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De Berlin à Broadway : Kurt Weill, transfuge et visionnaire

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Kurt Weill – de Berlin à Broadway. Édition établie par Pascal Huynh. Philippe Bouquet / Diane Meur / Philippe Mortimer, traducteurs. Éditions de la Philharmonie de Paris. 466 pages. 28€. Février 2021

 
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Les Éditions de la Philharmonie de Paris publient une version révisée de l'ouvrage éponyme de paru en 1993. Une nouvelle occasion de faire le point sur un compositeur connu et méconnu, au militantisme plus actuel que jamais.

Né en 1900, est connu (L'Opéra de quat' sous, Mahagonny) et méconnu (quasiment tout le reste). Élève de Humperdinck, de Busoni, il a fui le nazisme. D'abord en France en 1933. Puis, pressentant que son oratorio Le Chemin de la promesse serait créé là-bas, aux États-Unis en 1935. Le rêve américain allait lui permettre de perpétuer le sien, initié avec Bertold Brecht, d'un opéra « sans snobisme », un opéra pour tous.

L'ouvrage de suit pas à pas l'intelligence pointue de ce militantisme inentamable, au long d'une bonne centaine de textes (26 de plus que dans la précédente édition), généralement brefs (palme de la brièveté et de l'humour au piquant portrait de son épouse Lotte Lenya), présentés chronologiquement et conclus par une succincte iconographie. Hormis le brûlot « Les armes de l'esprit n'y feront rien » dénonçant dès 1930 « une bêtise et une étroitesse d'esprit comme on en avait rarement vu », les difficultés que l'on imagine, inhérentes aux dramatiques conditions d'un exil forcé, n'apparaissent quasiment pas au fil de chroniques et d'entretiens (Weill fut un journaliste très prisé) entièrement centrés sur la préoccupation musicale. Des propos éclairants (un pan méconnu de la personnalité d'Otto Klemperer nous est révélé via un vibrant hommage à celui qui, dans les années 20, modernisa le répertoire lyrique de la Krolloper), toujours en résonance avec une époque qui pourrait être la nôtre, doublés de réflexions à visées profondément fondatrices.

Ayant, dès 1928, professé le plus vif intérêt pour « l'opéra d'actualité », Weill en 1930 devient prémonitoire lorsqu'il affirme que la musique « peut moins que jamais se tenir à distance de la politique. » Il s'élève bien sûr contre ce public à la recherche d'un « agréable divertissement dont le principal but doit être de lui faire oublier les soucis du quotidien ». Un militantisme qu'il brandira jusque sur la scène de…. Broadway ! Ou à la radio (née avec le siècle en même temps que lui) qui l'émerveille, notamment par sa promesse d'un « art radiophonique absolu ». C'est pour elle qu'en 1929 il compose son pédagogique Vol de Lindbergh. Ou encore au cinéma. Frère d'armes d'Honegger, Weill loue le compositeur suisse en musicien de film, et confesse à Lotte Eisner sa reconnaissance du cinéma en « art total », persuadé que « la popularité de ce nouveau média allait ouvrir la voie à une nouvelle forme artistique ». Il composa pour Fritz Lang mais dut déchanter après le rêve d'une collaboration totale avec le réalisateur (à la façon dont Michel Legrand ou Philip Glass allaient procéder plus tard), rêve brisé par Hollywood qui rejeta une grande partie de sa musique, la remplaçant même par une autre ! Ce qui n'empêcha pas un Weill déclarant ne jamais avoir quitté l'Allemagne au fond de lui-même, d'entonner de récurrents chants de louange à l'Amérique, allant jusqu'à morigéner le magazine Life pour l'avoir dépeint en compositeur allemand !

L'histoire sourcille toujours quant aux transfuges : l'intégration subite de Weill, qui clamait se sentir américain avant même d'avoir posé le pied sur le Nouveau Continent, si vite capable de rêver en anglais (signe, selon Busoni, d'une parfaite intégration), stupéfia ses coreligionnaires émigrés. Quant à ses opéras et comédies musicales américains (Street Scene, Lady in the dark, Lost in the stars…) ils auraient pétrifié Schoenberg, pourtant très laudatif jusqu'en 1928 au sujet de celui en qui Adorno voyait l'alternative d'une autre avant-garde que celle de l'École de Vienne. Weill parle de son côté de « rupture consommée » d'avec « ces compositeurs pleins de mépris envers le public, qui tâchent – à huis clos – de résoudre des problèmes esthétiques. »

Vers la fin de l'ouvrage, , disparu en 1950, admiratif du Porgy and Bess de Gerschwin, appelle de ses vœux l'avènement de l'opéra américain, alors abonné absent d'un catalogue lyrique dont les titres étaient tous nés sur le Vieux Continent. Il n'est pas interdit de rêver à notre tour que s'il n'était pas mort aussi tôt (1950), il aurait pu assister en 1976 avec Einstein on the beach, à la naissance d'un genre pour lequel il avait ouvert grand les portes.

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