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La Tosca par Barrie Kosky : une épure de la violence

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Giacomo Puccini (1858-1924) : Tosca. Mise en scène : Barrie Kosky. Décors : Rufus Didwiszus. Costumes : Klaus Bruhns. Lumières : Frank Evin. Malin Bylström, soprano (Floria Tosca) ; Joshua Guerrero, ténor (Mario Cavaradossi) ; Gevorg Hakoyan, baryton (Il barone Scarpia) ; Martijn Sanders, baryton (Cesare Angelotti) ; Federico De Michelis, baryton-basse (Il Sagrestano) ; Lucas van Lierop, ténor (Spoletta) ; Maksym Nazarenko, baryton (Sciarrone) ; Alexander de Jong, baryton (un Geôlier) ; Chœur du Dutch National Opera (chef de chœur : Klaas-Jan de Groot) ; Nieuw Amsterdams Kinderkoor (chef de chœur : Anaïs de la Morandais) ; Netherlands Philharmonic, direction : Lorenzo Viotti. Réalisation : François Roussillon. 1 DVD Naxos. Enregistré à Amsterdam en mai 2022. Notice de 16 pages en anglais. Sous-titres : italien, anglais, français, allemand, japonais, coréen. Durée : 125:00

 
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Cette Tosca de 2022 pour Amsterdam met à nu la violence du chef-d'œuvre de Puccini mais aussi le style Kosky.

Décidément aussi brillant lorsqu'il s'attaque à des œuvres méconnues (Frühling Stürme au Komische Oper en 2020) qu'à des incontournables du répertoire (Les Maîtres-chanteurs à Bayreuth en 2017), ne manque pas, en 2022, son rendez-vous avec Tosca. Et pourtant les moyens mis à sa disposition par le Dutch National Opéra confinent à l'épure.

Un chevalet de peintre et un bouquet : voilà les seuls accessoires d'un Acte I installé sur le marbre froid d'une église plongée dans la pénombre dont l'opacité sera déchirée, au moment du Te Deum par le triptyque rougeoyant d'un Jugement dernier inspiré de l'école flamande, dont les damnés sont les visages animés du choeur. Le luxe glacial d'une cuisine suspendue où Scarpia ne sait pas encore qu'il fera office de plat principal élève l'Acte II vers davantage de sophistication visuelle. Un simple mur de prison pivotant sur un côté pile zébré d'escaliers vertigineux ramène le III vers l'ascétisme qui est la marque de cette nouvelle Tosca autrement prenante, même réduite à l'essentiel, que plus d'une devancière autrement cossue. Trois espaces intemporels donc, pour une violence politique, quant à elle, de tout temps.

Le sang s'infiltre partout : c'est ensanglanté qu'Angelotti surgit comme de l'Enfer, des dalles qu'il envoie voler dans la nef d'une église qui pourrait être celle de toutes les villes du monde ; Mario aura les doigts sectionnés, avant de finir en plaie vive, la couleur rouge l'emportant progressivement sur toutes celles de son élégante veste (les costumes sont magnifiques) d'artiste-peintre. Floria Tosca sera elle aussi éclaboussée à son tour du sang des hommes.

Les amateurs de voyage touristiques à Sant'Andrea della Vale, au Palais Farnèse, au Château Saint-Ange qui seraient tentés d'annuler leur voyage à Rome auraient tort car on parie sans crainte qu'eux non plus ne sortiront pas indemnes de cette nouvelle lecture de leur opéra préféré, opéra tout de même auréolé d'une bien triste palme : celle de l'opéra le plus violent du répertoire. Tosca, ce n'est pas que la défaite des femmes. Scarpia, Mario, Floria : tout le monde meurt. Et de façon particulièrement horrible : interminable assassinat à l'arme blanche, fusillade sadique, suicide par défenestration. Dans les tréfonds de son puits mélodique, Tosca c'est la défaite de l'humanité en moins de deux heures. La déjà légendaire direction d'acteurs de fait son miel de chacun des mots d'un des meilleurs scénarios jamais imaginé, comme de chacune des notes de la géniale partition de Puccini, devant laquelle, phénomène rarissime, s'inclina même, en 1900, Victorien Sardou, le très inspiré dramaturge de cette pièce de théâtre conçue en 1887 pour Sarah Bernhardt.

A ce suspense d'une noirceur haletante (les premiers mots d'Angelotti sont parlés comme dans un film noir ; le duo final, déchirant comme jamais, avec ses amants pas dupes), le Netherlands Philharmonic Orchestra, dirigé par offre toutes les couleurs posées sur sa palette par le compositeur italien. Harpe, orgue, canon, cloches, tout fascine. Au plan orchestral, on tient là une des meilleures Tosca de la discographie. Le geste du jeune chef est d'une rare ampleur, qui rappelle les lenteurs de fauve de la version Davis avec Caballe. La caméra de François Roussillon (regrets éternels cependant pour le noir qui se fait autour de Scarpia à l'Acte I), la prise de son superlative, semblent hypnotisées par les images.

Tous les petits rôles (du chœur d'enfants à la clique figurante de Scarpia) sont parfaitement dessinés. De comprimarii parfaitement distribués se détachent le Sacristain haut en couleurs de , l'Angelotti hanté de Martijn Sander, le Geôlier sans états d'âme d'. Gevorg Hakobyan plie la voix rampante de son Scarpia au diffus mélange de séduction maléfique demandé par le metteur en scène australien. L'italianità de Recondita Armonia, l'endurance de Vittoria!, l'émotion de E lucevan le stelle : fait figure de révélation solaire en Mario. D'ordinaire pas la voix la plus identifiable, Malin Byström imprime cette fois les mémoires par sa Tosca magistrale, dont la virginité morale perdue inspire à Kosky la terreur d'une ultime image forte : celle du corps de la cantatrice brisé par sa chute dans le vide.

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Giacomo Puccini (1858-1924) : Tosca. Mise en scène : Barrie Kosky. Décors : Rufus Didwiszus. Costumes : Klaus Bruhns. Lumières : Frank Evin. Malin Bylström, soprano (Floria Tosca) ; Joshua Guerrero, ténor (Mario Cavaradossi) ; Gevorg Hakoyan, baryton (Il barone Scarpia) ; Martijn Sanders, baryton (Cesare Angelotti) ; Federico De Michelis, baryton-basse (Il Sagrestano) ; Lucas van Lierop, ténor (Spoletta) ; Maksym Nazarenko, baryton (Sciarrone) ; Alexander de Jong, baryton (un Geôlier) ; Chœur du Dutch National Opera (chef de chœur : Klaas-Jan de Groot) ; Nieuw Amsterdams Kinderkoor (chef de chœur : Anaïs de la Morandais) ; Netherlands Philharmonic, direction : Lorenzo Viotti. Réalisation : François Roussillon. 1 DVD Naxos. Enregistré à Amsterdam en mai 2022. Notice de 16 pages en anglais. Sous-titres : italien, anglais, français, allemand, japonais, coréen. Durée : 125:00

 
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