Il Trittico à Bastille : Asmik Grigorian, trois fois valent mieux qu’une…
Cette nouvelle production d'Il Trittico à l'Opéra Bastille voit le triple succès de la soprano Asmik Grigorian qui incarne les trois héroïnes principales de la trilogie de Puccini, entourée d'une formidable distribution vocale, dans une mise en scène éloquente de Christof Loy, sous la direction musicale haute en couleur de Carlo Rizzi.

Un sans faute : voilà bien une nouvelle production de l'Opéra de Paris (en coproduction avec le festival de Salzbourg) qui fera date du fait, d'abord de la rareté sur la scène parisienne de cette trilogie puccinienne (il faut remonter en 1987 Salle Favart sous la houlette de Jean-Louis Martinoty et plus récemment en 2010 dans la mouture de Luca Ronconi), également par le fait qu'elle soit donnée dans son entièreté et non fractionnée, et surtout qu'elle soit chantée par une même soprano le long de ses trois volets : la magnétique soprano Asmik Grigorian reprenant avec un brio confondant le flambeau de Gilda dalla Rizza, pionnière de cet exploit vocal et scénique, en 1920 à Covent Garden.
Si Puccini avait conçu ces trois opéras bien différents comme un tout (inspiré des trois poèmes de la Divine Comédie de Dante), en commençant par le drame d'Il Tabarro, le metteur en scène Christof Loy pour ses débuts à l'OnP choisit un ordre inhabituel dont on saluera le bien-fondé, en progressant « a contrario » de la farce au drame, ouvrant la soirée avec Gianni Schicchi, suivi du drame naturaliste d'Il Tabarro, avant de conclure par la tragique et mystique Suor Angélica dans une progression dramaturgique croissante.

Malgré ce semblant d'unité qui pourrait s'assimiler à un véritable parcours initiatique, la mise en scène de Christof Loy respecte parfaitement la césure entre les trois opéras qui se déroulent dans trois univers dissemblables : la chambre d'un notable florentin, les brumeux quais de Seine et une grande salle épurée de couvent. Le metteur en scène transpose l'action dans notre monde contemporain, ce dont témoignent les costumes concoctés par Barbara Droshin. La scénographie minimaliste utilise la totalité de l'espace scénique en l'agrémentant de quelques attributs (lit, péniche, costumes religieux) pour caractériser chaque opéra. La direction d'acteurs est d'une remarquable efficacité, impeccablement mise en place, et les lumières à l'avenant.
Gianni Schicchi respecte tous les ressorts de la farce et de la comédie, menée tambour battant par l'imposant et rusé Misha Kiria au timbre sombre et percutant face à une famille Donati veule et cupide dans laquelle la Zita de Enkeledja Shkoza en matriarche autoritaire et le Betto de Manuel Esteve Madrid mènent la rébellion face à l'inique testament, entourés de la pimpante Theresa Kronthaler ( La Ciesca) et de tous les autres comprimari portés par une direction d'acteurs qui joue habilement de la dynamique collective. Si le ténor Alexey Neklyudov (Rinuccio) manque quelque peu de projection dans les ensembles, son timbre fait valoir toute sa douceur dans son duo d'amour final avec Lauretta. Asmik Grigorian (Lauretta) ne fait dans ce premier épisode qu'une apparition assez fugace, pleine de fraicheur, nous gratifiant d'un émouvant « O mio babbino Caro » à faire pleurer les pierres qui met d'emblée Bastille à ses genoux.

Changement radical de climat avec Il Tabbarro, drame vériste, noyé dans la pénombre miséreuse et sans espoir des quais de Seine rappelant l'atmosphère brumeuse des films noirs, entretenue par un orchestre aux couleurs tendues par le drame, l'adultère et la jalousie. Patron de la péniche, miné par la jalousie, Roman Budenko incarne un Michele désabusé au baryton sombre et ample dont la violence contenue se libère dans des aigus bien projetés. Face à lui Joshua Guerrero (récent Don Carlo à Vienne) oppose un chant brûlant de passion dont le timbre s'acidifie quelque peu dans l'aigu, tandis qu'Asmik Grigorian campe une Giorgetta à la fois sensuelle et résignée, usée et formidablement humaine, dont le timbre rond, le souffle infini et le sublime legato nous font rendre les armes. Parmi les comprimari, on retiendra l'inénarrable Frugula de Enkeledja Shkoza, entourée des personnages pittoresques de Scott Wilde (Il Talpa) et Andrea Giovannini (Il Tinca).

Acmé du drame qui s'ourle ici d'une connotation mystique, Suor Angelica offre à Asmik Grigorian l'occasion d'une incarnation véritablement exceptionnelle : à la fois vocale par toutes les qualités du chant ici réunies, mais aussi scénique par l'intensité du jeu théâtral qui se déploie dans un émouvant crescendo allant de l'acceptation à la rage pour culminer dans la détresse de la mère suicidaire qui, en rendant son dernier soupir, revoit l'image de son enfant mort…Parmi les sœurs, on notera les interventions remarquées de Hanna Schwarz en Badessa, de Margarita Polonskaya en Genovieffa, de Enkeledja Shkoza en sœur Zelatrice et de Theresa Kronthaler en Maestra delle novize, tandis que Karita Mattila au timbre patiné par les ans s'impose en Zia principessa d'une féroce autorité.
Dans la fosse Carlo Rizzi mène l'orchestre de l'opéra avec moulte nuances bienvenues, depuis la fougue de la farce jusqu'aux sonorités tendues du drame, pour s'achever dans les sonorités diaphanes de la prière d'un « Liebestod » rédempteur, concluant ainsi cette nouvelle production sur le triomphe de la soprano lituanienne assorti d'une longue, très longue standing ovation !
Crédits photographiques : © Guergana Damianova / OnP









une voix céleste qui touche au divin et vous envoûte ! Asmik Grigorian a sa place parmi les plus grandes ! Suor Angelica est hors normes !