La Scène, Spectacles divers

Les deux Messes de Denis Dufour célébrées sous la voûte de Saint-Merry

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Paris. Église Saint-Merry. Rendez-Vous Contemporains. 10-X-2019. Denis Dufour (né en 1953) : Missa pro pueris (création mondiale) pour sons fixés ; Messe à l’usage des vieillards pour sons fixés. Acousmonium Motus ; interprète à la console : Jonathan Prager

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Menant une politique d'ouverture sur toutes les expressions artistiques d'aujourd'hui, les Rendez-vous contemporains de Saint-Merry accueillent, comme chaque année, l'acousmonium Motus et la musique électroacoustique pour un concert monographique autour du compositeur .

Il a travaillé au sein de l'équipe du Groupe de Recherche Musicale (GRM) durant de longues années sans toutefois délaisser la composition instrumentale. rend ce soir un hommage à celui qui fut son professeur et mentor, membre lui aussi du GRM, Ivo Malec, à qui le concert est dédié.

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Ce sont deux « Messes », dont une création mondiale, qui résonnent sous la voute de Saint-Merry : un défi pour l'interprète à la console, , qui doit dompter l'acoustique du lieu dans des œuvres avec texte où la voix prend une importance signifiante autant que musicale.

Missa pro pueris reprend dans son ensemble le matériau de la Messe à l'usage des enfants de 1986 dont Dufour a totalement remanié la facture. La messe acousmatique (entendue à travers les seuls haut-parleurs) décline les cinq parties de l'Ordinaire – Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus – et sollicite deux voix de récitants, Paul et Raphaël Willenbrock donnant à entendre le texte de , fidèle collaborateur du compositeur.

DenisConcert©HH - copie

Missa pro pueris est une «messe française», comme il existe un Requiem allemand, dont le texte s'émancipe totalement du cadre liturgique mais ne renie pas une certaine forme de rituel. Le Kyrie tapageur (« Toi qui riais ») prend une belle envergure sonore, débutant haut et fort dans un flux dense au spectre large et à l'évolution lente, auquel nous a peu habitués le compositeur. Les martinets insolents qui piaillent dans l'aigu tout comme certaines phrases  – « Détourne de moi tes yeux d'ordinateur »  – instaurent d'emblée une certaine distance. Après le Gloria (« Lève, lève-toi ») avec chants d'enfants et sonneries réverbérantes, le Credo est plus théâtral, plus long également comme dans la liturgie. Y apparaissent les premiers motifs rythmiques tournant en boucle et l'élément aquatique, récurrent dans le « jardin de sons » du compositeur. Les voix parlées (celle de Paul Willenbrock au délicieux accent) sont traitées (réverbérées, hachées, filtrées, etc.) alors que le chant de gorge (celui d'Hamish Hossain) investit l'extrême grave du registre. Le Sanctus, installant boucles et pulsations, prend des allures incantatoires. Le Benedictus, comme il est d'usage, est traité à part (« Béni sois-tu ») et fait converger les matériaux déjà exposés, sonnailles, écoulement de l'eau, voix des «anges», autant d'éléments dont la symbolique ne peut échapper à l'auditeur. Sur les sifflantes du texte (« Agneau de toi, messe de roi »), le niveau sonore monte jusqu'à saturation de l'espace, tandis que la doxologie (« Gloire à toi »), déployant le large spectre d'un chant diphonique, plonge les dernières minutes de la messe dans un temps «oriental», «l'éternel présent de la contemplation» disait Gérard Grisey.

JonathanConsole©HH

Trente deux années séparent les deux Messes de , durant lesquelles les outils ont évolué ainsi que l'esthétique du compositeur. Messe à l'usage des vieillards (1987) donnée en seconde partie est une « messe de terre », pour reprendre l'expression de Michel Chion, qui s'éloigne davantage des représentations du rituel, même si les cinq parties de l'Ordinaire rythment là encore le déroulement global. Les voix, toutes féminines, ont été dûment choisies, avec leur grain savoureux et l'accent du terroir, pour dire le très beau texte de , plus profus et moins audible, hélas, dans l'acoustique de l'église. Aux séquences électroacoustiques denses et foisonnantes, dont modèle les couleurs et le mouvement avec une dextérité sidérante, s'agrègent les « sons du quotidien », bruits de pas, cris de mouettes, écoulement de l'eau, porte qui s'ouvre… conférant une dimension plus radiophonique à l'œuvre : « C'est que la religion dont il s'agit ici n'est pas celle de notre bonne Église apostolique et romaine, mais un travail plus subtil, un trait d'union, de liaison (religare = relier) entre ces rochers d'affects », souligne dans la notice d'œuvre. Dufour se plait à juxtaposer de manière abrupte les propos tout sauf anodins de ces vieilles dames (« On n'en sait jamais trop pour aller à la rencontre de l'inconnu ») à des matériaux exogènes soumettant l'écoute à des « chaud-froid » permanents : une manière aussi radicale que virtuose d'envisager le « scénario », qui ne laisse pas moins filtrer une tendresse infinie pour ce « troisième âge » ici célébré.

Crédit photographique : © Hamish Hossain

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