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D’un continent à l’autre avec la flûtiste Shao-Wei Chou

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Sons, contes et images. Luc Ferrari (1929-2005) : Madame de Shanghai, pour trois flûtes et sons mémorisés. Claire-Mélanie Sinnhuber (née en 1973) : Petite, pour un(e) flûtiste. Rebecca Saunders (née en 1967) : Bite, pour flûte basse. Klaus Lang (né en 1971) : Origami, pour flûte accordéon et violoncelle. Colin Roche (né en 1974) : Roman au miroir (détail en lisière), pour trois voix parlées. Salvatore Sciarrino (né en 1947) : Venere che le Grazie la Fioriscono, pour flûte. Mu-Xuan Lin : Through the Glass of Chrysocolla, pour flûte basse, zheng et électronique. Shao-Wei Chou, flûtes ; Lola Malique, violoncelle ; Fanny Vicens, accordéon (Trio 20ᵉ dans le noir) ; Ling-Mu Kuo, zheng ; Yu-Chiao Yang, contes ; Yves-Vincent Davroux, photographie. 1 CD Soond. Enregistré au Conservatoire de Gennevilliers en septembre 2021. Notice de présentation en français, anglais et chinois. Durée : 79:00

 
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Objet pluridisciplinaire à la croisée des écritures et des cultures, ce livre-disque conçu par la flûtiste franco-taïwanaise réunit, autour du répertoire contemporain de la flûte, interprètes et compositeurs mais aussi contes et images.

Celle de la couverture, minimale et intrigante (quelques traits de plume blancs sur fond d'encre noire) est une inscription ossécaille, écriture sur des os ou des écailles d'animaux, utilisée en Chine du XVᵉ au Xᵉ siècles avant notre ère et dont on peut lire la traduction dans le livret : « Traverser la rivière en marchant sur les rochers ». Dans le livret toujours, des contes issus du monde entier jalonnent la description des sept pièces de l'enregistrement, tout comme les photographies en noir et blanc de Yves-Vincent Davroux.

Aller d'une rive à l'autre, jeter des ponts entre les deux cultures, mêler les sons et les mots, les voix et les langues, c'est ce que font chacune des pièces de l'enregistrement. Madame de Shangaï de (hommage au film d'Orson Wells) est une pièce mixte pour trois flûtes (toutes enregistrées par ) et partie électroacoustique, une « comédie dramatique », titre le compositeur, avec un personnage principal (une jeune fille taïwanaise) et un scénario. Ferrari a posé ses micros dans le quartier asiatique du XIIIᵉ arrondissement de Paris, mêlant avec un art du montage très personnel, field recording, sons de studio et écriture instrumentale live. Le va-et-vient est constant, d'une langue à l'autre, d'une voix à d'autres, celle du compositeur (si chère à notre souvenir) prenant part à la fiction. Autre œuvre mixte pour flûte, zheng (cithare chinoise) et électronique, through the Glass of Chrysocolla de la Taïwanaise Mu-Xuan Lin est accompagnée d'un long poème de sa main qui nous guide dans le labyrinthe des sons : rumeur d'extérieur, voix d'enfants, sons industriels et fureur des éléments s'impriment sur fond d'océan. « À travers le cristal de Chrysocolle s'est déployée la ligne d'horizon de la mer », nous dit la compositrice. Les deux instruments live interviennent en alternance ou en surimpression, dans une ambiguïté des sources toujours recherchée. C'est la logique du rêve qui semble prévaloir dans cette autre « comédie dramatique », foisonnante autant que discontinue.

Dans Petite pour flûte seule (l'op.1 de la compositrice elle-même flûtiste), joue également avec les sons et les mots. S'entremêlent avec douceur et espièglerie le timbre de la flûte et celui de la voix parlée, murmurée et même chantée de Shao-Wei Chu. La performance est virtuose, l'interprète retrouvant à travers la spontanéité de son jeu une certaine candeur de l'enfance. Elle engage une lutte sauvage et sans concession avec la flûte basse dans Bite de où le discours beckettien (extraits de « Textes pour rien ») est une fois encore à la source de l'écriture musicale chez la compositrice britannique. L'énergie du souffle et la violence des impulsions pulvérisent les hauteurs au profit du timbre dans un lent processus d'amplification qui confine à la transe. La flûtiste donne de la voix en jouant, tirant de son instrument de superbes couleurs. La même énergie, mais à bas voltage cette fois, traverse la pièce du Sicilien dans Venere che le Grazie la Fioriscono (1989). Le son mêlé au souffle, presque animal, haletant et de plus en plus percussif, est soumis à un processus d'accélération, donnant l'illusion de deux sources sonores complémentaires.

L'écriture est minimale et le timbre fragile dans Origami (2011) du compositeur et organiste autrichien . Les lignes instrumentales (flûte, accordéon et violoncelle du Trio 20ᵉ dans le noir) s'étirent et se confondent, entretenant un flux continu en constante métamorphose qui invite à une écoute contemplative. Comme chez Ferrari, la langue taïwanaise s'invite dans Roman au Miroir (détail en lisière), œuvre-performative de Colin Roche qui transfert dans l'univers des sons ce que le plasticien polonais Roman Opalka a fait, sa vie durant, sur la toile : peindre des chiffres blancs sur fond noir, puis des chiffres blancs sur fond blanc : flux litanique et rituel des chiffres prononcés en taïwanais ( et Yu-Chiao Yang) sur lesquels s'inscrit en français la voix du compositeur en un contrepoint aussi étrange qu'envoûtant.

Polyvalente et rayonnante, seule ou entourée de ses partenaires, Shao-Wei Chou mêle la poésie et l'énergie virtuose du son, la beauté de sa langue natale et celle de son pays d'adoption, dans un aller-retour fertile puisant aux sources de sa double culture.

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Sons, contes et images. Luc Ferrari (1929-2005) : Madame de Shanghai, pour trois flûtes et sons mémorisés. Claire-Mélanie Sinnhuber (née en 1973) : Petite, pour un(e) flûtiste. Rebecca Saunders (née en 1967) : Bite, pour flûte basse. Klaus Lang (né en 1971) : Origami, pour flûte accordéon et violoncelle. Colin Roche (né en 1974) : Roman au miroir (détail en lisière), pour trois voix parlées. Salvatore Sciarrino (né en 1947) : Venere che le Grazie la Fioriscono, pour flûte. Mu-Xuan Lin : Through the Glass of Chrysocolla, pour flûte basse, zheng et électronique. Shao-Wei Chou, flûtes ; Lola Malique, violoncelle ; Fanny Vicens, accordéon (Trio 20ᵉ dans le noir) ; Ling-Mu Kuo, zheng ; Yu-Chiao Yang, contes ; Yves-Vincent Davroux, photographie. 1 CD Soond. Enregistré au Conservatoire de Gennevilliers en septembre 2021. Notice de présentation en français, anglais et chinois. Durée : 79:00

 
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