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Esa-Pekka Salonen enflamme Elektra au Verbier Festival

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Verbier. Salle des Combins. 27-VII-2017. Richard Strauss (1864-1949) : Elektra, tragédie en un acte sur un livret de Hugo von Hofmannsthal d’après Sophocle. Version concertante. Avec Lise Lindstrom, Elektra ; Ingela Brimberg, Chrysothémis ; Anna Larsson, Klytämnestra ; Eric Owens, Orest ; Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Ägisth ; Jasper Leever, Der Pfleger/Alter Diener ; Aleksandra Rybakova, Die Vertraute/Aufseherin ; Anna Harvey, Die Schleppträgerin/IV. Magd ; Andrew Staples, Junger Diener ; Idunnu Münch, I. Magd ; Anastasiia Sidorova, II. Magd ; Bethan Langford, III. Magd ; Anna-Maria Palii, V. Magd. Verbier Festival Orchestra. Direction : Esa-Pekka Salonen

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Avec cette Elektra de magistralement dirigée par un impérial et une magistrale dans le rôle-titre, le Verbier Festival s'est offert l'une de ses meilleures soirées d'opéra depuis…

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Pas le temps de se caler gentiment dans son siège, de rassembler ses petites affaires, de jeter un regard à qui vous entoure comme il est presque de tradition pendant les ouvertures d'opéra. Avec Elektra, vous jette immédiatement dans le drame. Dans cette tuerie familiale, dans l'esprit de vengeance qui anime Elektra, le sang est présent dès la première mesure. En s'adjugeant le plus straussien des chefs actuels, le finlandais , le Verbier Festival ne pouvait avoir main plus heureuse. L'incroyable énergie avec laquelle il mène un survolté est au-delà de toute louange.

Imaginez ! Un concert ? Un seul concert ? Toutes ces énergies mises en commun pour mettre en place les mille détails d'une partition incroyablement riche, pour soigner les couleurs orchestrales, pour souligner les nuances, pour mettre l'orchestre au niveau sonore idéal pour chaque chanteur sans que l'esprit de l'œuvre n'en pâtisse. Tant de choses pour un seul concert. Aujourd'hui, on chante. Demain, on se quitte pour de nouveaux horizons. Et tout cela pour quoi ? Pour obtenir un moment musical enthousiasmant. Enthousiasmant pour le public et pour chacun des protagonistes.

Être prêts pour cette soirée pouvait être le résultat d'un professionnalisme exigeant, d'une conscience aguerrie. Certes, ce sont des conditions indispensables mais, avec ce seul but, ce concert n'aurait été qu'une autre représentation d'un intéressant opéra de . Au lieu de cela, il y a eu ce « je-ne-sais-quoi » qui fait qu'il se passe quelque chose d'indéfinissable, de supérieur à l'entendement cartésien. Devant l'incroyable unité qui d'emblée réunit orchestre, chef et chanteurs, on pense à une distribution importée au complet d'une récente production. Alors, on scrute internet, on fouille, on cherche pour en savoir plus sur cette rencontre passée et…rien ! Non, ce miracle n'est que le fruit d'une rencontre certainement prévue de longue date, mais qui n'a pu se faire que sur le papier de contrats. Alors que sur la scène, c'est une toute autre histoire qui se noue.

Catalyseurs de cette soirée, le chef et la soprano (Elektra). Le geste large et harmonieux, favorisant le drame à l'esprit viennois de Richard Strauss, le chef impose une dynamique incroyable à l'orchestre. Le bras de la baguette pointé vers l'orchestre, le corps faisant plutôt face aux pupitres de violons postés à sa gauche, Esa-Pekka Salonen semble ne jamais donner d'ordres de départ. Et pourtant. Malgré la complexité de la partition, la violence des timbres, le passage de la mélodie d'un pupitre à l'autre, l'ensemble orchestral est d'une précision diabolique et d'une homogénéité parfaite. Nul doute qu'avec un tel moteur, quiconque se sent irrésistiblement entraîné.

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C'est ce que ne peut réfréner la soprano (Elektra). Belle, sculpturale, blonde à ravir, vêtue d'une robe vert émeraude aux brocarts d'argent, le violent, profond, grave « Agamemnon ! Agamemnon ! » qu'elle lance donne le ton de son personnage. La soprano scelle ainsi l'esprit de son interprétation, entrainant derrière son immense talent celui de ses compagnons de scène. Deux heures durant, elle reste debout, fière, déterminée, chantant sans aucun ménagement son désir inextinguible de vengeance et sa haine envers sa mère, l'assassin de son père. Une voix portée vers l'avant, avec des couleurs changeantes admirablement contrôlées. Ainsi de l'ironique « Träumst du, Mutter ? » proféré en mezza voce jusqu'au bouleversant « Orest ! Orest ! Orest ! » chanté avec une gratitude telle qu'il est difficile de retenir les larmes, Lise Lindstrom prouve qu'elle est incontestablement l'une de plus grandes Elektra actuelles.

Et ce frère tant attendu, admirablement chanté par le baryton-basse américain (Orest), remplaçant la prise de rôle initialement prévue de Thomas Hampson, quelle beauté de timbre, quelle admirable diction, quelle authenticité artistique dans ce trop court moment de « grand chant » , et surprendre son regard admiratif envers cette Elektra de rêve !

Autre très belle prestation, celle de la soprano (Chrysotémis), n'épargnant pas son énergie pour convaincre vainement sa sœur de surseoir à son projet parricide. Même si le caractère pervers du personnage ne transparaît pas à l'évidence, la contralto (Klytämnesta), majestueuse dans sa robe rouge vif, affiche une magnifique complicité vocale avec Elektra dans le duo qui les oppose.

La retenue du ténor (Ägisth) exprime avec un à-propos adéquat un personnage souvent caricaturé. De leur côté, les autres protagonistes mériteraient tous mention eu égard au soin que chacun apporte au moindre petit rôle. À ce propos, la voix bien particulière d' (V. Magd) affirme une personnalité vocale d'intérêt.

C'est inévitablement un public délirant qui a ovationné cette soirée, probablement l'une des plus belles prestations d'opéra que le Verbier Festival peut porter à son palmarès.

Crédit photographique : © Nicolas Brodard

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