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Mikel Urquiza, une jubilation contagieuse

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Mikel Urquiza (né en 1988) : Lavorare Stanca pour ensemble instrumental (2020) ; My voice is my password pour ensemble vocal a capella (2020) ; Elurretan pour trio à cordes pincées (2017) ; More sweetly forgot… pour soprano et trio instrumental (2017) ; Songs of Spam pour ensemble vocal (2019) ; Cancionero sin palacio pour ensemble instrumental (2021). Ensemble C Barré : Annelise Clément, clarinettes ; Joël Versavaud, saxophones ; Matthias Champon, trompette ; Élodie Soulard, accordéon ; Jérémie Abt, percussions ; Claudio Bettinelli, percussions ; Lucie Delmas, percussions ; Natalia Korsak, mandoline ; Carole Delume, guitare ; Rémy Reber, guitare ; Eva Debonne, harpe ; Cyril Dupuy, cymbalum ; Antoine Alerini, piano ; Marine Rodallec, violoncelle ; Charlotte Testu, contrebasse ; direction artistique et musicale : Sébastien Boin. Neue Vocalsolisten de Stuttgart : Johanna Vargas, soprano 1 ; Suzanne Leitz-Lorey, soprano 2 ; Truike van der Poel, mezzo-soprano ; Martin Nagy, ténor ; Guillermo Anzorena, baryton ; Andreas Fischer, basse. 1 CD L’Empreinte Digitale. Enregistré du 2 au 23 décembre 2021, le 11 et le 12 avril 2022 au GMEM – Centre national de création musicale Friche la Belle de Mai ; le 9 septembre 2022 au Theatherhaus Stuttgart. Texte de présentation en français et anglais. Durée : 70:23

 
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Après Cherche titre (2022), voici un deuxième disque, Espiègle, entièrement consacré aux œuvres de . Amour du chant, attention au rythme, art de marier les instruments, curiosité illimitée et jeu sur les codes ainsi que les humeurs font de cet album un véritable régal.

Personne ne peut nier que « travailler fatigue », traduction française du titre, mais rien, dans l'allègre Lavorare stanca (2020) ne trahit l'effort, ne sent le labeur, ne témoigne d'un quelconque abattement. C'est tout le contraire ! A moins, évidemment, d'interpréter la note jouée marcato du début en soubassement du reste comme le geste répétitif et aliénant du travailleur à la chaîne et de considérer le fragment de « l'Internationale » comme un message…, mais on serait loin de l'esprit de cette pièce pour douze musiciens, patchwork bourré de citations parfois inattendues et qui crée son unité par son élan perpétuel. Ici préside la joie. Une joie teintée d'un humour engendré par la surprise que produit le jeu de timbres variés (clarinette, saxophone ténor, trompette, accordéon, percussions, mandoline, guitare, harpe, cymbalum, piano, violoncelle et contrebasse, auxquels s'ajoutent le triangle et le rossignol à eau) entrant successivement dans une danse endiablée. Une très belle et rafraîchissante œuvre magnifiquement servie par les musiciens – il faudrait dire rompus à l'exercice si vraiment fatigue il y a ! – de l', commanditaire, ainsi qu'une prise de son qui en rend parfaitement la transparence.

Humour toujours dans le jubilatoire My voice is my password (2020) pour ensemble vocal a capella ! Un humour avec une grande hache qui ouvre les bouches des Neue Vocalsolisten sur quatre mouvements : « Dial », joviale parodie d'appel téléphonique où l'humain se heurte à l'automatisation d'un centre d'appel ; « Greeting », lancinante salutation d'une « voix » qui s'adresse à une voix pour lui demander son nom, sa date de naissance, sa question secrète, sa réponse secrète, ses chères données et pour finir sa voix, laquelle répond qu'elle est son propre mot de passe, qu'elle est elle-même ; « Conversation », suite rythmée d'onomatopées ; enfin « Are you a robot ? », désopilant pastiche de comédie française citant « les Feuilles mortes » et où une voix demande à une autre si elle est un robot. La virtuosité des Neue Vocalsolisten fait merveille dans ce simulacre permanent, puisqu'aussi bien s'entend par moments des réminiscences de madrigal. Urquiza montre ici son attachement à la voix, « son » instrument.

La fantaisie et l'imaginaire sonore profus d'Urquiza explosent encore dans Elurretan (2017) pour trio à cordes pincées. Un instrumentarium original : mandoline, guitare, harpe. Avec toujours, dans le premier mouvement, « Mara-mara », cette espèce d'urgence qui pousse en permanence vers l'avant. Et avec encore, dans « Irrist » et « Dardar », les deuxième et troisième mouvements, des références plus ou moins explicites qui brouillent les pistes spatio-temporelles et stylistiques. L'art faussement désinvolte d'un compositeur, la maîtrise parfaite des interprètes.

Quatre mouvements composent More sweetly forgot… (2017) pour soprano et trio instrumental, œuvre inspirée des poèmes de Sappho. Et l'on s'étonne toujours à la fois de l'inventivité et du caractère naturel d'une telle musique ! Quatre mouvements, quatre climats : onirique et mélancolique dans « Robe », dont la prolifération d'événements microscopiques illustrant une mémoire vaporeuse peut rappeler l'univers raffiné de Salvatore Sciarrino ; tourmenté puis apaisé dans « Youth » avec son mot unique, le titre, déformé à l'infini et en quelque sorte écartelé sur l'accord de l'accordéon, l'insistance des percussions et le son saturé du saxophone soprano ; insistant jusqu'à l'obsession dans le parlé-chanté de « For of weapons » ; suspendu dans une ambiance de temple japonais avec « Will ». La voix chaude et timbrée de enveloppe autant qu'elle émeut dans cet opus tour à tour très inspiré, lyrique et incandescent.

L' s'unit aux Neue Vocalsolisten dans Songs of Spam (2019). Spam, comme la Mahagonny créée par Internet et son déversoir de pourriels et de tweets agressifs. Spam, ou le triomphe de la « Trumperie »… Il ne s'agit plus ici de grandeur ni de décadence, mais à l'inverse de laideur et de prospérité. Quatre mouvements bien distincts pour tourner en dérision les différentes facettes de la manipulation de masses. Un morceau moins inspirant, peut-être.

La Renaissance s'invite à nouveau dans le Cancionero sin palacio (2021), dont le titre fait référence au recueil espagnol, essentiellement de pièces vocales, Cancionero de palacio. Le facétieux Urquiza aurait-il voulu signifier que sa pièce pour ensemble instrumental était effectivement sin palacio, « sans palais », c'est-à-dire sans bouche ? Deux mondes se superposent dans « Al alba venid », premier des six mouvements, assez statique et qui enfle presque imperceptiblement : d'un côté, les cordes pincées dans un intérieur ; de l'autre, les frémissements du jour naissant, signalés par le chant des oiseaux, essentiellement deux notes à la clarinette. Changement d'atmosphère avec le léger et sautillant « Cucù », où les vents, en particulier la trompette et la flûte à coulisse ont la vedette. Danse encore, scandée au tambourin, et climat de divertissement dans « Rodrigo Martines ». Léger et lourd à la fois, « Descansa triste pastor » fait se succéder deux chagrines mélodies traînantes exécutées par les archets et que vient chahuter un thème de danse, comme l'hiver aiguillonné par le printemps. Quant aux trois mauresques des « Très Morillas », elles se déhanchent sur un rythme évoquant plus l'entêtante techno que la Renaissance. Les timbres de la trompette, de la mandoline et de l'accordéon s'y marient harmonieusement. Enfin, retour aux plaisirs d'un château renaissant sur le virevoltant « Cantemos y holguemos ».

Ce disque très réussi offre une assez large palette de l'art consommé de , compagnon de route d'un ensemble… barré par le talentueux . Petit bémol : le livret et la pochette auraient mérité une seconde lecture.

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Mikel Urquiza (né en 1988) : Lavorare Stanca pour ensemble instrumental (2020) ; My voice is my password pour ensemble vocal a capella (2020) ; Elurretan pour trio à cordes pincées (2017) ; More sweetly forgot… pour soprano et trio instrumental (2017) ; Songs of Spam pour ensemble vocal (2019) ; Cancionero sin palacio pour ensemble instrumental (2021). Ensemble C Barré : Annelise Clément, clarinettes ; Joël Versavaud, saxophones ; Matthias Champon, trompette ; Élodie Soulard, accordéon ; Jérémie Abt, percussions ; Claudio Bettinelli, percussions ; Lucie Delmas, percussions ; Natalia Korsak, mandoline ; Carole Delume, guitare ; Rémy Reber, guitare ; Eva Debonne, harpe ; Cyril Dupuy, cymbalum ; Antoine Alerini, piano ; Marine Rodallec, violoncelle ; Charlotte Testu, contrebasse ; direction artistique et musicale : Sébastien Boin. Neue Vocalsolisten de Stuttgart : Johanna Vargas, soprano 1 ; Suzanne Leitz-Lorey, soprano 2 ; Truike van der Poel, mezzo-soprano ; Martin Nagy, ténor ; Guillermo Anzorena, baryton ; Andreas Fischer, basse. 1 CD L’Empreinte Digitale. Enregistré du 2 au 23 décembre 2021, le 11 et le 12 avril 2022 au GMEM – Centre national de création musicale Friche la Belle de Mai ; le 9 septembre 2022 au Theatherhaus Stuttgart. Texte de présentation en français et anglais. Durée : 70:23

 
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