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Médée de Charpentier au Staatsoper unter den Linden par Sellars, Rattle et Kožená

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Berlin. Staatsoper. 23-XI-2023. Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : Médée, tragédie lyrique sur un livret de Thomas Corneille. Mise en scène : Peter Sellars ; décor : Frank Gehry ; costumes : Camille Assaf ; lumières : James F. Ingall. Avec Magdalena Kožená (Médée) ; Reinoud Van Mechelen (Jason), Luca Tittoto (Créon), Carolyn Sampson (Créuse), Jehanne Amzal (Cléone, L’Amour), Gyula Orendt (Oronte), Markéta Cukrová (Nérine, Bellone), Gonzalo Quinchahual (Arcas, La Jalousie), Dionysios Avgerinos (La Vengeance). Staatsopernchor ; Freiburger Barockorchester ; direction : Simon Rattle.

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Plutôt qu'un grand moment de musique ou de théâtre, la soirée est d'abord une saisissante installation plastique.


Médée
de Charpentier est un chef-d'œuvre, une œuvre essentielle qui devrait être jouée aussi souvent que les grands Mozart ou les grands Wagner. Deux productions dans deux maisons majeures en une saison, c'est certes encourageant – à cette nouvelle production berlinoise succédera une autre au Palais Garnier au printemps prochain – mais on le paiera sans doute les saisons prochaines par l'habituelle disette.

Le Staatsoper Berlin a fait de son mieux pour faire de ce spectacle un événement. , , , Frank Gehry : abondance de grands noms ne nuit pas. Kožená avait déjà abordé ce rôle terrible, dans une production bâloise qui  n'était pas convaincante ; elle y est cette fois plus à son aise, même si sa diction française reste perfectible (elle n'est pas la seule ce soir). La fin du rôle la trouve bien en adéquation, comme à Bâle, avec l'essentiel du personnage : en accord avec la mise en scène qui fait de Médée une immigrante en proie aux brimades des sbires du pouvoir en place, Kožená fait de son personnage d'abord douloureux, une femme blessée qui est une victime et non un monstre. Ce faisant, sa Médée n'a pas la même stature que celles de ses devancières Lorraine Hunt ou Stéphanie d'Oustrac, même si les deux derniers actes lui permettent de monter progressivement à un niveau d'émotion saisissant.

, lui, a une diction exemplaire, un style parfait et une voix sûre : il est certainement aujourd'hui le chanteur qui incarne le mieux le style des haute-contre de l'Académie royale de Musique, au disque aussi bien qu'à la scène. Le reste de la distribution, hélas, n'est pas du même niveau : Carolyn Sampson (Créuse) possède une diction acceptable et un sens du style qui lui permet d'exprimer l'essentiel, mais (Créon) n'a pas progressé depuis le spectacle bâlois, et l'ensemble des autres petits rôles reste en retrait, sans doute faute d'un accompagnement suffisant pendant la préparation du spectacle.

Tous les mélomanes qui fréquentent les salles d'opéra depuis quelques décennies ont leur histoire contrastée avec , une histoire faite de grands ratages, mais aussi de réussites spectaculaires, Theodora à Glyndebourne ou La Clemenza di Tito à Salzbourg – il vaut bien mieux un artiste inégal capable par moments de telles fulgurances plutôt qu'un tenant du juste milieu. Le présent spectacle, cependant, n'est ni un ratage, ni une révélation : il a pour lui d'abord sa beauté plastique, celle du décor de l'architecte Frank Gehry, auteur entre autres de la Boulez Saal qu'il a dessinée à deux pas du Staatsoper pour Daniel Barenboim, celle aussi de ses lumières : signées comme souvent par James Ingall, elles osent les couleurs les plus franches sans souci des convenances théâtrales, et c'est souvent idéal pour souligner les volumes et créer des contrastes. Dès l'entrée du public dans la salle, rideau ouvert, la vision est spectaculaire : c'est la beauté et un peu la limite de la soirée, cette saisissante installation de plasticien tient un peu lieu d'interprétation d'une œuvre qui a tant à offrir en matière théâtrale.

Sellars et Rattle ont raccourci la partition de presque une demie-heure, en taillant dans les divertissements pour se concentrer sur l'action : c'est une illusion d'optique, les divertissements servant de caisse de résonance au drame qui paraît ici par moments un peu précipité. Le prologue, au contraire, est bel et bien là. Sellars y fait un parallèle entre le monde de Louis XIV et celui de Créon : le tyran qui opprime Médée est le même que celui qui organise ce culte de la personnalité à sa propre gloire. C'est plutôt une bonne idée, et on retrouve avec admiration le savoir-faire de Sellars dans les scènes terribles où Médée fait cruellement payer ses trahisons à Créon : une vraie descente aux enfers dont le spectateur ne sort pas indemne.

L'intérêt de pour le répertoire baroque n'est pas inconnu : il s'est par exemple intéressé à plusieurs reprises aux Boréades de Rameau, mais Charpentier est encore une toute autre affaire. Très applaudi par le public berlinois dès son entrée en fosse, il ne peut pas rivaliser avec les meilleurs spécialistes de ce répertoire ; à défaut de pouvoir vraiment travailler les couleurs et les rythmes pour donner à chaque air, à chaque danse, à chaque chœur son identité propre, il propose un accompagnement efficace et vivant, qui ne risque pas de détourner l'attention des beautés visuelles proposées par Sellars, Gehry et Ingall.

Crédits photographiques : © Ruth Waltz

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Berlin. Staatsoper. 23-XI-2023. Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : Médée, tragédie lyrique sur un livret de Thomas Corneille. Mise en scène : Peter Sellars ; décor : Frank Gehry ; costumes : Camille Assaf ; lumières : James F. Ingall. Avec Magdalena Kožená (Médée) ; Reinoud Van Mechelen (Jason), Luca Tittoto (Créon), Carolyn Sampson (Créuse), Jehanne Amzal (Cléone, L’Amour), Gyula Orendt (Oronte), Markéta Cukrová (Nérine, Bellone), Gonzalo Quinchahual (Arcas, La Jalousie), Dionysios Avgerinos (La Vengeance). Staatsopernchor ; Freiburger Barockorchester ; direction : Simon Rattle.

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