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Stravinsky/Schoenberg, une rencontre au sommet

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Paris; Cité de la Musique. 8 et 9-IV-2013. Cycle Schoenberg / Stravinsky: Amphithéâtre: Igor Stravinsky (1882-1971): Trois mouvements de Petrouchka pour piano; L’Histoire du Soldat, suite de 1919 pour violon, clarinette et piano; Arnold Schoenberg (1874-1951): Pierrot lunaire op.21 pour mezzo-soprano et cinq musiciens sur des poèmes d’Albert Giraud/Otto Erich Hartleben. Salomé Haller, mezzo-soprano; solistes de l’Ensemble Intercontemporain: Sophie Cherrier, flûte; Jérôme Comte, clarinette; Hae-Sun Kang, violon et alto; Eric-Maria Couturier, violoncelle; Sébastien Vichard, Hidéki Nagano, piano.

Salle de concerts: Igor Stravinsky (1882-1971): Babel pour récitant, choeur d’hommes et orchestre; Symphonies de psaumes pour choeur mixte et orchestre; Arnold Schoenberg (1882-1951): Concerto pour piano; Un survivant de Varsovie pour récitant, choeur d’hommes et orchestre. François-Frédéric Guy, piano; William Nadylam, récitant; Choeur de l’Armée française; Choeur de l’Orchestre de Paris; Orchestre du Conservatoire de Paris; direction Pascal Rophé.

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Il est difficile de mesurer leur estime respective tant ils ont mis de distance entre eux, au point de ne jamais se rencontrer alors qu'ils habitaient à quelques blocs l'un de l'autre dans leur dernier exil de Los Angeles. Stravinsky attend la disparition de Schoenberg, en 1951, pour expérimenter la technique dodécaphonique du maître viennois tandis que ce dernier fustige les « folkloristes » et les « champions du retour à… » dans la célèbre préface de ses Trois Satires opus 28 de 1925. C'est dire combien la confrontation Stravinsky/Schoenberg que proposait la Cité de la Musique durant quatre concerts et un Forum s'avérait judicieuse et pertinente, laissant clairement transparaître, dans le profil de leur trajectoire respective, ce double phénomène d'attirance/répulsion qui suscite des filiations tout comme il engendre des contraires.

Cette rencontre au sommet débutait à l'Amphithéâtre où les Solistes de l' mettaient en regard deux transcriptions de Stravinsky et le Pierrot lunaire de Schoenberg, l'oeuvre qui a valu au compositeur du Sacre du Printemps « la confrontation la plus déterminante de sa vie ». « L'affrontement » est ici un rien déloyal tant les deux Suites écrites par Stravinsky à partir de Pétrouchka et de L'Histoire du soldat nous frustrent des beautés intrinsèques de ces deux chefs d'oeuvre. Sans l'intensité des couleurs et les somptueux alliages de l'orchestre, l'épure pianistique des Trois Mouvements de Pétrouchka écrits en 1921 met à l'oeuvre la virtuosité engendrée par des déplacements acrobatiques dans l'espace et la vitalité percussive de l'instrument: un défi lancé à l'interprète que assume avec une maîtrise confondante et une digitalité très claire.

Quant aux cinq mouvements de la Suite de 1919 de L'Histoire du soldat, écrite pour violon, clarinette et piano, c'est la dimension théâtrale et la dramaturgie engagée entre la voix du récitant et les instruments qui font cruellement défaut. La réduction en trio produit un effet de zoom sur le tranchant de l'écriture et l'acuité du rythme. Le superbe violon d'Hae-Sun Kang, cursif et acidulé, mène la danse avec une énergie implacable et une belle complicité avec la clarinette de et le piano d'Hidéki Nagano.

En seconde partie, Le Pierrot lunaire d' mobilisait la mezzo-soprano française aux côtés des cinq musiciens de l' qui donnaient une exécution sans chef – chose assez rare – de cette oeuvre phare de 1912. En instaurant entre le chant et la déclamation théâtrale un nouveau compromis connu sous le terme de Sprechgesang, Schoenberg laisse en définitive à la chanteuse un espace d'interprétation qu'autorise une écriture semi-flexible. Les quatre enregistrements qu'en réalise Pierre Boulez tout au long de sa carrière de chef témoignent assez clairement de la multiplicité des options possibles quant au rendu du Sprechgesang.
Installée côté cour sur une chaise haute qui lui permet de dominer la situation, est toute à la fois comédienne et chanteuse, s'aidant parfois du geste sans jamais surjouer et assumant sa partie avec une liberté dans la diction et une variété de registres très impressionnantes. Sa trajectoire d'une partie à l'autre est intelligemment menée, du fantasque au morbide pour finir dans une aura plus poétique et légèrement floutée. Avec une égale autorité, les musiciens tissent avec sa voix un contrepoint aussi souple que coloré pour conférer à chaque poème son timbre singulier. Scrutées dans le détail de leur écriture, ces 21 miniatures sonnaient avec une rare intensité.

Le programme du lendemain, qui mobilisait les forces de l'Orchestre du Conservatoire de Paris, le Choeur de l'Armée française et celui de l' sous la conduite très investie de , confrontait des oeuvres plus tardives pointant des préoccupations autres chez les deux compositeurs.

La cantate Babel qui débutait le concert avec le récitant William Nadylam sur le devant de la scène répond à une commande que Nathaniel Shilkret avait faite en 1944 à plusieurs compositeurs, dont Schoenberg lui-même. Il leur était demandé d'écrire de courtes pièces sur la Genèse. Babel ne dure que 6 minutes mais relève d'une efficacité structurelle et orchestrale sans faille. La partie chorale, très verticale et expressive, – dont se souviendra – est encadrée par les deux interventions du narrateur sur une trame musicale où Stravinsky exerce, en grand styliste, son art du timbre et de la ligne.

Ce n'est pas le prélude qu'a composé Schoenberg en réponse à la commande de Nathaniel Shilkret qui faisait écho à Babel en fin de concert mais Un survivant de Varsovie, une oeuvre de 1947, courte autant que fulgurante, dont le texte écrit par le compositeur en anglais (sauf quelques phrases en allemand) rend hommage aux victimes juives durant le troisième Reich. C'est une commande de la Fondation Koussevitsky que Schoenberg écrit au Etats-Unis où elle est crée en 1948. Elle convoque le même effectif que Babel dans une concentration saisissante des forces en présence; la Sprechstimme – William Nadylam très habité – est inscrite dans le temps musical, Schoenberg favorisant l'entrechoc du récit terrifiant et des sonorités orchestrales incisives et cinglantes. Le choeur très monolithique – celui de l'Armée française, exemplaire – qui intervient ici au sommet de la tension dramatique pour chanter d'une seule voix le Shema Israël sur lequel l'oeuvre s'achève, décuple la force émotionnelle de cette pièce d'à peine 8 minutes.

De plus grande envergure mais tout aussi dense et concentré, le Concerto pour piano de Schoenberg est une oeuvre américaine de 1942 dont l'écriture, certes moins radicale, du maître viennois, reste toujours régie par la série de douze sons. Sous les doigts de dont le jeu puissant et merveilleusement conduit galvanisait l'orchestre des étudiants, l'oeuvre s'impose dans la singularité de ses quatre mouvements enchaînés et son orchestration atypique abolissant toute hiérarchie entre les familles d'instruments. Il fallait le geste impulsif et l'énergie prodiguée par pour révéler l'oeuvre dans sa brillance et sa complexité.

La Symphonie de Psaumes écrite par Stravinsky en 1930, juste après la mort de Diaghilev qui l'avait beaucoup affecté, s'inscrit dans cette orientation nouvelle du compositeur vers le sacré et l'archétype. Stravinsky opte pour le latin et une manière hiératique et ritualisée que traduit merveilleusement , par ses tempi implacables et enlevés et la précision obtenue dans la scansion syllabique de la première partie. La double fugue, instrumentale puis vocale, est d'une clarté souveraine tout comme le Laudate Dominum in sanctis Ejus dont l'épure rythmique et mélodique témoignait de la qualité stylistique d'un choeur et d'un orchestre conduits de main de maître.

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