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Le Consul de Menotti, éloge de la phobie administrative

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Paris. Théâtre de l’Athénée – Louis Jouvet. 11-X-2014. Gian Carlo Menotti (1911-2007) : The Consul, opéra en en trois actes, livret du compositeur, créé au Schubert Theatre, Philadelphie, le 1er mars 1950. Mise en scène : Bérénice Collet. Décors et costumes : Christophe Ouvrard. Lumières : Alexandra Ursini. Vidéo : Christophe Waksmann. Avec Valérie MacCarthy, Magda Sorel ; Philippe Brocard, John Sorel ; Joëlle Fleury, La Mère ; Béatrice Dupuy, La Secrétaire ; Nicolas Rigas, L’Agent de la police secrète ; Artavazd Sargsyan, Le Magicien ; Ainhoa Zuazua Rubira, La Femme étrangère ; Aurélien Pernay, Mr Kofner ; Gaëlle Mallada, Vera Boronel ; Louise Pingeot, Anna Gomez ; Virgile Frannais, Assan ; Andrea Hill, Voix du disque. Orchestre Pasdeloup, Direction musicale Iñaki Encina Oyón.

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Entre Kafka et Broadway, Le Consul de Gian-Carlo Menotti (1911-2007) dénonce les mécanismes d'une administration mystérieuse et tyrannique qui réduit l'humanité au rang de victime.

MenottiOn a peine à croire que Le Consul de Gian-Carlo Menotti ait été en son temps un succès phénoménal, marqué par l'obtention du Prix Pulitzer 1950. C'est pourtant avec cet opéra que le compositeur (âgé de 38 ans) entra de plain-pied dans une carrière jalonnée de succès publics. Passé en quelques décennies au rang d'œuvre rare, sa programmation à l'Athénée se justifie par la volonté de son directeur, Patrice Martinet, d'ouvrir son théâtre à des esthétiques aussi diverses que complémentaires.

Évidemment, il faudra d'emblée surmonter l'écueil d'un livret qui porte mal son âge. Le contexte de la guerre froide exige aujourd'hui une distanciation nécessaire pour pouvoir y pénétrer. On entre ici dans l'univers bureaucratisé et anonyme d'un régime autoritaire au sein duquel se débattent des citoyens opprimés. Magda Sorel, dont le mari vient de fuir à l'étranger pour des raisons politiques, cherche à son tour à quitter le pays pour le rejoindre mais se heurte à une administration hermétique et absurde. Dans cette lutte perdue d'avance, elle perd tour à tour son fils, sa belle-mère, et finit par se suicider alors même que son mari vient d'être capturé par la police. On aurait tort de considérer cette trame narrative à l'aune unique d'une vision manichéenne et anticommuniste. Plusieurs éléments, dont certains sont à rechercher dans la biographie même de Menotti, traduisent le scepticisme du compositeur (et librettiste) envers la politique d'immigration américaine de ces années d'après-guerre.

Roman noir

Difficile pour la metteure en scène d'échapper à l'esthétique et au continuum cinématographique de cet opéra. Aidée en cela par la simplicité épurée des décors et des projections de Christophe Waksmann, elle dirige les acteurs à la manière d'un story board de film noir. On navigue entre Hitchcock et les films de Michael Powell et Emeric Pressburger, le tout filmé en plan-séquence avec un découpage très net des scènes d'intérieur. La scénographie de Christophe Ouvrard et les éclairages d'Alexandre Ursini contournent l'obstacle d'une action en milieu confiné qui tourneraient vite à l'ennui sans les projections surréalistes qui accélèrent le tempo visuel et donnent de l'épaisseur à la folie suicidaire de Magda.

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Le « Puccini du pauvre » ?

Pierre angulaire de ce cabinet de curiosité, la musique de Menotti ne se limite pas au coup de griffe de Pierre Boulez qui en faisait le « Puccini du pauvre ». Nous la saisissons désormais pour ce qu'elle est : un habile amalgame d'influences et d'atmosphères, dont la porosité inventive s'ouvre tant bien que mal aux ressources infinies de la musique de film, du vérisme éploré jusqu'au music-hall, chanson populaire et cabaret. Les alternances tragi-comiques font le sel de cette partition, ménageant sans transition le passage du sordide (la mort de l'enfant, la brutalité des policiers…) à l'humour décalé (la scène du magicien et les chorégraphies dans le hall d'attente). dirige sans ambages cette musique inclassable, à la tête d'un à la sonorité parfois assez grêle du côté des cordes, mais qui sait élargir son spectre expressif pour faire oublier la modestie de l'effectif dans les passages les plus lyriques.

Le plateau tire globalement vers l'excellence, à commencer par (Magda Sorel) qui brûle les planches dans le célèbre To this we've come ou en secrétaire inflexible dont la voix traduit par la maîtrise et l'autorité le caractère de son personnage. campe un John Sorel très affirmé et réaliste, aux côtés duquel semble forcer le trait pour exprimer les tourments de la Mère. Mention spéciale à , nouvellement nommé à l'atelier lyrique de l'Opéra de Paris, qui se tire habilement du rôle complexe du Magicien, véritable prouesse vocale et théâtrale… et parfaite aberration du livret ! Ne boudons pas notre plaisir et saluons ce Consul de Menotti au Théâtre de l'Athénée comme la première étape d'un parcours passionnant qui nous mènera (entre autres !) de Respighi à Kurtag, en passant par Sciarrino et Levinas…

Crédits photographiques : © Théâtre de l'Athénée – Louis Jouvet

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Paris. Théâtre de l’Athénée – Louis Jouvet. 11-X-2014. Gian Carlo Menotti (1911-2007) : The Consul, opéra en en trois actes, livret du compositeur, créé au Schubert Theatre, Philadelphie, le 1er mars 1950. Mise en scène : Bérénice Collet. Décors et costumes : Christophe Ouvrard. Lumières : Alexandra Ursini. Vidéo : Christophe Waksmann. Avec Valérie MacCarthy, Magda Sorel ; Philippe Brocard, John Sorel ; Joëlle Fleury, La Mère ; Béatrice Dupuy, La Secrétaire ; Nicolas Rigas, L’Agent de la police secrète ; Artavazd Sargsyan, Le Magicien ; Ainhoa Zuazua Rubira, La Femme étrangère ; Aurélien Pernay, Mr Kofner ; Gaëlle Mallada, Vera Boronel ; Louise Pingeot, Anna Gomez ; Virgile Frannais, Assan ; Andrea Hill, Voix du disque. Orchestre Pasdeloup, Direction musicale Iñaki Encina Oyón.

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