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Micromégas aux Next Opera Days de Bruxelles

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Bruxelles. Les Brigittines – La Chapelle. 11-XI-2023. Festival Next Opéra Days. Line Adam (née en 1972), Anne Martin (née en 1969), Benoît Menut (né en 1977), Alexander Vert (né en 1976) : Micromégas, opéra pour trois chanteuses, ensemble instrumental et vidéo sur un livret d’Alexandre Castant. Thomas Pénanguer, vidéo et scénographie. Avec : Blandine Coulon, Katalin Károlyi, Elise Gäbele, chant ; Ensemble Musiques nouvelles, direction : Jean-Paul Dessy

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Par-delà la diversité des esthétiques et des angles de vue, quatre compositeurs.trices et un vidéaste relèvent le défi de l'œuvre collective dans Micromégas. L'ouvrage lyrique est à l'affiche des Next Opera Days de Bruxelles, dont écrit le livret d'après le conte fantastique de Voltaire.

En huit dates et une douzaine de jours, Next Opera Days de Bruxelles est un nouveau rendez-vous initié par Bruno Letort, une biennale qui s'installe en alternance avec le festival Ars Musica et se concentre sur l'opéra, ses nouveaux formats, sa rencontre avec les autres arts et l'apport des nouvelles technologies. Pas de décors sur le plateau pour Micromégas mais la scénographie visuelle de . Quant au projet collectif, encore assez rare dans le milieu musical, il est mené par quatre compositrices et compositeurs, , , et et met sur scène trois chanteuses et un ensemble instrumental. en assure la coordination, qui a collaboré à l'élaboration du livret et clarifié la part de chacun. Le texte reste fidèle au déroulement de cette « histoire philosophique » qu' resserre et découpe en six actes précédés d'un prologue avec récitant, là où Voltaire (dans un premier chapitre) expose de manière alerte les perspectives du voyage de Micromégas.

C'est , compositrice belge formée au Conservatoire Royal de Bruxelles dans la classe de Claude Ledoux, qui prend en main le prologue. Il démarre sur un motif énergétique de la guitare électrique qui imprime une couleur pop-rock, la batterie aidant, à cette première partie. Entre signaux sonores et nappes flottantes, la musique évolue dans un registre clair, voyageant « de rayon de soleil en comète ». Les interventions du récitant alternent avec la partie instrumentale ou s'inscrivent en surimpression. La voix off n'est autre que celle du librettiste , voix féline et caressante qui semble glisser d'étoile en étoile comme l'équipage de Micromégas. L'ensemble belge Musiques nouvelles darde ses couleurs sous la direction de son chef .

Les Acte I et II sont confiés à , compositrice belge également, dont le catalogue compte une centaine de musiques de film et deux opéras. Dans l'acte I, Micromégas s'entretient avec le Secrétaire de l'Académie de Saturne, les deux géants devisant sur leur taille, leur existence, la nature, les couleurs de leur soleil… Autant de suggestions retenues par la vidéo dont les morphologies jaunes et le tressage des matières font merveille. On regrette parfois l'absence de surtitres même si le débit lent du discours chanté (Poulence demeure) favorise la compréhension des paroles. et , toutes deux mezzo-sopranos rompues à la scène et à l'expérience du théâtre musical, sont épatantes, donnant du relief et du piquant au dialogue plein d'ironie. La scène est drôle, en mode pathétique au début de l'acte II, où la maîtresse du Saturnien (la soprano Élise Gäbele dans tous ses éclats) fait une scène à son amant qui la quitte pour aller voyager avec un géant d'un autre monde… L'allusion au clavecin oculaire du Père Castel en lien avec l'aurore boréale de 1737 ( fait parler ses personnages) donne lieu à l'une des visions immersives les plus sensibles de notre vidéaste.

Le registre et la temporalité basculent dans les actes 3 et 4. L'arrivée sur la planète Terre s'origine sur une fréquence longuement entretenue et progressivement enrichie dont (compositeur et directeur de la compagnie Flashback) fait ressentir presque physiquement les vibrations. Il mixe le flux électronique et les sonorités instrumentales, piano et guitare électrique, chant profond du violoncelle et touches colorées de la percussion. Nos deux extra-terrestres observent la vie sur ce globe ridicule avec leur loupe respective, rentrant en contact avec les habitants grâce à leur cornet auditif. fait appel à l'auto-tune, un logiciel aux vertus inouïes qui modifie le spectre harmonique des voix, leur donne un grain plus sombre et accuse l'étrangeté ; sans systématisme pour autant, le texte étant tour à tour scandé, psalmodié ou parlé-chanté. La trame sonore est animée, qui superpose ses strates et ses couleurs en phase avec le flux de la vidéo et met tous les sens en alerte : « Vous n'avez pas assez senti, ni même observé », fait remarquer Micromégas au Saturnien. Le compositeur cherche la fusion des timbres et des résonances, charriant une matière vocale et instrumentale peu à peu filtrée qui se tend vers les aigus jusqu'à la rupture : «  Les apparences sont souvent trompeuses… Avec ou sans microscope », conclut Micromégas dans un silence vertigineux qui referme l'acte 4.

La transition est superbe, celle de qui ouvre très grand l'espace, des graves résonnants du piano aux aigus lumineux de la percussion, traversé par les fulgurances d'un piccolo presque agressif et le murmure de voix qui s'affairent et qui comptent…

Le compositeur ne connait pas les bienfaits de l'auto-tune mais sait faire chanter les voix avec une singulière maestria, soucieux de compréhension, d'avancée dramaturgique et de flexibilité virtuose entre ligne mélodique et environnement instrumental. « Le narratif et le musical sont inséparables », lit-on dans l'interview lu dans les notes de programme ; « Je souhaite pour ma part transmettre au mieux le lien d'intelligibilité que je perçois et que je ressens entre les mots et la musique.

Il y a, chez lui, de la gourmandise à jouer avec le texte et l'enchevêtrement des mots, des voix et des timbres (les musiciens de Musiques nouvelles sont exemplaires !) qui ravit les sens dans ces deux derniers actes éminemment lyriques, incluant duo et trio vocaux. Le compositeur écrit pour Élise Gäbele/Le Terrien, une partie virtuose faisant apprécier toutes les facettes de ce soprano superbement timbré qu'il fait vocaliser. En valeur également, la voix de qui modèle son texte avec une plasticité idéale, entre voix parlée, déclamation et lyrisme déployé.

Le Postlude de Benoît Menut redonne la part belle à la guitare électrique avec une chanson mollement balancée, une sorte de blues ironique à la Voltaire pour refermer ce contre philosophique et nous laisser méditer sur le sens et les conséquences du « livre tout blanc».

Entre suggestions figuratives et en trois D (le globe terrestre en impose au début de l'opéra), anamorphoses, ambiances colorées et flux dans l'espace (la comète blanche), Thomas Pénanguer, vidéaste de la compagnie Flashback, embrasse d'un même geste artistique les quatre propositions et enchante ce voyage interplanétaire. L'artiste pilote en même temps deux caméras projetant à la fois sur l'écran de fond de scène et sur le tulle tendu en bord de plateau. La vidéo chez Pénanguer respire avec la musique et sait parfois s'abstraire pour recentrer l'intérêt sur le sonore : ainsi la magie du spectacle opère-t-elle, en vertu de cet équilibre toujours finement observé par l'artiste entre le flux des images et les trajectoires du son.

Crédit photographique : © Thomas Pénanguer et Antoine Porcher (Katalin Kátalyi/)

 

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