À la suite des coffrets Philips-Decca Eloquence, Erato/Warner, et Scribendum, Deutsche Grammophon Eloquence offre la dernière partie du legs, en studio, du chef d'orchestre. Un témoignage unique et une série de références à l'orée de la stéréophonie.
Né à Kiev en 1912 et mort à Antibes en 1983, Igor Markevitch voulut avant tout être reconnu comme compositeur. Dans ses passionnantes Mémoires, Etre et avoir été parues en 1980 chez Gallimard, il évoque l'époque de l'avant-guerre. Egérie de Diaghilev (Markevitch épouse la fille de Nijinski), successeur nommé de Stravinsky, il fut un artiste aux multiples talents, soutenu aussi bien par Alfred Cortot, que Jean Cocteau (qui l'aida dans ses addictions) en passant par Nadia Boulanger, Béla Bartok, Roger Désormière, Leopold Stokowski, entre autres. Progressivement, il abandonna la composition au profit de la direction d'orchestre. Ecoutons, d'ailleurs, l'interview que Markevitch donna à New York, en 1957 : il y explique ses choix profonds, ses liens avec la musique de Stravinsky, son disque préféré (La Création de Haydn avec le Philharmonique de Berlin), mais aussi l'importance de l'enseignement… C'est au début des années cinquante, qu'il entreprit une carrière internationale, prenant la direction des orchestres symphoniques de Stockholm (1952-1955), de Montréal (1958-1951), et de la Havane (1957-1958). À Paris, de 1957 à 1961, il offrit à l'Orchestre Lamoureux un véritable âge d'or, avant de se consacrer à l'Orchestre de la radiotélévision espagnole (1965-1972), puis à l'Orchestre national de l'Opéra de Monte-Carlo (1968-1973). De 1973 à 1975, il prit la direction de l'Orchestre de l'Académie Sainte-Cécile de Rome. Bien qu'intransigeant quant à ses choix interprétatifs (son passage au Philharmonique de Vienne fut explosif !) il ne fut pas un “despote éclairé” de la baguette. Scherchen lui avait donné le goût d'une sonorité anguleuse qui sacrifie un peu de la rondeur, de l'homogénéité de l'orchestre, au profit de la clarté des plans sonores et d'une rythmique infaillible. Ses diverses gravures du Sacre du printemps (voir les legs Testament, Audite, Cascavelle, BBC Music etc.), de la Symphonie Fantastique, ou des œuvres de Prokofiev, en témoignent.
Rien dans cle coffret Deutsche Grammophon Eloquence n'est inconnu. En revanche, avoir regroupé ces bandes dont il faut mentionner l'excellente qualité des reports et la présentation agréable, dans les pochettes d'origine mérite d'être salué. Du côté des curiosités, on s'étonne aujourd'hui encore que Markevitch ait gravé les symphonies n° 3 et n° 4 de Berwald, une version toujours de référence, sans oublier les Choéphores de Milhaud, aussi inspirées que celles de Bernstein avec New York. Avec le Symphony of The Air – formation réunissant des pupitres de l'orchestre de la NBC après la dissolution de celui-ci – les lectures des symphonies n° 1 de Brahms puis n° 3 et n° 6 de Beethoven sont pour le moins acérées ! Les interprétations du Philharmonique de Berlin et des Concerts Lamoureux stupéfient par leur dynamisme, leur pulsation naturelle, notamment dans Mozart. Markevitch porte une attention extrême aux rapports de tempi et à la recherche d'une sonorité affinée. De fait, la précision de l'Orchestre Lamoureux est magique dans la Sinfonia de Gluck : l'aplomb des cordes, la transparence des bois sont idéales. L'essentiel du coffret se concentre sur les répertoires romantique et du 20e siècle. Dans Schubert (Symphonie n° 3) et Beethoven (symphonies et diverses ouvertures), Markevitch fait une confiance absolue aux solistes. La direction exacerbe la violence des traits sans perdre le caractère narratif de l'ouverture Leonore III et de la Symphonie “Héroïque”. Les symphonies de Brahms sont, en revanche, d'une sonorité plus crue. Les phalanges anglaises et surtout allemandes sont très supérieures dans les pupitres des cordes. Ajoutons une Pathétique de Tchaïkovski aux angles saillants et un Francesca da Rimini avec l'Orchestre Lamoureux non moins remarquables. L'ascendance russe de Markevitch se révèle tout autant dans les pages hautes en couleurs de Glinka, Rimski-Korsakov, Liadov et Borodine. Les témoignages avec l'Orchestre symphonique d'URSS sans oublier l'intégrale des symphonies de Tchaïkovski avec le Symphonique de Londres ont été regroupés dans le coffret The Philips Legacy.
Du côté du répertoire français, la version de la Fantastique à Berlin est tellement plus intéressante que celles ultérieures de Kempe, Barenboïm et même Karajan (à deux reprises) ! Plaçons au-dessus – et sans chauvinisme ! – la captation de l'œuvre avec les Concerts Lamoureux. La formation française fait vivre la couleur de pupitres de la petite harmonie dont on a, hélas, perdu le souvenir. La Petite Suite de Jeux d'enfants de Bizet jaillit délicieusement tranchante et La Mer de Debussy n'est pas sans évoquer le lyrisme de la direction d'Ernest Ansermet. La Damnation de Faust, toujours avec l'Orchestre Lamoureux, s'impose par une tension passionnée, un souffle extraordinaire et avec une distribution homogène. L'orchestre atteint toutefois ses limites en termes de justesse et de mise en place.
En regard de tant de rééditions intégrales de chefs d'orchestre du XXe siècle, celles consacrées à Markevitch sont à maquer d'une pierre blanche. Elles rejoignent l'art narratif des Guido Cantelli et Ferenc Fricsay, des Erich Kleiber et Bruno Walter.
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