À Genève, triomphant Sacre du Printemps
Poursuivant son intéressante saison, l'Orchestre de Chambre de Genève présente un enflammé Sacre du Printemps servi par l'inoubliable prestation des danseurs de l'École des Sables, dirigée par Germaine Acogny.
Brusquement, le noir le plus complet. Une dernière image reste gravée dans l'esprit : la jeune fille s'est effondrée à plat ventre au dernier son de l'orchestre. Comme pris de stupeur, le silence impose sa loi. Soudain, comme un seul homme, le public se lève et applaudit à tout rompre. Des bravos et des applaudissements d'une rare intensité. La scène sort lentement de la pénombre éclairant toute la troupe de l'École des Sables venant recueillir les applaudissements mérités du public. À juste titre car ce à quoi il nous a été permis d'assister dépasse de loin l'enthousiasme que peuvent susciter bien des performances dansées. Rappelons qu'avec Le Sacre du Printemps, Igor Stravinsky imaginait « le spectacle d'un grand rite sacral païen : les vieux sages assis en cercle et observant la danse à la mort d'une jeune fille qu'ils sacrifient pour leur rendre propice le dieu du printemps. »
La géniale et respectueuse interprétation chorégraphique de Pina Bausch n'a pas pris une ride depuis sa création, voici 50 ans ! Et la transcription qu'en fait la troupe de l'École des Sables est bouleversante de vérité humaine et de respect profond de l'œuvre de la chorégraphe allemande. On reste ébahi devant l'engagement de chaque instant dont font preuve ces danseurs. Nos lignes avaient déjà rendu compte de ce spectacle lors de son passage à Paris en novembre 2022. Outre l'émotion qu'elle avait ressentie à ce sang nouveau s'introduisant avec bonheur dans l'univers de Pina Bausch, notre journaliste y faisait part de quelques imprécisions du geste qu'elle attribuait à la jeunesse des danseurs. Hier soir, à Genève, c'était la 121e et dernière représentation de la tournée mondiale de ce ballet. Peut-être que l'idée de cet adieu, du relâchement inhérent à la reprise jour après jour d'un spectacle ne souffrant pas l'à-peu-près, de l'ultime effort à s'imposer pour le souvenir qu'on va laisser derrière soi, ont contribué à ce que chacun des acteurs de ce spectacle offre un regain d'énergie et d'implication artistique. Pour notre part, nous avons été plus que jamais émus par cette extraordinaire prestation. Pina Bausch peut être fière du legs qu'elle a laissé à la danse, de même qu'elle peut être fière de la manière dont son héritage est porté par cette troupe, par la rigueur avec laquelle les ensembles sont réglés, puis avec quelle précision les groupes se disloquent pour se reformer bientôt. Quand, après une démentielle danse sacrificielle, la jeune fille s'écroule sur le plateau de terre fraîche, l'émotion est à son comble. Le spectateur se sent alors partagé entre le désir de voir encore et encore la danse se prolonger et celui d'en finir avec cette douleur mortelle qui se joue sur scène.
Il n'est pas vain de donner un grand coup de chapeau à l'Orchestre de Chambre de Genève et à l'Orchestre des Pays de Savoie, réunis pour l'occasion, qui, sous la baguette énergique de Raphaël Merlin, soutiennent avec force et conviction une œuvre exigeante face à une compagnie dont la plasticité technique s'est accordée à un ensemble orchestral unique et nouveau.
Plus tôt dans la soirée, Eva Pageix, l'une des danseuses diplômées du prestigieux Tanztheater de Wuppertal, au ras du sol, étend ses bras immenses et ses jambes infinies dans un lent et superbe écoulement de son corps sur une musique du compositeur Pierre Henry (Philips 836 887 DSY) que Pina Bausch avait chorégraphié et dansé en 1971. Six petites minutes d'une beauté indicible de mouvements. Avant que Germaine Acogny, 84 ans, entre autre créatrice de l'École des Sables, danse une longue et sensible chorégraphie au titre évocateur de Homage to the Ancestors. Dans ce ballet aux accents rituels, la performance de la danseuse impose le respect.














