Un Gershwin bien (trop ?) stylisé !
D'entrée de jeu, ce Porgy and Bess, qui s'ouvre de plain-pied sur un époustouflant «Summertime», sensuel, charmeur, violemment syncopé (l'excellente Angel Blue, qui vous agrippe dès ces premiers instants) et dont les décors modernistes et design vous placent, en fait vous déplacent, dans un Catfish Row des années 50, fait mouche.

Il est permis, cependant, de ne pas trop apprécier ces énormes échafaudages (trop) nets, (trop) formels, trop joliment peints, qui, tout comme ces costumes proprets et soignés de nos foules endimanchées, participent d'une lecture formatée, stylisée de l'œuvre. La mise en situation de Francesca Zambello, superbement animée, rythmée, vive et bien menée, privilégie, elle aussi, un certain formalisme (Les sentiments sont dominés par la froideur et le non-dit. On se bat sur une chorégraphie artificiellement maniérée) qui plonge notre opéra droit dans la comédie musicale. Zambello aborde cependant, et malgré ce formalisme forcené, l'essentiel de l'humaine comédie : désirs, amours, mensonges, trahisons, désespoirs, cruautés, espoirs («I am on my way»), tout ce que constitue la tragédie métaphorique de l'homme en l'absence de dieu («It ain't necessarily so»).
Le plateau, homogène, idiomatique, engagé, emporte une adhésion totale : la Bess de Laquita Mitchell (prise de rôle – elle a été Clara dans la production de l'Opéra-Comique) d'abord frileuse et chafouine, puis libre et libérée en fin de parcours, poignante et convaincante, saisit son spectateur aux tripes. Emois, désarrois, frissons, tout y est. La voix, solide, attachante, à l'aigu frais et clair, au medium gras et charnu, aux mille accents déchirants, traduit à point toute l'indicible nostalgie, tout le lyrisme naturel du rôle, tout son aplomb. Un bonheur n'arrivant jamais seul….. Eric Owens, dont la voix puissante et tragique se révèlera un solide appoint dans l'émouvant duo «Bess you is my woman now», campe, lui, un Porgy décent, généreux, si tendre, loin des caricatures.
Il faudrait, bien sûr, citer les mille emplois de l'opéra : Lester Lynch (Crown… sec et sévère, venimeux), Karen Slack (Serena… medium souple et charnu, courbes sans fin, présente), Chauncey Packer (Sportin'Life… spontané, flamboyant, maquereau-clé de ce Porgy, épluché au scalpel), Eric Greene (Jake… limpide et chambriste), Michael Austin (Robbins… troublant puis impressionnant), Samantha McElhaney (au timbre chaleureux), Ashley Faatoalia. Le chœur, diseur d'Histoire, véritable protagoniste, comme l'est le chœur de Boris Godounov, crée, puis capte, robuste et franc, l'atmosphère magnétisante du drame. John DeMain, qui connaît son Gershwin, dirige, amoureux, cette admirable (étonnante) musique que le spectateur fredonnera longtemps encore sur les autoroutes du retour !










