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La Sixième de Mahler par Mikko Franck : et à la fin c’est l’homme qui gagne

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Dijon. Auditorium. 15-II-2024. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 6 en la mineur, dite « Tragique ». Orchestre philharmonique de Radio France, direction : Mikko Franck

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La baguette apollinienne de s'empare de la symphonie la plus désespérée du répertoire.

Venant après les irrésistibles sommets de séduction mélodique, les programmes et les innovations (chœurs, solistes, nombre des mouvements) des premières symphonies, la Symphonie n°6 de apparut comme un retour aux sources classiques avec ses quatre mouvements uniment orchestraux. Elle innovait pourtant encore avec ses invités inédits (xylophone, célesta, marteau et cloches de vaches) et son refus de la fin heureuse qui lui valut d'être un moment baptisée Tragique par son auteur, qui ne savait pas encore que, dans dans la foulée de sa création à Essen en 1906, les trois coups de Donner frappés dans son harassant Finale allaient tenter de l'abattre lui aussi : perte d'un enfant, démission forcée de l'Opéra de Vienne, découverte des problèmes cardiaques qui devaient l'emporter cinq ans plus tard. Commencée dans le cauchemar d'un bruit de bottes, la sixième symphonie de Mahler se dissout dans le plus grand trou noir (à ce jour) de l'Histoire de la Musique.

Longtemps les neuf symphonies de Beethoven ont régné en maîtresses dans l'initiation musicale des mélomanes du monde entier. Karajan les a enregistrées par trois fois. Si le poumon du XXème siècle musical a respiré à l'aune de ces chefs-d'œuvre immarcescibles, il n'apparaît pas exagéré d'affirmer qu'au XXIème, ce sont les neuf de Mahler qui font figure d'oxygène symphonique, comme on peut le constater encore ce soir dans l'immense Auditorium dijonnais sans une place laissée vacante. Ludwig a passé la main à Gustav, et Herbert à Leonard. Bernstein (c'est le chef américain que le formidable Maestro de Bradley Cooper montre en transe mahlérienne) n'a eu de cesse de remettre sur le métier les neuf opéras symphoniques du compositeur autrichien, qu'il avouait diriger comme s'il les avait composés lui-même, littéralement possédé par la hauteur de leur inspiration: « Pourquoi m'investir autant, au point d'être une loque après avoir fini un mouvement d'une symphonie de Mahler? Je suis essoufflé, trempé et tremblant. J'ai mal à la tête et mon estomac est remonté quelque part dans ma tête. Pourquoi ne pas rester là à battre la mesure et laisser tout se faire tout seul ?».

, à la tête, depuis 2015, de l', ne semble pas se poser autant de questions. Souriant et décidé, aussi impatient d'en découdre que résolu à ne pas s'en laisser compter par la marche au supplice en la mineur que le compositeur autrichien composa au début d'un siècle dont les avancées technologiques allaient faire, 60 ans plus tard, que son temps advienne : star cinématographique (Mort à Venise de Lucchino Visconti en 1971), et star discographique. , c'est d'emblée l'anti-Bernstein. Dirigeant tour à tour debout ou assis (tout le Finale notamment), on le retrouve en pleine santé au moment des acclamations. Mikko Franck, c'est le tragique apollinien.

Armé comme David contre Goliath face au fatum cataclysmique déclenché par la partition, le chef finlandais, par le biais d'une gestique toute en volutes amples et harmonieuses, ne se départira pas d'un calme olympien que l'on devine nourri par l'admiration qu'il semble porter à l'ensemble des pupitres du Philharmonique de Radio France. La phalange en très grande forme (malgré de fugaces frissons aux cuivres) fait rutiler chaque minute d'une œuvre qui fut longtemps une noix dure à craquer pour le mahlérien en herbe découvrant les symphonies dans leur ordre chronologique.

L'Allegro energico ma non troppo, roboratif en diable, trouve d'emblée ton et allure, d'un équilibre souverain. Très attendus, le fameux motto majeur/mineur sous fracas de timbales qui reviendra jusqu'au finale, les émois tremblotants du célesta, l'apesanteur des cloches de vaches hors-champ, d'une luminosité diaphane et quasi-féérique, et même, au passage, quelques détails que le plus fûté des micros n'avait pas encore captés: Franck connaît son Mahler.

Il tord sans atermoiements le cou au serpent de mer récurrent de la symphonie : le Scherzo, qu'entre la générale et la première, Mahler décala à la troisième place, garde sa position de bis repetita du premier mouvement. Avec ses « jeux arythmiques des enfants» authentifiés par Alma Mahler, ce mouvement, toujours étrange avec ses sautes d'humeur naviguant d'un instrumentiste à l'autre de cet orchestre de solistes voulu rêvé par le compositeur, surprend à la première audition mais, placé là, il permet à la nausée des premières mesures du Finale de faire son effet maximal dès lors qu'enchaînée à l'Andante plutôt qu'au Scherzo.

L'oasis de quinze minutes apaisées qui suit confirme l'ambition de voir les forces positives l'emporter, mais aussi la texture somptueuse des cordes, et même la profondeur quasi-nordique de bois qu'on croirait venus du froid sibelien de la Quatrième du compositeur finlandais, futur autre trou noir du répertoire.

La rage de vivre reste intacte tout au long d'un Finale qui, comme Leonard Bernstein avec les Wiener Philharmoniker, dépasse les trente minutes, et que, pour une fois, alors que vient de résonner le pizzicato conclusif, on ne parviendra pas à trouver sans issue. Avec Mikko Franck, on aura eu jusqu'au bout le sentiment que c'est l'Homme qui l'aura emporté aux points et l'on ne songerait donc absolument pas à déplorer, qu'à l'instar de Mahler, le chef finlandais a supprimé le troisième coup de marteau, celui censé le faire « tomber comme un arbre. »

Crédit photographique © Opéra de Dijon

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