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L’esprit « In Between » de Pierre Bleuse et ses musiciens

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Paris ; Cité de la Musique – Philharmonie. 29-III-2024. Marco Suarez-Cifuentes (1974) : Five Black Rivers – Amazones (CM) ; Mikel Urquiza (né en 1988) : Actes manqués, pour harpe chromatique électrique (CM) ; Thomas Larcher (né en 1963) : The Living Mountain, pour soprano et ensemble ; Rebecca Saunders (née en 1967) : a visible trace, pour 11 instrumentistes et chef d’orchestre ; Bastien David (né en 1990) : Pièce pour piano et soixante doigts ; Pasquale Corrado (né en 1979) : Tutto in un punto, pour clarinette et ensemble (CM). Katrien Baerts, soprano ; Jérôme Comte, clarinette ; Valeria Kafelnikov, harpe ; Ensemble Intercontemporain ; Clément Marie, ingénieur son ; Yann Brecy, RIM ; Jean-Marc Chomaz, architectures musicales hydrodynamiques ; Samuel Ferrand, mise en lumière.

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Proposer de nouveaux formats de concert et instaurer une plus grande proximité entre public et artistes : c'est l'esprit in Between de l'EIC et son directeur qui ont imaginé, pour ce concert XXL joué à guichet fermé, un dispositif original qui met en scène la musique.

Dans la Salle des concerts, modulable, les sièges du parterre ont été en partie retirés tandis qu'un autre plateau est érigé en fond de salle, sous le balcon. Une invitation pour le public debout à déambuler à son gré autour de l'œuvre-installation du Colombien Marco Suáres-Cifuentes, compositeur, chercheur et réalisateur en informatique. Five Black Rivers – Amazones, pour clarinette basse, violoncelle et contrebasse amplifiés, commande de l'Intercontemporain, est la première proposition d'un cycle de cinq œuvres « conçues comme des architectures musicales hydrodynamiques », prévient le compositeur. Entendons par là l'idée d'une interrelation entre le jeu sonorisé des trois instruments spatialisés et le débit d'eau des trois installations de pluie, conçues par l'artiste plasticien et érigées au centre de la salle : « J'ai toujours exploré dans mes créations des outils pour construire des œuvres à dimensions multiples, insaisissables d'un seul point de vue ou d'écoute », explique-t-il encore. Las ! Nous étions assis au balcon, certes séduit par l'effet des lumières stroboscopiques multi-fréquences sur les chutes d'eau et le jeu instrumental très investi des musiciens mais privé de l'expérience perceptive changeante dont parle Suáres-Cifuentes.

La deuxième pièce jouée sur le plateau de fond de salle permet une vue plongeante sur la petite harpe chromatique électrique de , un prototype, nous dit-elle. Comme la guitare électrique, elle a son ampli en bord de plateau et ses pédales d'effet dont le compositeur va faire son miel. Le titre,  Actes manqués, est prometteur pour qui connait l'esprit frondeur du compositeur basque. Ainsi les arpèges élégamment déployés par la harpiste dans le premier mouvement sont-ils ruinés par des événements bruités (pas de côté) qui déroutent notre écoute. On retrouve ce même cas de figure dans le troisième mouvement où tourne sous les doigts de la harpiste un petit air angélique toujours « empêché ». La partie centrale est une musique de gestes avec accessoires : un bottelneck pour les glissades et autres granulations, un fil tiré horizontalement pour les vibrations, entre bruits et chatouillements. L'écriture est enlevée autant que virtuose et au taquet pour tirer de son petit instrument ce théâtre de sons délicieux.

est à la tête de son ensemble dans The Living Mountain (2019-2020), une pièce pour soprano et ensemble du compositeur et pianiste autrichien que le label ECM records a gravée en 2023. Larcher y met en musique un texte du poète naturaliste écossais Nan Shepherd décrivant sous forme de récit les impressions d'un voyageur face à la nature. Les réminiscences mahlériennes sont nombreuses dans une partition à l'orchestration ciselée et aux couleurs recherchées : celles de l'accordéon (Vincent Lhermet) et de la percussion très active (steel-drums, plaque tonnerre, cloches, bâton de pluie, etc.) suggérant le décor. La soprano belge , qui débute une collaboration avec l'EIC, n'est pas une grande voix mais assume avec vaillance et un joli timbre une écriture exigeante qui met parfois ses aigus au défit. On aurait aimé plus de clarté dans l'articulation du texte dont on peine, du balcon, à reconnaître la langue même.

La seconde partie de ce concert fleuve débute par un hommage émouvant au très regretté Péter Eötvös, autre figure tutélaire de l' que le maître hongrois a dirigé durant douze années. Erdenklavier, Himmelklavier (« Piano de terre – Piano de ciel ») est joué par Dimitri Vassilakis. Cette courte pièce (3′) de 2003 a été composée en hommage à qui venait de mourir.

« Écrire de la musique passe par l'expérience physique du son », confie dont la partition a visible trace, pour onze solistes et chef d'orchestre (2006) est à l'affiche de la seconde partie du concert. Installé avec ses musiciens sur le plateau de fond de salle, , vu de face, sculpte dans l'espace les morphologies sonores tandis que les musiciens en restituent superbement la plasticité avec une tension énergétique qui tient l'écoute captive.

Ils sont six autour du piano qui trône au centre de la Salle des concerts, entourés du public debout dont l'œil et l'oreille sont aux aguets ; car l'œuvre est à voir autant qu'à entendre. Sont conviés, dans Pièce pour piano et soixante doigts du jeune trublion de la création, , les trois percussionnistes et les trois pianistes de l'EIC, invités à scruter dans tous ses recoins et ses potentialités sonores le grand Steinway de concert. La banquette est longue pour accueillir au clavier les trois pianistes ; mais ils sont également dans les cordes de l'instrument, avec les percussionnistes et leurs baguettes pour nourrir la polyrythmie, entretenir la résonance et autres phénomènes bruités qui animent ce joyeux concertino dont la combinatoire n'admet aucune défaillance. aime, dans ses partitions, susciter le « jouer ensemble », avec le piano comme avec son métallophone à six percussionnistes dont la pièce de ce soir laisse entendre quelques pré-échos.

La soirée s'achève avec la création de Tutto in un punto pour clarinette et ensemble, œuvre « déambulatoire », spectaculaire et follement virtuose, de l'Italien mettant en vedette le soliste . Le compositeur s'inspire de cinq scènes des Cosmicomics d'Italo Calvino, des récits entre fables et purs délires qui abreuvent son imagination sonore et tissent la dramaturgie musicale. Le chef et les musiciens voyagent d'un plateau à l'autre, la trajectoire prévoyant au mitan de l'œuvre une « scène » en trio au centre de la salle, clarinette, clarinette basse et piano se frayant un passage au sein du public. La partie soliste, intégrant une cadence comme dans un concerto, est taillée sur mesure pour le clarinettiste hors norme assumant les contours d'une écriture débridée, à fleur d'improvisation et sans répit durant près de vingt minutes ! Fulgurance du trait, multiphoniques, glissements microtonals, bisbigliandi et déploiements jouissifs portés par la narration sous-jacente. L'ensemble instrumental n'est pas en reste, réactif et participatif, qui accompagne le soliste dans ses débordements sonores : une dernière œuvre qui ne manque pas son effet auprès d'un public très enthousiaste faisant revenir plusieurs fois sur la scène les acteurs de cette soirée mémorable.

Crédit photographique : © Ensemble Intercontzemporain

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