La Scène, Opéra, Opéras

Die Fledermaus à Liège : Johann Strauss goes to Hollywood !

Plus de détails

Liège. Opéra Royal de Wallonie. 28-XII-2025. Johann Strauss fils (1825-1899) : Die Fledermaus, opérette en trois actes sur un livret de Richard Genée et Karl Haffner, d’après la pièce Le Réveillon de Henri Meilhac et Ludovic Halévy.. Mise en scène : Olivier Lepelletier-Leeds, assisté par Jean-François Martin ; Décors : Hernan Penula ; Costumes : David Belugou ; Chorégraphies : Carmine De Amicis ; Lumières : Patrick Meeüs. Avec : Markus Werba (Gabriel von Eisenstein), Anne-Catherine Gillet (Rosalinde), Enkeleda Kamani (Adèle), Christina Bock (Le Prince Orlofsky), Filip Filipovic (Alfred), Pierre Doyen (Dr. Falke), Samuel Namotte (Frank), Maxime Melnik (Dr. Blind), Créatine Price (Ivan et Frosch), Marion Bauwens (Ida). Ballet et Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie (Chef de chœur : Denis Segond) ; Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, direction : Nikolas Nägele

Partager

« Être et Paraître » : le titre générique de la saison de l'Opéra Royal de Wallonie pouvait-il mieux tomber que pour cette Fledermaus de ? Pour célébrer la fin de cette année, l'institution liégeoise confie cette délicieuse comédie de mœurs — chassé-croisé des classes sociales sous le couvert d'un éternel bal masqué — à .

Le metteur en scène d'origine marseillaise, ancien régisseur général du Moulin Rouge et fin connaisseur de l'opérette, transmute l'action de la Vienne de 1874 vers un Hollywood façon Golden Eighties. Un voyage qui respecte la partition tout en s'autorisant une réécriture abrégée des dialogues, en un allemand moderne moins policé et lardé d'allusions bien mosanes, en dialecte local ! Mais si l'idée de départ est excellente, elle tend à se déliter peu à peu au gré des actes.

Le décor initial (un penthouse anonyme hyper-léché, délicieusement kitsch et classy très Dynasty) n'est pas sans rappeler, mutatis mutandis, le dispositif imaginé par Christophe Coppens pour sa Turandot « made in Hong Kong » vue à la Monnaie voici dix-huit mois. On y retrouve cette même disposition sur deux niveaux, signant les faux-semblants entre maîtres et valets. Ce soir, c'est Adèle (et non Liù) qui y rêve de grandeur, là où « Rosy » — Turandot de pacotille — batifole avec un Alfred aux faux airs de Calaf (beuglant non Nessun dorma mais les « tubes » de Queen ou des Pet Shop Boys pour séduire…) aux appétits gastronomiques et charnels disproportionnés. S'y ajoutent çà et là des emprunts télévisuels : tel le pardessus élimé de Frank façon Columbo ou le départ pour la case prison du même Alfred rappelant les Miami Vice et autres Starsky et Hutch.

Tout change au deuxième acte (malgré la permanence de cet escalier perdu entre rez-de-chaussée et mezzanine) dans un univers cette fois « tridimensionnel » et nocturne tout de strass et paillettes où l'ambiguïté de genre est reine. Le Prince Orlofsky, rôle travesti par excellence, est ici mué en milliardaire producteur de films et trône sous des enseignes lumineuses à sa seule gloire — au jeu des lettres on croit deviner les anagrammes subliminales Rocky ou Forsythe. Surgissent immédiatement les ombres des affaires Weinstein ou Epstein : une meute de starlettes côtoie des Drag Queens délurées, dont l'irrésistible Ivan de Creatine Price, visuellement inspirée de la célèbre Divine. L'arrivisme et la quête du plaisir jouent ici toute l'ambiguïté de l'être et du paraître, sans jamais tomber dans le glauque ou l'obscène. Tout se joue à fleuret moucheté : une donne où le pataud Eisenstein est vite démasqué, littéralement « vampé » par sa propre épouse mutée en improbable… Catwoman.

Las ! Le troisième acte, dès lors visuellement assez décevant, nous ramène « ici-bas ». Au pied d'immenses tours figurées, la prison devient une salle de coffres-forts bancaires où chacun cache ses secrets de manière surlignée. Faut-il par exemple, audacieusement faire de l'avocat Blind une grande « folle » tentant de séduire Gabriel avant de finir à demi-dénudé, et lui aussi, séquestré ?

Les costumes étudiés de David Belugou et les éclairages de Patrick Meeus concourent élégamment toutefois au plaisir procuré par ce spectacle.

Le plateau vocal s'avère un rien trop inégal pour être totalement convaincant. Le baryton enfile avec aisance et entrain et un magnifique timbre (agrémenté d'une touche de gouaille bienvenue) le costume de Gabriel von Eisenstein. À ses côtés, la Rosalinde d' n'a peut-être plus l'éclat des aigus ni l'insolence solaire de ses débuts, la puissance luciférienne attendue dans la Czardas de l'acte II manque ; mais son intelligente présence scénique compense toutefois largement. À l'inverse, campe un Alfred délibérément brut de décoffrage. Si le style est volontairement moins châtié, le ténor se révèle irrésistible de verve et de fausse vulgarité consommée, servi par un abattage impressionnant et un timbre ravageur. , fêtée en Susanna mozartienne à Liège au printemps dernier, cantonne ici son Adèle au simple profil de soubrette par un timbre un rien vert et acidulé. On eût souhaité plus de souplesse dans les vocalises du deuxième acte pour voir poindre la (demi-)mondaine sous le déluge de plumes dont l'affuble le metteur en scène !

La satisfaction vient sans réserve de la Prince Orlofsky de , absolument parfaite de morgue et d'ambiguïté non genrée. Il convient également de saluer des rôles secondaires, une fois n'est pas coutume à Liège tous bien belges. campe un Dr Falke sardonique au port hautain et à la diction percutante. (Frank) et (Blind) imposent leurs timbres typés de manière très drôle, et sont scéniquement irrésistibles entre maladresse et flagornerie. Enfin, en Ida offre une candeur naïve, volontairement incongrue au cœur du bal masqué.

Si la direction d'acteurs reste un rien sommaire, tous sont impliqués : des solistes aux très solides chœurs préparés par Denis Segond, sans oublier un corps de ballet habilement mis en espace par .

Reste l'orchestre et la direction plus prussienne que viennoise de . Certes efficace, sa battue manque d'atavisme : avec cette précision trop métronomique et ce refus amidonné de s'étaler sur le deuxième temps des valses (dès l'ouverture !). Courant la poste, cette baguette un rien trop raide prive les danses de pétillance, de schwung viennoise. L'orchestre voit ses brides lâchées et en devient parfois bruyant et un soupçon brouillon, au détriment de l'équilibre plateau/fosse.

Pas de quoi gâcher la fête, car on ressort heureux de ce moment de théâtre total. Sous le champagne de Strauss, nous offre le miroir acide d'une société qui préfère l'éclat à la vérité, sauf quand le masque s'en mêle ! Une production idoine pour les  fêtes de fin d'année !

Crédits photographiques © ORW-Liège/J.Berger 

Lire aussi :

Johann Strauss fils, bicentenaire d'un génie à redécouvrir

(Visited 21 times, 21 visits today)
Partager

Plus de détails

Liège. Opéra Royal de Wallonie. 28-XII-2025. Johann Strauss fils (1825-1899) : Die Fledermaus, opérette en trois actes sur un livret de Richard Genée et Karl Haffner, d’après la pièce Le Réveillon de Henri Meilhac et Ludovic Halévy.. Mise en scène : Olivier Lepelletier-Leeds, assisté par Jean-François Martin ; Décors : Hernan Penula ; Costumes : David Belugou ; Chorégraphies : Carmine De Amicis ; Lumières : Patrick Meeüs. Avec : Markus Werba (Gabriel von Eisenstein), Anne-Catherine Gillet (Rosalinde), Enkeleda Kamani (Adèle), Christina Bock (Le Prince Orlofsky), Filip Filipovic (Alfred), Pierre Doyen (Dr. Falke), Samuel Namotte (Frank), Maxime Melnik (Dr. Blind), Créatine Price (Ivan et Frosch), Marion Bauwens (Ida). Ballet et Chœurs de l’Opéra Royal de Wallonie (Chef de chœur : Denis Segond) ; Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie, direction : Nikolas Nägele

Partager

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Reproduire cet article : Vous avez aimé cet article ? N’hésitez pas à le faire savoir sur votre site, votre blog, etc. ! Le site de ResMusica est protégé par la propriété intellectuelle, mais vous pouvez reproduire de courtes citations de cet article, à condition de faire un lien vers cette page. Pour toute demande de reproduction du texte, écrivez-nous en citant la source que vous voulez reproduire ainsi que le site sur lequel il sera éventuellement autorisé à être reproduit.