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Il trittico recomposé à l’Opéra de Rome

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Rome. Teatro Costanzi, 6-IV-2023. “Il Trittico ricomposto”
Mise en scène : Johannes Erath ; décors : Katrin Connan ; costumes : Noëlle Blancpain ; lumières : Alessandro Carletti ; video : Bibi Abel.

Giacomo Puccini (1858-1924) : Il Tabarro, opéra en un acte sur un livret de Giuseppe Adami, tiré de La Houppelande di Didier Gold. Avec : Luca Salsi, Michele, Padrone Del Barcone ; Gregory Kunde, Luigi, Scaricatore ; Maria Agresta, Giorgetta, Moglie Di Michele ; Didier Pieri, Il Tinca ; Roberto Lorenzi, Il Talpa ; Enkelejda Shkoza, La Frugola, Moglie del Talpa ; Marco Miglietta, un Venditore di Canzonette ; Valentina Gargano*, Eduardo Niave*, due amanti

Béla Bartók (1881-1945), Le Château de Barbe-bleue, opéra en un acte, sur un livret de Béla Balázs. Avec : Szilvia Vörös, Judith ; Mikhail Petrenko, Barbe-bleue

Chœur du Teatro dell’Opera di Roma, chef de chœur : Ciro Visco ; avec la participation des élèves de la Scuola di Danza del Teatro dell’Opera di Roma ; Orchestra du Teatro dell’Opera di Roma, direction : Michele Mariotti

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À l'occasion du centenaire de la mort de , le Teatro dell'Opera di Roma a entamé une collaboration avec le Festival de Torre del Lago pour lancer un nouveau projet : « Il trittico recomposé ».

Au cours des trois prochaines années, au lieu de présenter ensemble les trois opéras en un acte composant le cycle de Puccini, l'Opéra de Rome proposera chacune des trois pièces (Il Tabarro, Gianni Schicchi et Suor Angelica) accompagnée d'une œuvre du XXe siècle répondant au même thème. Fortement souhaité par le directeur musical de la maison lyrique romaine, Michele Mariotti, et par le compositeur Giorgio Battistelli, directeur du Festival de Torre del Lago, le projet est une manière originale de sonder la modernité de l'œuvre de Puccini à travers sa mise en perspective avec d'autres chefs-d'œuvre du XXe siècle. Ainsi, la premier volet de ce Trittico recomposé propose, Il Tabarro suivi du Château de Barbe Bleue de Béla Bartók, cette production sera ensuite donnée cet été à Torre del Lago. Le seul opéra du compositeur hongrois a été composé en 1911 mais rejeté car jugé inexécutable et créé seulement en 1918 à l'Opéra de Budapest, la même année qu'Il Tabarro au Metropolitan de New York. L'année prochaine, le deuxième volet verra la combinaison de Gianni Schicchi et de L'Heure espagnole de Maurice Ravel, autre comédie cynique et surréaliste. Enfin, le troisième volet en 2025 sera formé par Suor Angelica et Il prigioniero de Luigi Dallapiccola, opéra de 1949 créé en 1950 au Maggio Musicale de Florence.

Dans ce premier volet, la mise en scène de Johannes Enrath pour Il Tabarro est la moins convaincante des deux et parfois peu cohérente. Dans un spectacle par ailleurs assez soigné sur le plan musical, le metteur en scène Johannes Enrath fait le choix d'une mise en scène symboliste, avec plongée dans une atmosphère onirique. Par la projection des vidéos de Bibi Abel, il joue avec l'image de l'eau stagnante de la Seine, comme si elle était le corrélatif objectif des rêves et de l'inconscient des protagonistes. Mais en même temps, le metteur en scène ne renonce pas au vérisme, lorsqu'il ajoute une sorte de mise en abîme, et qu'il met en scène les bateliers jouant le théâtre dans le théâtre, ou quand il représente la fin de l'amour de Michele et Giorgetta par leur regard vers le coucher du soleil. Le choix de faire défiler les bateliers à l'envers, comme s'ils voulaient en quelque sorte rembobiner le passé pour revenir sur l'échec du couple, est aussi incongru. L'entrée en scène de préposés de ménage avec des outils de nettoyage est également invraisemblable, tandis que mari et femme s'affrontent dans le duo le plus terrible du Triptyque. Le paysage fluvial en arrière-plan prend ensuite les teintes sombres d'un cauchemar et laisse émerger de l'eau le visage défiguré de Luigi mort, dans une liberté par rapport au livret d'Adami, dans lequel Michele cache le cadavre de l'amant jusqu'à ce que Giorgetta ne le découvre.

Le baryton verdien, Luca Salsi, donne une interprétation intense et convaincante dans le rôle de Michele, à la fois mari trahi, amant perdu et père désespéré de la mort de son fils. La soprano Maria Agresta fait montre d'une grande technique et d'une belle musicalité, ainsi que d'une présence scénique assurée dans le rôle de Giorgetta, l'épouse infidèle, offrant des accents vibrant d'émotion dans le célèbre duo, dans lequel elle rappelle au mari le bonheur passé. Gregory Kunde impressionne de puissance dramatique dans une interprétation superlative de Luigi, l'amant passionné prêt à tout.

Le reste du plateau ne démérite pas. Notons la bonne performance dans le rôle des deux amants de Valentina Gargano et Edouardo Niave, les deux élèves du projet Fabbrica, le programme de jeunes artistes du Teatro Costanzi. Sont convaincants également les dockers Didier Pieri (Tinca) et Roberto Lorenzi (Talpa) ainsi que la mezzo soprano Enkelejda Shkoza dans le rôle de Frugola.

Michele Mariotti dirige l'Orchestre du Teatro Costanzi, ciselant les différentes composantes de la partition, rehaussant les nuances d'une orchestration très riche qui respire l'influence de Debussy, mais aussi le flair créatif de Stravinsky, Ravel, Alban Berg, et même de Gershwin, avec des inserts et des auto-citations tirées de la Bohème de vingt ans plus tôt.

Le même thème traverse l'opéra de Bêla Bartók : l'incommunicabilité du couple et le drame de la violence qui éclate entre un homme et une femme prisonniers de l'impossibilité d'aimer, donc incapables de se retrouver. Il est intéressant de noter comment la combinaison de deux partitions apparemment éloignées s'opère au nom du réalisme cédant au symbolisme, et du fantastique glissant dans le réalisme. La mise en scène de Johannes Enrath semble dans cet opéra plus plausible, avec les immenses échafaudages mobiles et en toile de fond les grands rideaux mouvants, comme de grandes voiles exposées au vent. Les jeux de fumées et de lumières marquent l'angoisse, les rouages ​​de l'inconscient, et le moment de l'enquête pour cette femme curieuse de savoir, de comprendre, de découvrir le secret de Barbe Bleue et le mystère du château aux sept portes noires fermées.

Sensible à ce « sismogramme de psychologies », Mariotti guide l'orchestre dans les voies harmoniques savamment étudiées de Bartók. Les deux interprètes convainquent : le baryton-basse russe Mikhail Petrenko dans le rôle de Barbe Bleue, avec sa voix à la texture chaude, brunie et intense tandis que la mezzo-soprano hongroise Szilvia Vörös déploie de nombreuses nuances et couleurs pour exprimer toute la gamme des sentiments de son personnage allant du soupçon à la surprise, en passant par l'émerveillement jusqu'au désarroi final.

A Rome donc, ce premier couplage du triptyque recomposé offre la démonstration d'un heureux mariage entre la rigueur analytique et la force de l'expérimentation.

Crédits photographiques : Château de Barbe bleue (1 et 3) ; Il tabarro (2) © Fabrizio Sansoni Opera di Roma

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Béla Bartók (1881-1945), Le Château de Barbe-bleue, opéra en un acte, sur un livret de Béla Balázs. Avec : Szilvia Vörös, Judith ; Mikhail Petrenko, Barbe-bleue

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