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Il Trittico à Bastille : Asmik Grigorian, trois fois valent mieux qu’une…

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Paris. Opéra Bastille. 2-V-2025. Il Trittico de Giacomo Puccini. Triptyque comprenant trois opéras en 1 acte (1918) : Gianni Schicchi (1) sur un livret de Giovacchino Forzano d’après Dante ; Il Tabarro (2) sur un livret de Giuseppe Adami d’après la Houppelande de Didier Gold ; Suor Angelica (3) sur un livret de Giovacchino Forzano. Mise en scène : Christof Loy. Scénographie : Etienne Pluss. Costumes : Barbara Droshin. Lumières : Fabrice Kebour. Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, direction : Carlo Rizzi.
Avec (1) : Misha Kiria, Gianni Schicchi , Asmik Grigorian, Lauretta ; Enkeledja Shkoza, Zita ; Alexey Neklyudov, Rinuccio ; Dean Power, Gherardo ; Lavinia Bini, Nella ; Manuel Esteve Madrid, Betto ; Scott Wilde, Simone.
Avec (2) : Roman Burdenko, Michele ; Asmik Grigorian, Giorgetta ; Joshua Guerrero, Luigi ; Andrea Giovannini, Il Tinca ; Scott Wilde, Il Talpa ; Enkeledja Shkoza, La Frugola ; Dean Power, Il venditore di canzonette ; Ilanah Lobel-Torres, Un amante.
Avec (3) : Asmik Grigorian, Suor Angelica ; Karita Mattila, La Zia Principessa ; Hanna Schwarz, La Badessa ; Enkeledja Shkoza, La Suora Zelatrice ; Theresa Kronthaler, La Maestra delle novize ; Margarita Polonskaya, Suor Genevieffa ; Ilanah Lobel-Torres, Suor Osmina ; Lucia Tumminelli, Suor Dolcina.

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Cette nouvelle production d'Il Trittico à l'Opéra Bastille voit le triple succès de la soprano qui incarne les trois héroïnes principales de la trilogie de Puccini, entourée d'une formidable distribution vocale, dans une mise en scène éloquente de , sous la direction musicale haute en couleur de .

Un  sans faute : voilà bien une nouvelle production de l'Opéra de Paris (en coproduction avec le festival de Salzbourg) qui fera date du fait, d'abord de la rareté sur la scène parisienne de cette trilogie puccinienne (il faut remonter en 1987 Salle Favart sous la houlette de Jean-Louis Martinoty et plus récemment en 2010 dans la mouture de Luca Ronconi), également par le fait qu'elle soit donnée dans son entièreté et non fractionnée, et surtout qu'elle soit chantée par une même soprano le long de ses trois volets : la magnétique soprano reprenant avec un brio confondant le flambeau de Gilda dalla Rizza, pionnière de cet exploit vocal et scénique, en 1920 à Covent Garden.

Si Puccini avait conçu ces trois opéras bien différents comme un tout (inspiré des trois poèmes de la Divine Comédie de Dante), en commençant par le drame d'Il Tabarro, le metteur en scène pour ses débuts à l'OnP choisit un ordre inhabituel dont on saluera le bien-fondé, en progressant « a contrario » de la farce au drame, ouvrant la soirée avec Gianni Schicchi, suivi du drame naturaliste d'Il Tabarro, avant de conclure par la tragique et mystique Suor Angélica dans une progression dramaturgique croissante.

Malgré ce semblant d'unité qui pourrait s'assimiler à un véritable parcours initiatique, la mise en scène de respecte parfaitement la césure entre les trois opéras qui se déroulent dans trois univers dissemblables : la chambre d'un notable florentin, les brumeux quais de Seine et une grande salle épurée de couvent. Le metteur en scène transpose l'action dans notre monde contemporain, ce dont témoignent les costumes concoctés par Barbara Droshin. La scénographie minimaliste utilise la totalité de l'espace scénique en l'agrémentant de quelques attributs (lit, péniche, costumes religieux) pour caractériser chaque opéra. La direction d'acteurs est d'une remarquable efficacité, impeccablement mise en place, et les lumières à l'avenant.

Gianni Schicchi respecte tous les ressorts de la farce et de la comédie, menée tambour battant par l'imposant et rusé au timbre sombre et percutant face à une famille Donati veule et cupide dans laquelle la Zita de en matriarche autoritaire et le Betto de mènent la rébellion face à l'inique testament, entourés de la pimpante Theresa Kronthaler ( La Ciesca) et de tous les autres comprimari portés par une direction d'acteurs qui joue habilement de la dynamique collective. Si le ténor (Rinuccio) manque quelque peu de projection dans les ensembles, son timbre fait valoir toute sa douceur dans son duo d'amour final avec Lauretta. (Lauretta) ne fait dans ce premier épisode qu'une apparition assez fugace, pleine de fraicheur, nous gratifiant d'un émouvant « O mio babbino Caro » à faire pleurer les pierres qui met d'emblée Bastille à ses genoux.

Changement radical de climat avec Il Tabbarro, drame vériste, noyé dans la pénombre miséreuse et sans espoir des quais de Seine rappelant l'atmosphère brumeuse des films noirs, entretenue par un orchestre aux couleurs tendues par le drame, l'adultère et la jalousie. Patron de la péniche, miné par la jalousie, incarne un Michele désabusé au baryton sombre et ample dont la violence contenue se libère dans des aigus bien projetés.  Face à lui (récent Don Carlo à Vienne) oppose un chant brûlant de passion dont le timbre s'acidifie quelque peu dans l'aigu, tandis qu'Asmik Grigorian campe une Giorgetta à la fois sensuelle et résignée, usée et formidablement humaine, dont le timbre rond, le souffle infini et le sublime legato nous font rendre les armes. Parmi les comprimari, on retiendra l'inénarrable Frugula de , entourée des personnages pittoresques de (Il Talpa) et Andrea Giovannini (Il Tinca).

Acmé du drame qui s'ourle ici d'une connotation mystique, Suor Angelica offre à Asmik Grigorian l'occasion d'une incarnation véritablement exceptionnelle : à la fois vocale par toutes les qualités du chant ici réunies, mais aussi scénique par l'intensité du jeu théâtral qui se déploie dans un émouvant crescendo allant de l'acceptation à la rage pour culminer dans la détresse de la mère suicidaire qui, en rendant son dernier soupir, revoit l'image de son enfant mort…Parmi les sœurs, on notera les interventions remarquées de Hanna Schwarz en Badessa, de Margarita Polonskaya en Genovieffa, de en sœur Zelatrice et de Theresa Kronthaler en Maestra delle novize, tandis que au timbre patiné par les ans s'impose en Zia principessa d'une féroce autorité.

Dans la fosse mène l'orchestre de l'opéra avec moulte nuances bienvenues, depuis la fougue de la farce jusqu'aux sonorités tendues du drame, pour s'achever dans les sonorités diaphanes de la prière d'un « Liebestod » rédempteur, concluant ainsi cette nouvelle production sur le triomphe de la soprano lituanienne assorti d'une longue, très longue standing ovation !

Crédits photographiques : © Guergana Damianova / OnP

 

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Paris. Opéra Bastille. 2-V-2025. Il Trittico de Giacomo Puccini. Triptyque comprenant trois opéras en 1 acte (1918) : Gianni Schicchi (1) sur un livret de Giovacchino Forzano d’après Dante ; Il Tabarro (2) sur un livret de Giuseppe Adami d’après la Houppelande de Didier Gold ; Suor Angelica (3) sur un livret de Giovacchino Forzano. Mise en scène : Christof Loy. Scénographie : Etienne Pluss. Costumes : Barbara Droshin. Lumières : Fabrice Kebour. Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, direction : Carlo Rizzi.
Avec (1) : Misha Kiria, Gianni Schicchi , Asmik Grigorian, Lauretta ; Enkeledja Shkoza, Zita ; Alexey Neklyudov, Rinuccio ; Dean Power, Gherardo ; Lavinia Bini, Nella ; Manuel Esteve Madrid, Betto ; Scott Wilde, Simone.
Avec (2) : Roman Burdenko, Michele ; Asmik Grigorian, Giorgetta ; Joshua Guerrero, Luigi ; Andrea Giovannini, Il Tinca ; Scott Wilde, Il Talpa ; Enkeledja Shkoza, La Frugola ; Dean Power, Il venditore di canzonette ; Ilanah Lobel-Torres, Un amante.
Avec (3) : Asmik Grigorian, Suor Angelica ; Karita Mattila, La Zia Principessa ; Hanna Schwarz, La Badessa ; Enkeledja Shkoza, La Suora Zelatrice ; Theresa Kronthaler, La Maestra delle novize ; Margarita Polonskaya, Suor Genevieffa ; Ilanah Lobel-Torres, Suor Osmina ; Lucia Tumminelli, Suor Dolcina.

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1 commentaire sur “Il Trittico à Bastille : Asmik Grigorian, trois fois valent mieux qu’une…”

  • TARD dit :

    une voix céleste qui touche au divin et vous envoûte ! Asmik Grigorian a sa place parmi les plus grandes ! Suor Angelica est hors normes !

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