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Les désespoirs contenus de Petrenko dans Prokofiev et Miaskovski

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Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Symphonie n° 6 op. 111. Nikolaï Miaskovski (1881-1950) : Symphonie n° 27 op. 85. Orchestre philharmonique d’Oslo, direction : Vasily Petrenko. 1 CD Lawo. Enregistré au Concert Hall d’Oslo en novembre 2018 et mai 2019. Notice en anglais et norvégien. Durée : 76:24

 
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Voilà un curieux couplage entre deux symphonies russes qui offrent, au XXe siècle, des esthétiques fort éloignées les unes des autres. et la phalange norvégienne en proposent des lectures précises et virtuoses, mais un peu trop sages à notre goût.

De l'Orchestre Royal Philharmonic au Philharmonique d'Oslo, le chef russe a réussi… et raté (de notre point de vue, cela va sans dire) nombre d'enregistrements. Une inconstance régulière dans une discographie déjà impressionnante et dont les jalons récents ont été salués dans ces colonnes (la fin de l'intégrale des œuvres symphoniques de Strauss ainsi qu'un excellent programme Stravinsky/Rossini-Respighi). Plus anciennement, ses interprétations de Tchaïkovski (Naxos) et des Symphonies de Scriabine (Lawo) manquaient de tension et d'engagement. Cela était encore plus marquant dans un Roméo et Juliette de Prokofiev (Lawo) oubliable en raison de la mollesse de la direction. Succès et échecs caractérisaient aussi les intégrales des concertos et partitions symphoniques de Rachmaninov pour Warner et Avie (comment louper à ce point les Concertos n° 1 et n° 4 avec Simon Trpceski et offrir une splendide Symphonie n° 3 ?). Il en allait de même avec les œuvres de Prokofiev (Onyx, PentaTone) sans oublier les Symphonies de Chostakovitch avec Liverpool (Naxos).

La Symphonie n° 6 de Prokofiev fut créée le 11 octobre 1947 dans la grande salle du Conservatoire, par l'Orchestre philharmonique de Leningrad dirigé par son chef attitré, Evgueny Mravinsky. Le succès public fut au rendez-vous, mais lors de la création moscovite, ordre fut donné à la presse d'éreinter la partition : « Un compositeur malade qui a sombré dans une inutile complexité de langage », « un pessimisme pathologique ». Autant d'expressions en forme d'avertissement qui isolèrent davantage le compositeur. Sous la baguette de Petrenko, le caractère austère et “acide” du premier mouvement n'est pas suffisamment appuyé. Sa lecture affûtée de la symphonie révèle aussi un morcellement des climats : Petrenko les “éclate” en une succession d'épisodes. Le développement corrosif et violent de la partition évoque une lutte “à la Borodine”. Pourtant, la présente interprétation manque de souffle et de souplesse à la fois. Les dissonances barbares du Largo s'ouvrent progressivement sur un chant lyrique passionné. Là encore, l'orchestre ménage les contrastes, cherchant le “beau” son, là où il n'existe pas. Le finale annonce déjà la dimension printanière et faussement bucolique de la Symphonie n° 7. L'ironie, les sarcasmes s'empilent dans ce scherzo comme dans une rengaine, accumulant des airs choisis pour leur trivialité. La petite harmonie de la formation norvégienne se tire avec les honneurs de ces dialogues pétillants et lointainement mahlériens. Face à ces pupitres, la pesanteur justifiée des cordes et des cuivres distille une impression de malaise, qui correspond fort bien aux “ricanements” de l'écriture. A nouveau, Petrenko aurait pu aller plus loin encore dans l'imaginaire des “temps soviétiques”. Cette lecture de belle tenue se place en second choix après celles de Valery Gergiev, Dimitri Kitaenko et Seiji Ozawa, sans oublier les références anciennes de Zdenek Kosler, Erich Leinsdorf et, bien évidemment, Evgeny Mravinski.

Egalement en trois mouvements, la Symphonie n° 27 de Miaskovski est l'ultime jalon d'un cycle, hélas, méconnu. L'humour et plus encore l'ironie étaient absents chez ce compositeur dont l'écriture prolonge la tradition russe héritée de Tchaïkovski, Liadov, Rimski-Korsakov et Glazounov. Les trois dernières symphonies datent d'après la Seconde Guerre mondiale et leur esthétique demeure, dans le climat des purges staliniennes, prudemment académique. Miaskovski n'aura pas l'occasion d'entendre sa dernière symphonie créée quatre mois après sa mort. Petrenko la dirige dans l'esprit d'une Symphonie n°4 imaginaire de Rachmaninov. Il resserre le récit, concentre les phrases mélodiques et un lyrisme tenu. L'Adagio si délicatement cuivré est une déclamation en forme d'hommage à la Symphonie “Pathétique” de Tchaïkovski. L'expression des cordes (2') est magnifique de sensibilité et d'une veine assez pudique (on songe à Elgar). Elle traduit le sentiment d'adieu d'un compositeur qui sait que ses jours sont comptés. Le finale est à nouveau un hommage à Tchaïkovski, mais cette fois-ci à sa Symphonie n°5. Voilà une belle version qui supplante celle de Polyanski (Chandos) mais reste en-deçà de la référence de Svetlanov (Warner ou Alto) et de la lecture historique d'Alexander Gauk (Melodiya) non-rééditée en CD.

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Sergueï Prokofiev (1891-1953) : Symphonie n° 6 op. 111. Nikolaï Miaskovski (1881-1950) : Symphonie n° 27 op. 85. Orchestre philharmonique d’Oslo, direction : Vasily Petrenko. 1 CD Lawo. Enregistré au Concert Hall d’Oslo en novembre 2018 et mai 2019. Notice en anglais et norvégien. Durée : 76:24

 
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