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Notre-Dame de Paris : le joyau Roxane Stojanov

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Opéra Bastille, Paris. 7-XII-2025. Ballet de l’Opéra national de Paris : Notre-Dame de Paris. Chorégraphe : Roland Petit. Musique : Maurice Jarre. Direction musicale : Jean-François Verdier. Décors : René Allio, Costumes : Yves Saint-Laurent. Lumières : Jean-Michel Désiré. Ballet remonté par Luigi Bonino. Avec Roxane Stojanov (Esméralda), Jérémy-Loup Quer (Quasimodo) , Thomas Docquir (Frollo), Antonio Conforti (Phoebus). Avec le corps de ballet et l’Orchestre de l’Opéra  national de Paris.

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Il y a tout juste 60 ans, l'Opéra de Paris entrait dans la modernité en créant Notre-Dame de Paris version . Pour cette grande reprise à l'Opéra Bastille, on en redécouvre toute sa puissance à travers de nouveaux interprètes, dont l'étoile .

Pour qui sonnent ces deux cloches, immenses, qui envahissent  le fond de scène de l'Opéra Bastille ? Pour Quasimodo, Esméralda, Phoebus, Frollo et toute cette Cour des Miracles qui peuplent le grand roman de Victor Hugo. Mais aussi  pour le public d'aujourd'hui, qui peut voir ici à quel point cette saga dansée n'a rien perdu de sa force, ni de son discours si actuel entre oppression/inclusion, fanatisme, pauvreté, lutte de classe…

D'autant que  le ballet de Roland Petit, qui fête ce mois-ci ces 60 ans n'a absolument pas vieilli, à travers ses différentes reprises. Mieux : il semble tellement moderne au regard de quelques résurgences déjà démodées avant d'avoir vécu, telle  la Sylvia qu'a tenté de ressusciter Manuel Legris la saison dernière pour l'Opéra de Paris. Ces deux œuvres  n'ont peut-être rien à voir, mais elles restent deux tentatives de ballet narratif. Et de ce côté-là, Roland Petit est un conteur hors pair, inventif et de son temps. Il sait faire d'un corps de ballet un chœur accompagnant une situation. Sa Cour des Miracles au premier acte, qui trépigne en grand plié, doigts écartés, effraie et fascine en même temps. Les danseurs en sont pour leur grade de crampes et difficultés à dompter allègrement cette danse ultra physique durant tout le spectacle. Les soldats de Phoebus aussi, qui galopent et courent après une pseudo justice.

La narration est forte aussi dans cette alternance de foule et d'intimité des personnages principaux. , disparu il y a quatorze ans, a toujours été magnifiquement doué pour trousser des variations de solistes. Et l'on savoure ces variations d'Esmeralda, arrivant en mini jupe corsetée, jambe droite bien campée et doigts écartés comme pour dire : « Voilà, je suis là, et je domine la situation ». Légendaire aussi, ces variations de Frollo, l'archidiacre pervers, aux sauts très secs et à la main peu sûre. Dans ce ballet, la main qui tremble ou qui joue de sa séduction a son importance. Quand à Quasimodo, qui va rester pendant tout le spectacle avec le bras droit remonté à 90% et l'avant-bras plié (une vraie souffrance pour les danseurs), ses variations relèvent quasiment de la danse contemporaine, corps contraint et pieds en dedans.

La modernité de cette Notre-Dame de Paris, c'est aussi qu'elle s'accommode de rien. Sur scène, aucun accessoire, sauf des bancs et une potence à la fin. Mais tout un système de trappes existant déjà à Garnier (où fût crée le spectacle le 11 décembre 1965) où Esméralda, Quasimodo et Frollo peuvent génialement courir et se poursuivre, dans les méandres de Paris. Cette abstraction qui tranche avec le folklore des ballets classiques apporte évidemment à la modernité du propos.

A cela s'ajoute la partition de , créée pour ce spectacle, truffée de percussions diverses (Jarre fût d'abord timbalier) entre tambourins multiples et grosses caisses, parfois plein de vacarme, mais alternant là encore avec des mélodies d'un grand romantisme. et , alors au top de sa carrière de compositeur de musique de film (Lawrence d'Arabie, Docteur Jivago) ont travaillé comme autrefois Diaghilev et ses compositeurs de prédilection au sein des Ballets Russes. L'orchestre de l'Opéra, dirigé par Jean-François Verdier s'est emparé avec beaucoup de finesse de cette partition qui peut sembler parfois tapageuse.

A cela s'ajoute aussi cette « collab » avec pour les costumes. Ce n'était pas la première fois qu'ils travaillaient ensemble,  mais ces costumes-là font plus que jamais partie  intégrante du spectacle, dans leurs couleurs flashy, leurs coupes modernes (dans les mini jupes très années 60) et moyenâgeuses à la fois, quand ils ne s'appuient pas sur la collection Mondrian du moment, avant de sombrer dans le rouge sang du désir et le noir de la mort.

Tout ceci fait que cette Notre-Dame de Paris, au décor là aussi très stylisé et fort bien éclairé par Jean-Michel Désiré, parle forcément aux danseurs d'aujourd'hui. Et pour cela, la reine du jour, ce fût . Divine Esméralda, joyau aux lignes parfaites pour revêtir les courtes tenues du rôle. Mais surtout, elle a cette grâce démultipliée mêlant féminité et juvénilité, assurance et effroi, tendresse et froideur, qu'elle pourrait d'ailleurs encore accentuer. Esméralda est un rôle fleuve, où l'on passe d'une émotion et d'une situation à une autre, face à trois hommes différents. Il faut un sacré équilibre pour ne pas perdre la tête et trier ses émotions sans quitter de vue la qualité du mouvement. Elle y arrive magnifiquement. Et les petits détails pesant souvent beaucoup, on a particulièrement vibré lorsque Esméralda pose délicatement sa main sur l'épaule bossue de Quasimodo pour lui donner à boire. Ce dernier sursaute, et ils vont pouvoir enchainer dans un long duo mémorable.

Jérémy Loup-Quer aura été un Quasimodo  fréquentable, ni bouleversant, ni impassible, qui s'empare fort honnêtement de ce rôle physiquement redoutable. (Phoebus) aurait pu incarner un militaire un peu plus fourbe qu'il n'est (il fréquente les prostituées, sous ses airs de gentil blondinet) mais visiblement, c'est ainsi que Roland Petit le voyait. Quant à notre Frollo du jour,, il ne peut faire oublier l'immense émotion que dégageait Matthias Heymann dans le Notre-Dame de Paris donné en 2021 dans un Opéra Bastille sans public mais capté pour le cinéma. On n'oubliera jamais cette captation dans une salle vide. Mathias Heymann y apparut foudroyé par le vice autant que par l'amour, effrayant et effrayé à la fois, techniquement à son plus haut niveau. Ce soir-là, il fût renversant. Ce jour-ci, c'était Esméralda qui le fût.

Crédits photographiques : © Yonathan Kellerman / Opéra national de Paris

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Opéra Bastille, Paris. 7-XII-2025. Ballet de l’Opéra national de Paris : Notre-Dame de Paris. Chorégraphe : Roland Petit. Musique : Maurice Jarre. Direction musicale : Jean-François Verdier. Décors : René Allio, Costumes : Yves Saint-Laurent. Lumières : Jean-Michel Désiré. Ballet remonté par Luigi Bonino. Avec Roxane Stojanov (Esméralda), Jérémy-Loup Quer (Quasimodo) , Thomas Docquir (Frollo), Antonio Conforti (Phoebus). Avec le corps de ballet et l’Orchestre de l’Opéra  national de Paris.

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