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Ouverture du Printemps des Arts de Monte-Carlo sous la direction de Bruno Mantovani

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Monte-Carlo. Festival Printemps des Arts. 11 au 13-III-2022. Auditorium Rainier III. Guillaume de Machaut (1300-1377) : Ma fin est mon commencement, ensemble Gilles Binchois ; Peter Eötvös(né en 1944) : Sirens’Song. Serge Prokofiev (1891-1953) : Concerto n°1 en ré bémol majeur op.10 et Concerto n°5 en sol majeur op.55. Belà Bartók (1881-1945) : Le Mandarin merveilleux op.19, Sz73. Orchestre Philharmonique de Strasbourg, direction Marko Letonja, Jean-Efflam Bavouzet, piano. Tunnel Riva. pièces de divers compositeurs. Sandro Compagnon, saxophone, et Gaspard Dehaene, piano. Musée Océanographique. Joseph Haydn (1732-1809) : Sonates n°59 Hob.XVI.49 et n°62 Hob.XVI.52; Claude Debussy (1862-1918) : Ballade, Nocturne en ré bémol, Danse (Tarentelle Styrienne), Estampes, L’Isle Joyeuse. Opéra de Monte-Carlo : Joseph Haydn (1732-1809) : Sonates n°39 Hob.XVI.24 et n°31 Hob.XVI.46. Claude Debussy (1862-1918) : Hommage à Haydn, et Préludes deuxième livre. Jean-Efflam Bavouzet, piano

 
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Ma fin est mon commencement – opus 1 : avec cet intitulé, le festival Printemps des Arts de Monte-Carlo prend un nouveau départ sous la direction artistique de Bruno Mantovani qui succède à Marc Monnet. Une édition qui ne tourne pas le dos au passé, mais qui en garde l'esprit d'exploration et d'ouverture tout en proposant d'autres chemins. 


Le festival monégasque vient de retrouver son public pour quatre semaines de réjouissances musicales, suivant une ligne thématique dont l'œuvre de Ma fin est mon commencement donnée en concert d'ouverture se veut la devise. De cette pièce qui marque l'avènement de l'Ars Nova au XIVᵉ siècle, aux quatre créations mondiales inscrites au programme (œuvres de Bastien David, , Yan Maresz, et Michel Pétrossian/Aram hovhannisyan), c'est un voyage à travers huit siècles de musique que propose , voyage « à travers le temps universel mais aussi le temps spécifique à chaque compositeur ». Magistralement construite, sa programmation tisse des liens, tend des traverses entre des compositeurs souvent très éloignés dans le temps mais aussi esthétiquement, et entre les œuvres de jeunesse et de la maturité de certains d'entre eux, mettant en lumière leur évolution stylistique. Démontrer que la création contemporaine ne nait pas ex-nihilo, mais est bien rattachée au passé « point de départ de toute innovation » et gage de liberté créatrice, c'est aussi pour inviter le public à partager par l'écoute une réflexion sur l'histoire de la musique, éclairée par des conférences, rencontres et tables rondes proposées en « before », comme celle intitulée avec humour « La grande galerie de l'évolution stylistique », qui précède le premier concert de . Au fil de trois concerts, un portrait haut en couleurs du pianiste occupe le cœur de la programmation du premier week-end. 

Dans l'auditorium Rainier III, l' de prélude comme la veille avec Ma fin est un commencement de Machaut, rébus poético-musical combinant une mélodie et la même à rebours (… et mon commencement ma fin) dans un contrepoint paraissant étonnamment proche de la modernité. Par un grand saut dans le temps, le chant moyenâgeux nous projette ensuite dans une œuvre orchestrale très récente (composée en 2021) du compositeur hongrois Peter Eötvös, Sirens'Song, interprétée par l' dirigé par , sa deuxième pièce sur le mythe des sirènes, au grain particulier, faite de sonorités étranges et fascinantes, sombres, voire noires, ou surnaturelles dans l'aigu de ses trilles vibratiles. Puis le piano prend sa place devant l'orchestre et ce ne sont pas moins de deux concertos de Serge Prokofiev qui jaillissent sous les doigts de . Le Concerto n° 1 en ré bémol majeur op.10, œuvre de jeunesse, ramassé et joué d'un seul jet, éblouit dès sa grandiose et resplendissante introduction, éclaboussant de lumière et de ses sonorités franches, et décuplant de vitalité dans l'accélération finale de son dernier mouvement après la rêverie de son court mouvement lent. Le pianiste redouble d'énergie dans le Concerto n° 5 en sol majeur op.55, le dernier du compositeur russe : il s'y amuse, en grossit les contrastes, l'épaisseur des accords, en souligne la dérision, dans un jeu staccato bondissant, et sur les longs traits lyriques et sombres de l'orchestre, chante un larghetto poignant, avant de parsemer de cinglants accents le vivo final. Le concert se termine sur Le Mandarin merveilleux , suite d'orchestre op.19 de , dont le propos et la musique trouvent une parenté avec la pièce d'Eötvös entendue précédemment. Une partition mise en valeur par l'orchestre, ses solistes (clarinette solo particulièrement expressive) et son chef, dans ses couleurs, ses dynamiques, et l'atmosphère qui habille sa narration, jusqu'à la danse finale, frénétique et brûlante. L'orchestre restera en Hongrie avec une Danse hongroise de Brahms donnée en bis.


Le lendemain, changement de décor pour le premier concert de la journée. Nous pénétrons dans un lieu inattendu, insolite et unique. Un tunnel, qui fait face au port. Sous sa voûte plongée dans la pénombre, nous avançons entre deux coursives où s'alignent de rutilants Riva, ces luxueux et prestigieux bateaux à moteur emblématiques des années 50, entreposés là en attendant leurs propriétaires et les beaux jours. Sur les murs, des posters géants, photos d'époque où l'on reconnait des célébrités. Tout au fond une scène a été aménagée. Sous l'acajou verni des coques impeccables, le jeune saxophoniste et le pianiste jouent un programme non moins insolite, composé de pièces de Marc Vaubourgouin, Eugène Bozza, Paul Pierné, André Caplet, , et des transcriptions de la Sonatine et de la Sonate pour violon et piano de Maurice Ravel. Un moment rare de découverte et de plaisir, avec ces pièces peu jouées, dont certaines très virtuoses sonnant admirablement dans l'acoustique étonnamment bonne du lieu, la rondeur veloutée du son du saxophone alto, et le talent de deux musiciens hors pair heureux de présenter pareille musique. 

Grand temps fort du week-end, le récital en deux temps de consacré à Haydn et Debussy se déroule dans deux autres lieux : le musée océanographique, puis l'Opéra de Monte-Carlo. Deux face-à-face inversés : le premier associant les œuvres de jeunesse de Debussy aux sonates du vieil Haydn, le second, deux sonates de jeunesse de Haydn au second cahier des Préludes de Debussy composé tardivement. Quoi de plus incongru que cette association de deux compositeurs aussi éloignés stylistiquement, tandis que l'un a composé plus de soixante sonates pour le piano, et l'autre pas une seule, préférant la référence à des images, et refusant le développement ? Et pourtant ils semblent se répondre au récital, faisant bon ménage grâce à un interprète qui en possède le goût et le sens poétique, au point qu'il a gravé au disque les intégrales de leurs œuvres respectives (onzième et dernier volume à paraître pour Haydn). Entre les deux Sonates n°59 en mi bémol majeur Hob.XVI.49 et n°62 en mi bémol majeur Hob.XVI.62, jouées avec énergie et affirmation, dans des sonorités généreusement projetées, chaudes et lumineuses, sous un toucher vif, le pianiste intercale une Ballade de Debussy au beau lyrisme, son Nocturne en ré bémol d'un romantisme finissant au ton passionné, et la Tarentelle styrienne, dont les notes répétées virevoltent aériennes dans une sorte de toccata solaire. Les Estampes et L'Isle Joyeuse offrent des nuances très contrastées, du fondu sonore de Pagodes au déluge de notes de Jardins sous la pluie, des couleurs de la Soirée dans Grenade à l'étourdissante et jubilatoire Isle Joyeuse. C'est la fantaisie, la finesse de l'articulation du discours, l'humour et le goût des surprises et des suspensions qui caractérisent le jeu plein d'esprit tout en élégance et sensibilité de Jean-Efflam Bavouzet dans les Sonates n°39 en ré majeur Hob.XVI.24 et n°31 en la bémol majeur Hob.XVI.46 de Haydn. Son toucher pétillant sait y être intimiste et frémissant dans les mouvements lents. Avec Haydn et Debussy il montre cette capacité inédite à faire cohabiter deux approches au demeurant antinomiques du clavier, du son et de l'expression musicale, l'une dans l'énergie et l'art du discours, l'autre dans la couleur, la matière et la suggestion. Debussy, dans son Hommage à Haydn que le pianiste joue en préambule aux Préludes du deuxième livre ne concède rien au maître viennois. Ouvrant leur mystérieuse boîte de Pandore, c'est tout un monde somptueux de timbres et de textures, une féérie poétique chatoyante et raffinée que l'interprète dévoile de Brouillards à Feux d'artifice, terminant en bis par des Reflets dans l'eau aux délicates irisations.

Le festival se poursuit jusqu'au 3 avril, mêlant créations et œuvres du passé, renouvelant la rencontre du public et de la musique lors des concerts mais aussi avant comme après, dans les « after » proposés en compagnie des musiciens invités, joyeux moments de convivialité et de partage.

Crédits photographiques © Alice Blangero

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