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Ivo Pogorelich en majesté à la Philharmonie de Paris

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Paris. Philharmonie de Paris ; Grande Salle Pierre Boulez. 08-XI-2023. Frédéric Chopin (1810-1849) : Polonaise-Fantaisie op. 61. Sonate n° 3 en si mineur op. 58. Fantaisie en fa mineur op. 49. Berceuse op. 57. Barcarolle op.60. Ivo Pogorelich, piano

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Pour la première fois à la Philharmonie de Paris, trouve une salle presque pleine et idéale par l'ampleur pour son récital intégralement dévolu à Chopin, identique par les pièces à celui de 2021 à Gaveau, avec comme point d'orgue une très grande Sonate n°3.

Quelques mois avant l'ouverture de la Philharmonie de Paris, avait interprété le Concerto pour piano de Schumann à la Cité de la Musique, avec Michel Tabachnik à la direction. Depuis, il est revenu plusieurs fois dans la capitale française, mais toujours dans l'acoustique plus intime de la Salle Gaveau.

Comme à son habitude, le pianiste est déjà présent pendant que le public s'installe, emmitouflé dans de gros vêtements, le bonnet rouge de la dernière fois troqué contre un bonnet bleu, jusqu'à ce que quelqu'un vienne le chercher pour le prévenir de se préparer. C'est en queue de pie et nœud papillon qu'il revient quinze minutes plus tard sur la scène de la Philharmonie pour cinq œuvres de Chopin. La Polonaise-Fantaisie op.61 débute le récital, et si elle dure habituellement douze à treize minutes sous les doigts d'autres pianistes, elle en fait ici presque dix-huit, désarticulée dans l'introduction, avec de beaux moments de magie dans son développement, et une vraie puissance évocatrice du dernier Chopin dans sa coda.

Déplacée par Pogorelich bien derrière lui, afin de lui laisser la liberté totale de ses mouvements, la tourneuse de page doit se lever à chaque fois qu'elle touche à la partition, en plus de devoir s'adapter à toutes les manies du pianiste et notamment à la fin, devant remettre les feuillets vieillis dans des pochettes plastiques, pour lui rendre impérativement avant même qu'il ne salue le public. Sans même s'embêter à retourner en coulisse, Pogorelich se rassoie devant le Steinway (troqué contre les Yamaha des derniers récitals de Gaveau) pour débuter la Sonate n°3 en si mineur op.58, de laquelle il fait ressortir à l'Allegro maestoso de superbes couleurs et une douce mélancolie. Le doigté choisi (celui de l'exposition par exemple) convie à une sonorité très personnelle de certaines parties.

De cette œuvre, elle aussi élargie pour dépasser les trente minutes, se dégage toujours l'approche unique de l'interprète, d'une ampleur particulièrement mise en valeur par la grande salle parisienne. Et si on peut ne pas adhérer à cette proposition, on ne peut lui dénier une grande maestria et une part indiscutable de génie. Avec ce toucher de l'ancienne école russe qu'il est l'un des derniers à posséder, le pianiste développe d'une douce émotion le second thème, pour nous plonger ensuite dans un Scherzo non exempt de fausses notes, mais toujours à même de démontrer l'agilité du phrasé et de magnifiques coloris à la main droite. D'à peine trois minutes, ce mouvement cède rapidement sa place au Largo, qui donne ici du temps au temps pour s'épancher, serein mais toujours perturbé, vite rattrapé par des déferlantes d'arpèges dans lesquels Pogorelich plonge, n'hésitant pas à faire gronder le piano par la pédale lorsqu'il le faut. D'une fantastique dextérité, le Finale : Presto non tanto achève de fasciner l'auditoire, à présent parfaitement silencieux pour profiter du geste fluide en même temps que cadencé du prodige, avant une coda tout en subtilité, où le pianiste parvient à présenter l'avant-dernier accord comme s'il s'agissait du dernier, laissant à l'ultime instant le soin d'achever une interprétation splendide.

En seconde partie, la Fantaisie en fa mineur op.49 très sombre et lente prend du temps à nous remettre dans le concert, sans atteindre le même niveau que la sonate, ni qu'une Berceuse en ré bémol majeur op.57 enchaînée presque directement. Ici, on retrouve cette puissance évocatrice, toujours contenue et si géniale sous les mains d'. Très concentré sur son clavier, il touche au début souvent à côté malgré le tempo encore très mesuré utilisé, puis développe d'une superbe luminosité le thème et les petites variations appareillées. La Barcarolle en fa dièse majeur op.60 conclut ce récital dédié aux œuvres du dernier Chopin, avec une cantilène magnifique, finement éclairée pour distiller l'émotion d'une douce intensité. La coda offre une place définitive à la virtuosité, là encore achevée en plusieurs temps par les accords précédant les quatre octaves conclusives, très appuyées.

D'un pianiste classique, on attendrait plusieurs allers-retours en coulisse et de longs applaudissements pour finalement offrir un bis, mais Ivo Pogorelich est toujours aussi particulier, et c'est juste après un tour sur lui-même pour saluer tous les publics de la Philharmonie qu'il annonce directement : « Chopin ; Prélude ; opus 45 ». À peine achevé, il ressort une dernière partition d'une pochette plastifiée pour annoncer encore « Chopin ; Nocturne ; opus 62 ; numéro 2 » et entrer une dernière fois dans l'intériorité de l'artiste, avec son ultime nocturne composé. Le tabouret vite rangé sous le piano, il place celui de la tourneuse de page à la verticale derrière : la soirée est terminée.

Crédits photographiques : © ResMusica

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