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À l’Opéra Comique, Hippolyte et Aricie à huis clos

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Paris. Opéra Comique. 14-XI-2020. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Hippolyte et Aricie, tragédie lyrique avec un prologue et cinq actes, sur un livret de l’abbé Simon-Joseph Pellegrin. Mise en scène : Jeanne Candel. Décors : Lisa Navarro. Costumes : Pauline Kieffer. Lumières : César Godefroy. Avec : Reinoud van Mechelen, Hippolyte ; Elsa Benoit, Aricie ; Sylvie Brunet-Grupposo, Phèdre ; Stéphane Degout, Thésée ; Séraphine Cotrez, Oenone ; Arnaud Richard, Neptune/Pluton ; Eugénie Lefebvre, Diane, Lea Desandre, Prêtresse de Diane, Chasseresse, Matelote, Bergère ; Edwin Fardini, Tisiphone ; Constantin Goubet, 1re Parque ; Martial Pauliat, 2e Parque Arcas ; Virgile Ancely, 3e Parque ; Guillaume Gutierrez, Mercure ; Yves-Noël Genod, prologue. Chœur et orchestre Pygmalion, direction : Raphaël Pichon
Concert sans public diffusé en direct sur Arte Concert

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Dans une année où le spectacle vivant se bat à cor et à cri, l'Opéra Comique choisit de maintenir sa nouvelle production d'Hippolyte et Aricie malgré un nouveau confinement qui prive le spectacle de son public en salle, proposant une retransmission en direct sur Arte Concert et France Musique, disponible pour plusieurs mois. Une nouveauté dans le monde lyrique !

1 Hippolyte et Aricie DR Stefan Brion_opt
La retransmission démarre par un plan fixe de la salle entièrement vide. Les plans suivants montrent un orchestre masqué, soulignant s'il ne le fallait, un contexte bien singulier qui caractérise cette audacieuse entreprise. Malgré plusieurs problèmes techniques (comme toutes premières !) et une coupure peu après 21h, juste avant le merveilleux trio des Parques de l'acte II (que l'on retrouvera toutefois en replay), la persévérance d'une équipe technique et artistique, ainsi que la passion d'un théâtre, instaurent une connivence certaine avec un spectateur-auditeur compréhensif et reconnaissant de cette initiative.

Le premier ouvrage lyrique de Rameau est ici représenté dans sa version de 1757, plus resserrée et plus dynamique dramatiquement, avec notamment la suppression du prologue musical, et toutefois quelques emprunts ici et là à la première version de 1733. Hippolyte et Aricie est associé à la fameuse guerre entre les « Lullystes » et les « Ramistes », ceux-ci insultant pour la première fois une œuvre musicale en usant du terme « baroque » ! Pourtant, Rameau reste fidèle à la tradition en proposant une construction en cinq actes héritée de son illustre prédécesseur dont l'ombre plane encore au moment de la création de l'ouvrage : son récitatif est respectueux du modèle vénérés lullyste, et cela même s'il l'enrichit harmoniquement. La nouveauté vient surtout de la multiplication des images sonores de l'orchestre et des ensembles concertants qui racontent en musique et participent à l'action, ainsi que des divertissements chorégraphiques intégrés au drame. L' tient son rôle d'une main de maître, y mettant tous les reliefs et l'énergie pour que la scène fusionne avec la fosse avec un subtil naturel.

La distribution vocale est de grande qualité, tant par sa diction que par son engagement. Si les deux rôles-titres semblent bien pâles face au couple royal, cette mise en avant ne cherche seulement, encore une fois, qu'à respecter les conventions de la tragédie lyrique. La sensibilité très tendre de (Hippolyte) s'accorde au timbre charnu d'. La guerrière , transformée en une sirène maniérée au moment des matelots affirme un chant plein de relief et de piquant, et conclut par un « Rossignol amoureux » empreint d'une simplicité élégante mêlée à une douce virtuosité. La Diane dans l'approche de la soprano reste assez froide, mais l'élégance du baryton en Tisiphone et la noblesse de la mezzo-soprano (Oenone) complètent ce tableau alléchant, alors qu', remplaçant en Neptune et Pluton, brille dans son grand solo durant l'acte infernal, avec des chœurs accomplis.

Thésée domine la distribution par sa dignité et sa puissance, soutenu par un orchestre toujours évocateur. La prestation de , bouleversant lors de son monologue au début de l'acte V, se caractérise très vite par une fermeté et une justesse précises qui ne peuvent que susciter l'adhésion. Dans les interventions de Phèdre, marque les mémoires entre un monologue pleinement incarné au début de l'acte III et sa plainte touchante à la fin de l'acte IV, faisant d'elle une tragédienne hors pair.

4 Hippolyte et Aricie DR Stefan Brion_opt
Au cours de cette retransmission, France Musique a certainement dû gagner des auditeurs réfractaires à la mise en scène peu flatteuse de Jeanne Candel. Alors que l'abbé Pellegrin nous perdait déjà avec une trame tortueuse, cette approche théâtrale où « la cage de scène devient la cage thoracique de Phèdre comme le labyrinthe qu'affronte le vainqueur du Minotaure » est finalement, elle aussi, peu lisible. La caméra marque encore plus ses faiblesses, la toile du premier acte sur laquelle les chasseresses et chasseurs de Diane tirent au fusil pour produire des impacts colorés (une référence aux Tirs de Niki de Saint Phalle), souligne un tableau froid à l'image. Quelques bonnes idées toutefois : l'absence du monstre marin qui aurait eu du mal à susciter l'effroi s'il avait été matérialisé sur scène ; et la « transformation à vue » typique de l'opéra baroque, même si les arbres mobiles à l'acte V sont plus grotesques que propres à valoriser une référence historique.

Le peu de lisibilité de cette vision scénique est encore plus marquée par les costumes qui mêlent des costumes inspirés du Moyen-Orient et des Balkans, comme de la Grèce sous la domination ottomane, et des costumes du quotidien d'aujourd'hui, entre costards-cravates, tenues d'agents d'entretien et autres combinaisons blanches sans forme. Le ridicule sera de la partie à l'apparition de grotesques matelots, soi-disant inspirés du Carnaval de Dunkerque, où des masques disproportionnés côtoieront ceux composés de sacs en papier. Le summum sera ce cerf à collants à l'acte V, poursuivit par une horde de chiens et de chasseurs, agrémentés d'arbres mobiles selon la course de la chasse.

Troublante image à la fin du spectacle quand, à la place des saluts, l'équipe complète est figée, répartie sur l'ensemble du premier balcon, fixant la caméra dans un silence glaçant. Des dizaines de visages masqués, comme mettant sous silence la Culture.

Crédits photographiques : © Stefan Brion

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Paris. Opéra Comique. 14-XI-2020. Jean-Philippe Rameau (1683-1764) : Hippolyte et Aricie, tragédie lyrique avec un prologue et cinq actes, sur un livret de l’abbé Simon-Joseph Pellegrin. Mise en scène : Jeanne Candel. Décors : Lisa Navarro. Costumes : Pauline Kieffer. Lumières : César Godefroy. Avec : Reinoud van Mechelen, Hippolyte ; Elsa Benoit, Aricie ; Sylvie Brunet-Grupposo, Phèdre ; Stéphane Degout, Thésée ; Séraphine Cotrez, Oenone ; Arnaud Richard, Neptune/Pluton ; Eugénie Lefebvre, Diane, Lea Desandre, Prêtresse de Diane, Chasseresse, Matelote, Bergère ; Edwin Fardini, Tisiphone ; Constantin Goubet, 1re Parque ; Martial Pauliat, 2e Parque Arcas ; Virgile Ancely, 3e Parque ; Guillaume Gutierrez, Mercure ; Yves-Noël Genod, prologue. Chœur et orchestre Pygmalion, direction : Raphaël Pichon
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