2022 du Festival d’art lyrique « Les Voix du Vallon » avec sa rétrospective historique en début de concert, a impulsé ce dossier qui a avant tout l’objectif de démontrer que le chant lyrique vivait, et vit toujours, bien ailleurs qu’à Paris, et même dans les montagnes pyrénéennes, terreau fertile à revitaliser. Pour accéder au dossier complet : Le chant dans les Pyrénées

 
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Le thermalisme dans les Pyrénées connut son effervescence au XIXe siècle, faisant venir au cœur des montagnes du Sud-Ouest bon nombre d'aristocrates ou de bourgeois « buveurs d'eau », mais aussi de nombreux artistes ou écrivains. Les récits de voyage se multiplient, alimentant tant qu'il se peut l'imaginaire romantique de l'époque, ainsi que les initiatives locales à l'image de celle d'.

Qualifié de compositeur et poète aujourd'hui, (1797-1874) n'était qu'un jeune fonctionnaire des impôts à son arrivée à Bagnères-de-Bigorre le 22 octobre 1832. Certains diront qu'il a connu cette cité thermale lors d'un voyage régénérateur, mais c'est bien une mutation professionnelle qui entraîne le jeune homme de 36 ans au pied du Pic du Midi de Bigorre. Ce qu'il découvre est une terre de chant, le répertoire pyrénéen étant à ce jour encore l'un des plus riches de France. Les chants scandent la vie quotidienne des montagnards, leurs réunions familiales, et c'est tout naturellement qu', de part ses fonctions, les entend dans les ateliers où les ouvriers travaillent la laine et le marbre, richesses régionales.

Sa solide formation musicale au Conservatoire de Paris (accessit de violon et premier prix d'harmonie), offre au jeune fonctionnaire de bonnes bases pour la composition musicale. Son enthousiasme et son initiative de créer un conservatoire de musique seront la genèse d'une longue tradition musicale, extrêmement vivante aujourd'hui encore, des chœurs d'hommes des Pyrénées chantant à quatre ou plus généralement à cinq voix, avec un ou plusieurs solistes. L'aventure démarre par de simples leçons de chant données à des ouvriers avec qui il fonde un grand ensemble choral pour lequel il compose des chœurs qui chantent la Ville, les Pyrénées et la Patrie. Rapidement, par le biais d'auditions publiques, 165 choristes rejoignent ce conservatoire de musique bien original, né au cœur du peuple et pour lui.

Les compositions d'Alfred Roland s'inscrivent clairement dans le style classique, ne cherchant pas à alimenter le romantisme déployé à son époque. Mais l'initiative d'Alfred Roland permet, pour la première fois, d'associer le chant choral à bien autre chose que de la musique sacrée ou de l'opéra pour lesquels il était réservé jusqu'alors. Les autres caractéristiques de ce répertoire vocal sont surtout les larges voix timbrées des chanteurs pyrénéens, ainsi que la richesse et la couleur des harmonies qui leur permettent de chanter a cappella sans sentiment de manque.

Parés de leur veste rouge, d'une ceinture en laine rouge ou en cuir noir, d'un pantalon blanc et d'un béret rouge, les premiers succès ne se font pas attendre pour ces choristes, à l'image de ce concert au Théâtre du Capitole de Toulouse en 1835 avec plus de 100 exécutants sur scène. La force de cette nouvelle proposition est évidemment l'identité régionale du conservatoire, mais elle s'explique aussi par l'accessibilité de la musique d'Alfred Roland qui s'adresse à tous les publics, enfants ou adultes, érudits ou novices. Face à cet engouement, Alfred Roland voit grand en initiant une tournée nationale puis internationale qui durera plus de seize ans !

De 1838 à 1854, de l'Europe au Proche Orient

Parmi les 165 chanteurs du conservatoire de musique de Bagnères-de-Bigorre, la plupart souhaitait entreprendre ce voyage autour de leur mentor. Alfred Roland dut donc en sélectionner quarante, parmi les plus belles voix, mais aussi parmi ceux dont les familles consentaient à leur départ, beaucoup d'entre eux étant âgés de moins de 21 ans, soit la minorité à l'époque. On imagine la force de conviction de l'ancien fonctionnaire des impôts face à des parents dont les enfants étaient source de revenus, ou bien étaient encore à l'école. Mais l'idée que leurs progénitures soient prises en charge durant ce temps de tournée, et la rémunération proposée selon les recettes engendrées, finies de les convaincre. L'argent régulièrement envoyé au bénéfice du Conservatoire et du Bureau des Indigents, établissement de bienfaisance, rassureront les plus inquiets : « j'ai l'honneur de vous prévenir que je viens d'adresser à Monsieur Pambrun, trésorier du Conservatoire, une somme de 100 francs pour venir en aide aux pauvres de Bagnères qui peuvent souffrir des rigueurs tardives de la saison d'hiver. Puisse ce faible secours atteindre son but et prouver encore une fois à nos pauvres montagnards combien je serais heureux si les circonstances favorables me permettaient de répéter souvent ces envois si doux à mon cœur, et, j'en suis certain au vôtre. » Ce sera plus de 2 millions de francs or qui seront envoyés.

Voilà donc qu'Alfred Roland et ses quarante chanteurs partent le 18 avril 1838 dans une diligence entraînée par six chevaux, départ définitif de Bagnères-de-Luchon pour le compositeur, mais aussi pour six choristes qui rencontreront la mort durant ce long périple. Pour vivre, ils chantent la messe le matin et donnent un concert le soir. Le succès se confirme rapidement : Paris les accueille avec 8 000 spectateurs au Théâtre des Champs-Elysées.

En 1839, ils iront à Paris, Londres, Anvers, donneront quatorze concerts à Bruxelles puis Waterloo où ils interpréteront la Grand'Messe des Morts, victimes de la guerre de 1815. En 1840, ce sera la Hollande, le Danemark et la Suède. L'année d'après, l'Allemagne et la Prusse les accueilleront, tout comme Saint-Pétersbourg, Moscou, Varsovie et l'Autriche. Dans ce périple, ils seront applaudis par Louis Philippe, la Reine Victoria, le Tsar et même le Pape le 1er août 1842 où le succès retentira dans la Basilique Sainte Marie des Anges avec la Messe montagnarde d'Alfred Roland. Trois ans après, ils seront en Terre Sainte puis reviendront en France. Infatigables, ils repartiront pour Malte, Alexandrie, Le Caire et arriveront à Jérusalem le 13 décembre 1845. Le périple se prolongea onze années encore à travers l'Europe et le Proche-Orient.

Des années de gloire, mais aussi de déboires engendrés fatalement par leur condition de nomades : « j'ai sans cesse devant moi l'affreux malheur qui nous frappa en Italie, et qui jeta parmi nous, sa lugubre et durable mélancolie. Je vois toujours ce drame douloureux lorsque je perdis successivement mes deux chanteurs, et lorsque éperdus, nous les abandonnâmes à la merci des inconnus. Ils dorment là-bas, séparés l'un dans le modeste cimetière de Civita-Vecchia, l'autre au voisinage de la baie de Naples, non loin de la mer bleue ; et nul ami n'est hélas ! depuis revenu auprès de ces tombes désertes pour y continuer le culte du souvenir. Ils eurent des cérémonies à l'égal d'un roi, les tertres furent jonchés de fleurs, le marbre de Carrare marqua ces places chères ; mais quand nous chantâmes, Bannière déployée autour des fosses glaciales, l'Hymne des beaux jours, devenu soudain le chant des suprêmes adieux, je compris alors, toute l'angoisse de cette double mort ; car mourir si loin des Pyrénées, si loin des siens, c'était mourir deux fois et je devinai combien il y avait de tristesse, à s'éloigner ainsi, pour ne plus revenir en laissant au passant, le soin de nos regrets et de notre ardente amitié. »

Mais tout succès a une fin. Le passage des montagnards n'avait plus le même attrait en 1854 qu'à l'époque. Le comble : des chœurs d'hommes s'étaient créés à leur image dans les différents endroits où ils s'étaient produits, certains même avec une bannière et un répertoire identiques. La multitude de chœurs pyrénéens avait lassé le public, sonnant le glas pour les Chanteurs montagnards à leur « Odyssée romanesque » et au conservatoire de musique d'Alfred Roland. Les Bagnérais retournèrent sur leur terre à leurs frais, aussi pauvre qu'à leur départ comme le confirme le Chanoine Menvielle : « après plus de quarante années d'absence, ces débris tombèrent la plupart à la charge de la charité publique. Ces favoris de la gloire, ne retrouvant plus de famille ni d'amis pour les recueillir, eurent pour dernier sort d'aller finir leurs jours dans les asiles de la misère. »

Alfred Roland, quant à lui, repartit à Paris sans plus de discussion, sentant le besoin de se faire oublier des habitants de Bagnères-de-Bigorre. Détenteur de la bannière des Chanteurs montagnards, il en fit don à la ville à la demande du Maire ; elle fut rapatriée le 8 mars 1874 accueillie par une foule immense. La tradition des Chanteurs reste toujours vivante aujourd'hui avec 25 choristes à ce jour qui continuent de faire vibrer les Pyrénées.

Bibliographie

La Gazette de Galan et de la Région, numéro 3, décembre 1996

FOURCADE Jean-François dit Coudache, L'odyssée des chanteurs montagnards d'Alfred Roland, Le Petit Journal, janvier 2021

LAMOTHE Mathilde, Regard sur les Pyrénées thermales du XIXe au XXIe siècle : de la collecte folklorique à la confluence des inventaires patrimoniaux, HAL Open Science (https://hal.science/hal-02521805), juin 2020

BOUGET Théo, Récit du Voyage en Orient des 40 chanteurs montagnards d'après les mémoires de Roland

Crédits photographiques : Pierre Laguerre, actuel chef de chœur des Chanteurs Montagnards d'ALfred Roland (image de une) © Yann Deniel ; Les 40 chanteurs d'Alfred Roland à leur départ en tournée en 1838 © Image libre de droit ; Affiche de la conférence organisée à l'occasion  des 190 ans de Chanteurs Montagnards

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