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À Tourcoing, « le Monde selon Mozart », fraternel remède à la sinistrose ambiante

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Tourcoing. Atelier lyrique. Théâtre Raymond Devos. 22-I-2023. Le Monde selon Mozart, fable musicale et mythologique sur des airs de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) de François de Carpentries et Karine van Hercke. Extraits de « Der Schauspieldirektor, K.V. 486, de Bastien und Bastienne K.V 50, de la Betulia Liberata, K.V. 118, de Mitridate, re di Ponto, K.V.87, de Thamos roi d’Egyte, K.V.345, du concerto pour flûte K.V314; de Don Giovanni, K.V.527, de Cosi fan tutte, K.V.588, canons et ensembles « comiques » K.V. anh C30.02,, K.V.571a, K.V.562, K.V.439a; hymne « an die Freude » K.V.53; airs de concert et ensemble insérés dans des opéras d’autres compositeurs, K.V.433, 256, 625, 432, 583, 209, 480, 582, 479. Mise en scène et lumières : François de Carpentries. Decors et costumes : Karine Van Hercke. Avec : Jennifer Courcier ( Neauté); Fiona McGown (Fortune); Bastien Rimondi (Amour); Aimery Lefevre (Esprit). Les Ambassadeurs-La Grande Écurie, traverso solo et direction musicale : Alexis Kossenko

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L'Atelier Lyrique de Tourcoing propose, avec des dialogues français, « Le Monde selon Mozart », un spectacle total signé et , conte musicalement basé sur de nombreuses et peu connues partitions du compositeur sous la direction d' à la tête de son ensemble les Ambassadeurs-La Grande Écurie.

Voilà, comme nous l'annonce le programme, une « fable musicale et mythologique » parfois loufoque, tour à tour poétique ou grinçante » mais avant tout, ajouterons-nous, symbolique et humaine, musicalement centrée autour d'un singspiel …inexistant mais « (re)cousu main ». Cette aventure est une fois de plus une résultante de la crise Covid-19 Elle est née d'une commande de l'opéra de Krefeld-Mönchengladbach au couple de dramaturges franco-belges et : l'institution voulait bâtir une soirée mozartienne plus intime pour quatre chanteurs et petit ensemble orchestral respectant les protocoles de distanciation et pouvant être déplacée sans peine quant à sa programmation. Il s'agissait donc de tisser une intrigue autour d'une sélection d'airs de concerts ou d'opéras moins connus, augmentée d'œuvres de jeunesse (An die freude, Bastien et Bastienne, la Betulia liberata) outre des chansons à boire, canons, nocturnes, plaisanteries musicales parfois apocryphes, et agrémentée de l'une ou l'autre plage instrumentale. Sur la base d'une sélection aussi drastique qu'épatante, les deux complices ont rédigé un livret métaphorique et « merveilleux » au sens noble du terme.

Quatre divinités allégoriques tout droit issues de l'opéra baroque, revêtues de leur plus beaux atours, décident de visiter la Terre en proie à une terrible épidémie. Beauté, Fortune et Esprit arrivent à bord d'un nuage-vaisseau spatial, mais Amour les a devancés et, pour leur jouer un tour, s'est déguisé en créature bizarre balbutiant quelques monosyllabes. L'humanité semble s'être absentée de la planète bleue. Aussi les trois compères décident-ils d'éduquer la seule créature venue à leur rencontre. A peine métamorphosé, le nouvel Homo sapiens sème la jalousie entre les deux déesses : Fortune part à la conquête du Monde avec lui et Beauté refuse les avances d'Esprit, en proie dès lors à des visions morbides. Où sont passés les Humains? Nous l'apprendrons au terme des aventures de nos allégories, mais laissons le suspens…


Ce spectacle se veut familial, les dialogues du Singspiel sont cette après-midi donnés en français alors que les airs et ensemble (à l'exception du canon Alphabet, d'ailleurs apocryphe, et du pénultième ensemble, issu du Directeur de Théâtre qui tire la conclusion moralisatrice du spectacle) sont tous dans leur langue d'origine, italien, allemand ou… patois viennois bien évidemment surtitré de façon parfois très amusée !
Mais le degré de lecture pourra s'envisager à de multiples niveaux. Les enfants et adolescents y verront un conte de fées doublé d'un récit de science–fiction passéiste. Les simples mélomanes y apprécieront la découverte et la mise en espace scénique d'œuvres mozartiennes peu courues, notamment de nombreux et fabuleux airs de concert. L'amateur d'opéra appréciera le recours à quelques extraits d'autres ouvrages mozartiens : Der Schauspieldirektor, fil rouge de la sélection, mais aussi Mithridate, re di Ponto, voire même un air rarement donné de la version viennoise de Don Giovanni ou le final moralisateur de Cosi fan tutte. Mais le livret et ses situations dramatiques ou burlesques multiplient aussi de plus les clins d'œil et références obliques à l'œuvre entière d'Amadeus. Ainsi l'échange de partenaires amoureux renvoie à Cosi fan Tutte, le jeu de dupes permanent au dernier acte des Nozze di Figaro, le trio des masques morbides au final du premier acte de Don Giovanni, le ligotage et le mutisme forcé d'Esprit, ou l'apparition magique de Beauté suspendue entre Lune et Soleil sur fond sombre à die Zauberflöte

L'on s'extasie et plus d'une fois l'on rit de bon cœur au vu des péripéties drolatiques du livret et de la mise en scène inventive et déjantée sous des dehors classiques et sous de fabuleux éclairages de . La conduite d'acteurs est menée tambour battant, enchaînant par exemple l'enchaînement d'Esprit, scène de noir désespoir, à une autre, bien truculente d'ivresse ou de séduction ; mais ce théâtre gestuel joue aussi plus d'une fois la carte du symbolique tel Amour métamorphosé en Homo Sapiens, prenant la pause façon l'homme de Vitruve devant un planisphère mappemonde descendu des cintres, réalisant ainsi par sa parfaite proportion la quadrature du cercle, alliance des mondes divin et terrestre sous l'égide de la musique de Wolfgang !

signe non seulement les superbes costumes historiés, tout droit issus de l'imaginarium baroque et classique (mâtinés de couleurs vives et couplés à d'improbables bottillons), mais aussi les beaux décors très intrigants sous leur apparente simplicité. L'on songe à l'aménagement technique moderne, d'un dispositif issu de l'époque même des Lumières, tel celui du théâtre de Drottningholm, jadis mis en images pour « sa » Zauberflöte par Ingmar Bergmann, avec ce décorum d'un autre âge, ces nuages descendus de nulle part ou ces bosquets silencieux sous le défilement horaire du Jour et de la Nuit. Si elles pourront échapper à bien des profanes, les références ésotériques (les sept moulures en forme de coquilles Saint-Jacques disposées sur le proscenium) et en particulier maçonniques (une part important de la vie spirituelle du compositeur) sont ici trop nombreuses pour être involontaires : les trois colonnes grecques disposées en triangle côté jardin, ce piano-décor sur sa tranche laissant apparaître touches noires et blanches façon pavé mosaïque, cette Nuit étoilée symbolisée par le pendentif offert à Beauté, les deux bosquets côté cour peuplés de chouettes oiseaux distinguant la moindre lumière parmi les Ténèbres, les trois crânes près d'un tombeau en fond de scène renvoyant à l'imagerie du cabinet de réflexion… Tout semble dans ce décorum, donc symboliser une Nature, « Temple aux vivants piliers » pour citer Baudelaire, ce que corrobore certains choix musicaux (l'hymne An die Freude , au texte sans équivoque, ou encore cette courte et lapidaire page issue de Thamos Roi d'Egypte ponctuant le premier acte). Voilà donc, par delà les apparences bon-enfant un profond résonateur scénographique de la pensée et de la philosophie mozartiennes.


L'on peur compter sur un quarteron de solistes français peut-être pas tous exceptionnels sur le plan strictement vocal mais comédiens magnifiques d'engagement et de verve. , soprano lyrique léger, est une sémillante et irrésistible Beauté totalement crédible. La mezzo-soprano , élégante et au timbre idoine – même si l'organe est parfois repoussé dans ses ultimes retranchements graves – est une Fortune idéalement ambiguë et changeante, tantôt véritable peste, tantôt angélique séductrice. Le ténor au timbre clair peut-être un rien pincé, mais à la musicalité parfaite incarne un Amour plaisantin voire moqueur parfois pris au piège de son propre hédonisme. remporte vocalement nos suffrages, par sa voix d'airain et son authentique tempérament de baryton mozartien totalement assumé (il jouera prochainement Gugielmo dans Cosi ) : sur le plan de la comédie, il n'hésite pas à ironiquement surjouer le vétilleux Esprit, toujours prolixe barbon dans ses explications pseudo-scientifiques ou paramédicales.

Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie, toutes voiles dehors, offrent une réplique vaillante et nuancée. Certes les timbres des instruments d'époque sont plus verts et moins soyeux que ceux d'un orchestre moderne, mais par ce mélange châtié de véhémence et de tendresse, de théâtralité et de suavité sous la direction jamais indifférente, tantôt musclée tantôt poétique d'un très en verve – et déjà collaborateur du duo d'auteurs- metteurs en scène pour de splendides Paladins ramistes voici bientôt quatre ans à Oldenbourg. Le temps de l ‘Andante du concerto KV 314, le chef retrouve d'ailleurs en soliste et sur scène son cher traverso, sous un déguisement fantasque, laissant quelques minutes l'orchestre se débrouiller seul.

Voilà donc un inattendu spectacle « Mozart » splendidement décoiffant, satire tragi-comique en exact reflet de notre perception contemporaine du génie dramatique protéiforme mozartien, éternel et fraternel compagnon musical du blanc souci de notre toile, en notre bien drôle d'époque !

Crédits photographiques : © Atelier Lyrique de Tourcoing

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