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À Marvão, entre roche et ciel, la musique rencontre le silence

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Festival International de Musique de Marvão (FIMM). Portugal. Marvão. 21-VII-2023. Castelo de Marvão : œuvres d’Edvard Grieg (1843-1907), de Félix Mendelssohn (1809-1847), de Georges Bizet (1838-1875) et Unicórnio pour clarinette et orchestre de Ferran Cruixent (né en 1976) en création mondiale. Roman Patočka, violon ; Horácio Ferreira, clarinette ; Raphaela Gromes, violoncelle ; Orchestre de Chambre de Cologne, direction Christoph Poppen. 22-VII-2023. Église São Tiago : œuvres (dont arrangements) de divers compositeurs. Thorwald Jørgensen, Thérémine ; Kamilla Bystrova, piano. Église São Tiago : Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Clavier bien tempéré livre I. Aaron Pilsan, piano. Portalegre, Centre des arts et du spectacle : Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano et orchestre n°4 en sol majeur op.58 et Symphonie n°7 en la majeur op.92. Matthias Kirschnereit, piano ; Orchestre Gulbenkian, direction Miguel Sepúlveda. 23-VII-2023. Marvão, Église N. Sra da Estrela. « Vozes Celestes » Pièces a capella de divers compositeurs. Choeur Ricercare, direction Pedro Teixeira. Marvão. Église de São Tiago. Franz Schubert (1797-1828) : Sonate pour violon et piano en la majeur D.574 ; Sonate en la mineur « Arpeggione » D. 821 ; Trio n°2 en mi bémol majeur D.929. Ye-Eun Choi, violon ; Raphaela Gromes, violoncelle; Julian Riem, piano. Citerne du château de Marvão : Pièces pour soprano, violon et violoncelle de divers compositeurs, dont Canção das Ninfas de Manuel Fischer-Dieskau (né en 1963). Juliane Banse, soprano ; Christoph Poppen, violon ; Manuel Fischer-Dieskau, violoncelle

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Dominant la Serra do Sapoio dans la région de l'Alentejo au Portugal, le village de Marvão accueille la neuvième édition de son Festival international de musique créé par le violoniste chef d'orchestre et la soprano . Un trésor au cœur de la péninsule ibérique. 

Du haut du donjon de la forteresse couronnée d'un ballet d'hirondelles, à 860 mètres d'altitude, la vue panoramique sur les paysages de l'Alentejo est époustouflante. Comme le silence seulement troublé par les cris des oiseaux et le léger souffle du vent. « Ici, en écoutant le silence, la musique de Mozart est arrivée ». Christophe Poppen et son épouse découvrent ainsi Marvão lors d'une excursion à vélo il y a douze ans. Coup de foudre : une maison est à vendre, ils l'achètent, et décident de créer au départ de leur propres deniers ce qui deviendra un grand festival de musique. (aujourd'hui sous le haut patronage du Président de la République du Portugal, et soutenu par de nombreux mécènes). L'Espagne à ses pieds – la frontière n'est qu'à dix kilomètres – Marvão petit village né du temps des Maures au IXᵉ siècle, repris par les chrétiens au XIIᵉ, portugais au XVIIᵉ à l'issue des guerres de restauration et d'indépendance, devient pendant dix jours l'épicentre d'une activité musicale intense où convergent des musiciens des quatre coins du monde venus donner quelques trente concerts. 

Une création mondiale en ouverture

À l'abri du vent, dans l'enceinte du château à ciel ouvert, les pupitres de cordes de l', sous la baguette de , rivalisent de finesse dans la Suite du temps de Holberg op.40 d'Edvard Grieg : élégance de la Sarabande portée par le chant suave des violoncelles, grâce suprême de la Gavotte, gravité émouvante de l'Andante religioso, dialogue raffiné du violon et de l'alto solos dans le Rigaudon donnent le ton de ce concert inaugural qui réserve une heureuse découverte. Passé le Concerto pour violon en ré mineur de Félix Mendelssohn joué tout en fluidité et en nuances par le praguois , l'on ne s'attend pas, avant d'écouter la création d'Unicórnio, concerto pour clarinette et orchestre du compositeur catalan (commande exclusive du Festival), au sortilège de cette œuvre magnifiquement écrite qui tient l'oreille captive du moindre de ses sons ! Sur le riche tissu orchestral alternant motifs répétitifs et subtile polyphonie, émaillé d'inflexions sonores par micro-intervalles et de chavirants glissandi de cordes, le clarinettiste Horácio Ferreira fait naître un monde sonore d'une indicible poésie, d'une élégance et d'une hauteur d'âme confondantes. Et, tandis que la nuit tombe, ce sont miroitements, souples volutes et vibrations à fleur de sons, soupirs, et lumineux chants d'oiseaux qui s'élèvent projetant leurs couleurs infinies, exubérantes parfois, jusqu'au prodigieux évanouissement des cordes… Le concert se termine, festif, par une Fantaisie pour violoncelle et orchestre sur les thèmes de Carmen de , séduisant florilège réalisé par le pianiste Julian Riem pour la violoncelliste . 

Du thérémine au violoncelle à São Tiago : plus d'une surprise 

Le lendemain, un superbe lever de soleil fait resplendir le blanc immaculé des maisons et des églises, aux baies soulignées de granit. Une nouvelle surprise attend le festivalier dans l'église de São Tiago, joyau finement orné de marbre, de bois peint et doré (joli retable baroque) et d'azulejos du XVIIᵉ siècle : le dialogue improbable du piano et du thérémine, cet instrument inventé en 1920, supplanté plus tard par les ondes Martenot, auquel le néerlandais a décidé de se consacrer voici quinze ans, après une carrière de percussionniste. Il faut passer sur sa justesse qui ne peut être de l'ordre de l'absolu, pour s'ébahir du potentiel expressif de l'instrument, que Jørgensen sollicite en permanence, dans un répertoire (dont certaines pièces arrangées, comme la Sonate posthume de Ravel) chevauchant les XIXᵉ et XXᵉ siècles, de Bruch à Messiaen (superbe Vocalise). Le buste immobile, il sculpte les ondes de ses mains, déployant des sonorités rondes et chaudes comme celles d'un violoncelle, ou effilées comme celles d'un violon, mais en l'absence du frottement matériel de l'archet sur la corde, comme désincarnées, sorties d'un rêve. On se souviendra de Distant shores, cette pièce originale et méditative écrite par lui, tableau sonore laissant entendre en superpositions le ressac marin, les mouettes, et le chant de sa voix grave par-dessus.

Le piano sonnera encore dans l'église. D'abord en solo sous les doigts du pianiste autrichien qui donne le Livre 1 du Clavecin bien tempéré de . Sobriété, conduite naturelle et objective clarté du discours sont ici privilégiées, faisant de la somme des 24 Préludes et Fugues une œuvre-fleuve d'une unité de ton constante. Ensuite en duo et en trio pour la première des trois schubertiades, fil rouge de l'édition. On retiendra surtout de ce concert la Sonate Arpeggione D.821 jouée par et Julian Riem, foisonnante d'idées expressives, de nuances, vivante à souhait. Deux interprètes qu'il faut suivre : l'une au jeu libre, généreux, sensible, imaginatif, et l'autre tout aussi présent musicalement, portant une attention de tous les instants à sa partenaire, respirant avec elle. Ils se distinguent aussi dans le Trio n°2 D.929, adaptant cependant leur jeu au violon impétueux de Ye-Eun Choi.


En découverte, la fine fleur des musiciens portugais

Diversifiée, la programmation compte aussi des chants a capella. Dans l'église Nossa Senhora da Estrela en contre-bas du village, découvrir par un bel après-midi le que dirige depuis 2001 interpréter des chants sacrés contemporains n'est pas une moindre surprise. Attaché à promouvoir la musique de jeunes compositeurs portugais, il y donne, après l'admirable Ave Generosa d' en guise d'introduction, quelques unes de leurs pièces (de João Monteiro et Alfredo Teixeira), entourées de celles de leurs homologues anglais, norvégien, polonais, italien, américain (James MacMillan, Ola Gjeilo, Marek Raczyński, Paolo Orlandi, John Taverner…). « Vozes Celestes », les voix particulièrement rayonnantes des femmes de ce chœur – dont bien d'autres pourraient envier la plasticité – illuminent la riche polyphonie de ce répertoire. 

La musique du festival rayonne également au-delà du village, pour se répandre alentours, à Portalegre, et même jusqu'à Valencia de Alcántara, sa voisine espagnole. Si à Portalegre, comme à Aubusson, la tradition artistique est vouée depuis des lustres à la tapisserie dont la ville peut s'enorgueillir – quelques exemplaires anciens et modernes étant d'ailleurs visibles dans l'église de Marvão – la musique ne laisse pas indifférents ses habitants, venus en grand nombre en son Centre des arts et spectacles écouter Beethoven par l'Orchestre Gulbenkian. À sa tête, un inconnu de 25 ans, mais qui ne pourrait plus l'être très longtemps bien au-delà des frontières du pays ! Le jeune chef portugais est invité à diriger pour la première fois l'excellente phalange lisboète. Tout captive dans sa direction : la clarté et l'extrême précision de ses gestes, la majesté de sa vision qu'il sait insuffler avec tenue et élégance, l'énergie étourdissante qu'il communique à l'orchestre qui répond par le trait nerveux et précis de ses cordes dans le presto et le finale de la Symphonie n°7 op.92 de …Et quel allegretto, qu'il fait avancer sans l'appesantir, mais en le chantant, en le respirant comme une prière adressée au monde ! 

Tout cela en trois jours seulement, avec une ultime surprise nocturne dans la grande citerne voûtée du château, vidée de son eau : les accents poignants de la somptueuse voix de Juliane Banse, accompagnée de au violon et de au violoncelle, dont en entend après Chostakovitch, Ligeti et Taverner, Canção das Ninfas son cycle pour soprano, violon et violoncelle donné en création mondiale. Ambiance on ne peut plus particulière !

L'an prochain, le festival fêtera ses dix ans. Alors, entre roche et ciel, tout en haut de Marvão, au cœur du silence il y aura Mozart. Pas une sonate, pas une symphonie…mais pour la première fois un opéra : L'Enlèvement au sérail… Et au-delà, d'ici une petite poignée d'années, un autre projet plus ambitieux encore, dont on peut parier qu'il verra le jour : cette salle de concerts imaginée, rêvée par Christoph Poppen. Marvão et son festival le valent bien ! 

Crédits photographiques © FIMM – Paulo Gouveia / Estela Álvarez Ruiz

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Festival International de Musique de Marvão (FIMM). Portugal. Marvão. 21-VII-2023. Castelo de Marvão : œuvres d’Edvard Grieg (1843-1907), de Félix Mendelssohn (1809-1847), de Georges Bizet (1838-1875) et Unicórnio pour clarinette et orchestre de Ferran Cruixent (né en 1976) en création mondiale. Roman Patočka, violon ; Horácio Ferreira, clarinette ; Raphaela Gromes, violoncelle ; Orchestre de Chambre de Cologne, direction Christoph Poppen. 22-VII-2023. Église São Tiago : œuvres (dont arrangements) de divers compositeurs. Thorwald Jørgensen, Thérémine ; Kamilla Bystrova, piano. Église São Tiago : Johann Sebastian Bach (1685-1750) : Clavier bien tempéré livre I. Aaron Pilsan, piano. Portalegre, Centre des arts et du spectacle : Ludwig van Beethoven (1770-1827) : Concerto pour piano et orchestre n°4 en sol majeur op.58 et Symphonie n°7 en la majeur op.92. Matthias Kirschnereit, piano ; Orchestre Gulbenkian, direction Miguel Sepúlveda. 23-VII-2023. Marvão, Église N. Sra da Estrela. « Vozes Celestes » Pièces a capella de divers compositeurs. Choeur Ricercare, direction Pedro Teixeira. Marvão. Église de São Tiago. Franz Schubert (1797-1828) : Sonate pour violon et piano en la majeur D.574 ; Sonate en la mineur « Arpeggione » D. 821 ; Trio n°2 en mi bémol majeur D.929. Ye-Eun Choi, violon ; Raphaela Gromes, violoncelle; Julian Riem, piano. Citerne du château de Marvão : Pièces pour soprano, violon et violoncelle de divers compositeurs, dont Canção das Ninfas de Manuel Fischer-Dieskau (né en 1963). Juliane Banse, soprano ; Christoph Poppen, violon ; Manuel Fischer-Dieskau, violoncelle

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