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Le renouveau du Concours de promotion du Ballet de l’Opéra de Paris

Tel un miraculé, voici que le Concours de promotion du Ballet de l'Opéra de Paris, annoncé pour mort l'an dernier, est ressuscité cette année. Il s'est déroulé sur deux jours, et a concerné toutes les classes (quadrilles, coryphées, sujets), alors qu'il avait été annulé pour les classes de Coryphées et sujets l'an dernier.

En 2024, les danseurs emmenés par leurs délégués syndicaux votèrent (à une très courte majorité) l'annulation du Concours classe par classe. Puis, découvrant que rien n'est mieux qu'un vote démocratique à bulletin secret du collège de jurés, voilà que ces mêmes danseurs ont réclamé son retour cette année. Et c'est tant mieux ! Car le Concours permet, à l'évidence, de (re)découvrir des visages, des personnalités, des talents parfois cachés dans la masse des 154 danseurs de la Maison. Passer le concours interne, c'est aussi se prendre en main, s'enthousiasmer pour ses choix artistiques, et s'emparer de la scène pour soi tout seul. Ce n'est pas rien, de se montrer en solo, de travailler pour soi, de contrôler son stress, de choisir avec soin ses variations, ses coachs, son planning de travail…

D'autant que cette année, les modalités ont été modifiées et c'est une vraie révolution : jusqu'à maintenant, il n'existait qu'une seule variation imposée, relevant exclusivement du répertoire classique. Désormais, elle peut se choisir parmi trois propositions dont l'une est résolument contemporaine. Cela veut dire que désormais, si l'on choisit, une seconde variation contemporaine pour sa variation libre, le concours en mode « danseur classique », et sans aucune variation sur pointes pour les filles, n'est plus le seul mode d'accès au grade supérieur. C'était une revendication très affirmée des danseurs, et elle met fin à la tradition du concours depuis sa création en 1860 de promouvoir des danseurs ayant convaincu de leur niveau dans le répertoire classique. On verra, à l'usage si le fait d'occulter cette exigence pour monter en grade aura une incidence sur le niveau global des solistes et sur un effectif suffisant de danseurs classiques pour assurer le répertoire. Reste qu'en réalité, très peu de danseurs ont pris cette option du tout contemporain.

Ainsi, sur les douze candidats de la classe des quadrilles hommes, seuls deux danseurs, largement reconnus dans cette esthétique, ont fait ce choix. Cela fût payant pour l'un (, fascinant et vibrant dans ses deux variations contemporaines, et légitimement arrivé troisième) mais pas du tout pour Takeru Coste, à la réputation contemporaine bien assise. Au concours, il a joué délibérément la provocation avec le solo « The Beast » dans Body and soul de Crystal Pite, où il ne fait que marcher en canard, le visage recouvert d'une longue chevelure de poils. La variation – assez anecdotique – avait été créé pour lui par Crystal Pite, et cela pose question de reprendre, au concours, une variation que l'on a déjà dansée sur scène. Sans doute faudrait-il l'interdire, car cela fausse l'égalité devant l'effort.

Cette classe de Quadrilles Homme fût absolument brillante. Les très jeunes ont choisi la difficulté technique de la variation du Prince Désiré de La Belle au bois dormant de Noureev, et tous s'en sont bien sortis. Les plus âgés ont tenté la variation de Lenski dans Onéguine de John Cranko, qui demandait, outre de la technique, un gros travail d'interprète pour faire comprendre la douleur incommensurable de Lenski.

Comme attendu, a décroché la première place au classement. Chouchou du public, transfuge inattendu du ballet de Munich où il était soliste, il a accepté de recommencer tout en bas de l'échelle au Ballet de l'Opéra de Paris. Il partait avec un atout accru par sa prestance et sa maturité. On peut ne pas aimer son envie d'épater, de passer en force, mais il faut bien reconnaître qu'il a assuré techniquement les difficultés de La Belle et qu'il a contrôlé ses ardeurs dans l'originale variation du Fantôme de l'Opéra de Roland Petit. Le second lauréat est à son opposé et c'est intéressant. est un artiste poète et habité. Son Spring and fall de Neumeier est tout en délicatesse, et sauts aériens. Dans La Belle au bois dormant, il est le seul à avoir travaillé le haut du corps, accentuant les épaulements dans la diagonale, qui font le sel du style Noureev. La 3ème place est donc dévolue au contemporain . Trois lauréats, trois styles, trois nécessités dans le Ballet d'aujourd'hui. En termes d'emplois, en termes diplomatique aussi.

On a pourtant aimé la grande propreté technique de Martin Paul, belle ligne et joli pied, qui s'est emparé à la perfection du redoutable Donizetti Pas de deux troussé par Manuel Legris. Passer juste avant lui a sans doute fait pâlir sa belle étoile.
Les trois danseurs qui ont affronté Lenski dans Onéguine auraient dû avoir une prime au courage, tant cela demande autant de technique que d'artistique. Manuel Giovanni, arrivé 4ème (au pied du podium) aura été si musical, et si émouvant, avant de proposer ensuite un Djalil tiré de La Source de Jean-Guillaume Bart, facétieux, heureux, joyeux. Une belle manière de montrer sa grande palette de jeu.

La classe de Quadrilles Femme s'est très joliment imposée aussi, en s'emparant majoritairement et avec allégresse de la variation de Giselle, 1ère acte. Délicatesse du port de bras et de tête, joie de danser, subtilité du travail. Préparées par Delphine Moussin et Andrei Klemm, ces jeunes danseuses ont déjà une belle nature artistique. Mais celle qui a littéralement survolé ses concurrentes, est la Coréenne , qui a choisi en imposée la variation de Gamzatti dans La Bayadère, et en libre, la difficile variation de Paquita de Pierre Lacotte. Maitrise des sauts, capable de faire cinq tours dans Paquita, la jeune Coréenne arrivée l'an dernier en France a tout pour elle : technique tout en douceur et en finesse, musicalité, rapidité, jolie visage expressif… Voilà un nom à bien garder en mémoire.

Sofia Rosselini a décroché le second poste en ayant choisi la peu payante variation contemporaine de Signes de Carolyn Carlson, mais a courageusement chaussé ses pointes pour un Who cares? de Balanchine assez atone. Sans doute est-elle aussi reconnue pour savoir gérer les rôles qui lui sont proposés dans le Ballet. Lucie Devignes, arrivée troisième a joliment surpris son monde avec sa bourrasque de Vertiginous Thrill of exactitude de Forsythe. Natalie Henry avait de très belles lignes romantique dans sa Giselle et Lisa Petit, qui rayonna à l'École de danse dans Raymonda, a joliment maitrisé sa Paquita en libre. Et si elles ne sont (logiquement) pas montées, gardons un regard attentif aux deux contemporaines de l'étape, Adèle Belem qui fait preuve de caractère dans son solo de Bobbi Jene Smith mais aussi Marion Gautier de Charmacé, si précise dans le And… Carolyn de Alan Lucien Oyen. (AD)

Le lendemain, c'est une classe de coryphées femmes très hétérogène, avec seulement sept candidates, mais un niveau d'ensemble relevé, qui commence la deuxième journée du concours. La Coréenne , qui offre dans Sylvia une présence captivante, se détache nettement : elle y alterne moelleux et musicalité dans les passages lents, subtilité et précision dans les piqués. Elle a choisi « Embreacable you » dans Who Cares? pour sa variation libre, où elle se révèle une très belle artiste, pleine d'allure et de tempérament – un choix stratégique payant, puisqu'elle se classe première et est promue sujet.
Juste derrière elle, monte également en grade. Dans Sylvia, qu'elle a choisie pour son imposée, elle se montre très solide sur pointes, même si l'on souhaiterait davantage de légèreté. Son Esmeralda (extraite de Notre-Dame de Paris de Roland Petit) est très propre et nette, bien qu'elle gagnerait à affirmer plus fortement sa personnalité.
Cette belle classe de coryphées femmes nous a offert de très bons moments, notamment avec la superbe Valse fantastique de l'acte I de Raymonda, pleine de noblesse et de maturité, de Victoire Anquetil, grande sœur d'Apolline, ou encore le Bhakti III de Maurice Béjart, qui exige souplesse et caractère – qualités dont ne manque pas Claire Teysseyre qui a choisi de relever le défi.

Il fallait ensuite garder de l'énergie pour la très belle classe des coryphées hommes, en début d'après-midi, qui voyait s'affronter près de douze artistes aux personnalités affirmées. Une classe d'un très haut niveau, dominée néanmoins par , auteur d'un sans-faute tant dans sa variation imposée (variation d'Aminta de Sylvia) où il fait montre de caractère et de ballon, que dans Raymonda acte III, choisie pour sa libre, où il impose beaucoup de noblesse et d'assurance dans le rôle de Jean de Brienne. Magnifique artiste, il se classe premier et est logiquement promu sujet.
Derrière lui, Keïta Bellali décroche la deuxième place et obtient le second poste de sujet. Récompensé pour une année où il s'est illustré dans de nombreux spectacles, il ose une variation contemporaine en imposé (Vaslaw de John Neumeier), douce et étirée, pleine d'émotion – une magnifique surprise. Pour sa libre, il choisit La Belle au bois dormant (variation du prince Désiré, acte III), qu'il danse avec puissance et un manège bien maîtrisé.
La compétition fut décidément rude : on suivra de près Rémi Singer-Gassner, impressionnant dans une variation extraite de Push Comes to Shove de Twyla Tharp, après avoir fait preuve de beaucoup de prestance dans Suite en blanc ; Rubens Simon, Aurélien Gay, Max Darlington ou Milo Avêque. Ce dernier se classe seulement troisième malgré une Suite en blanc pleine d'assurance, et un choix audacieux avec Carmen pour sa variation libre, où il impressionne par sa justesse d'interprétation et sa netteté. Isaac López Gómez, poétique et précis dans la variation de « l'Homme en brun », extraite de Dances at a Gathering, se classe quatrième, suivi de Léo de Busserolles, cinquième.

Place ensuite à la classe des Sujets femmes, où la compétition est tout aussi intense : seulement deux postes de première danseuse étaient proposés aux 13 candidates.
se classe logiquement première et est promue. Elle offre une impeccable interprétation de « la Cigarette » dans Suite en blanc, à la fois douce et assurée. Pour sa variation libre, elle a choisi la première variation de Other Dances, qu'elle interprète avec une lumière et une poésie remarquables – un vrai bonheur.
Classée deuxième, accède elle aussi au rang de première danseuse. Difficile de les départager : elle avait choisi, elle aussi, « la Cigarette », qu'elle danse avec une propreté exemplaire et beaucoup d'élégance. Pour sa libre, elle opte courageusement pour le grand pas de Paquita, qu'elle exécute avec bravoure.
Le reste de la classe n'a pas démérité. On se réjouit de revoir régulièrement ces danseuses sur scène. Souvent distribuée dans des rôles contemporains où elle a fait ses preuves, Letizia Galloni montre qu'elle n'a pas oublié ses classiques, avec une belle « Cigarette » dans Suite en blanc de Lifar. Dans la première variation de Other Dances, elle est particulièrement émouvante et témoigne d'une grande musicalité, ce qui lui vaut la troisième place.
Camille Bon, qui avait choisi Casse-Noisette pour son imposée, fait montre d'une élégance maîtrisée. Dans sa variation libre – Bakhti III -, elle aurait toutefois gagné à entrer davantage dans l'esthétique béjartienne. Mentionnons également la très jolie, quoique plus légère, deuxième variation dans Other Dances de Célia Drouy, le magnifique Who Cares? de Naïs Duboscq, et enfin Nine Seropian, qui choisit elle aussi la première variation de Other Dances, dansée avec caractère et musicalité. Sans oublier Ida Viikinkoski, danseuse spécialisée dans le contemporain, qui nous offre une très belle variation imposée de l'élue dans Le sacre du printemps de Maurice Béjart. (DG)

Crédits photographiques : © Maria-Helena Buckley / Opéra national de Paris

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1 commentaire sur “Le renouveau du Concours de promotion du Ballet de l’Opéra de Paris”

  • HECK MARYVONNE dit :

    Éblouie par tant de beauté , IMMENSE BRAVO à chacun des danseurs.
    Que de travail , remarquable.
    Bel avenir à TOUS. Belle fin d année 2025.
    Maryvonne.

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