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À la Philharmonie, la 11ᵉ Biennale de quatuors à cordes fait la part belle à la création

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Paris. Philharmonie-Cité de la Musique. 16 et 17-I-2024. Biennale de quatuors à cordes. Amphithéâtre de la Cité de la Musique
16-I : Grażyna Bacewicz (1909-1969) : Quatuor à cordes n°3 ; Ruth Crawford Seeger (1901-1953) : Quatuor à cordes ; Meredith Monk (née en 1942) : Stringsongs, pour quatuor à cordes ; Francesca Verunelli (née en 1979) : Andare, pour quatuor à cordes (CM).
Quatuor Béla : Julien Dieudegard, Frédéric Aurier, violon ; Paul-Julian Quillier, alto ; Luc Debreuil, violoncelle.
17-1 : Augusta Read Thomas (née en 1964) : Appolo’s Riddles (Les Énigmes d’Apollon), pour quatuor à cordes (CM) ; Marc Monnet (né en 1947) : Quatuor à cordes n°10 (CM) ; Thomas Larcher (né en 1963) : out of the bluest blue, quatuor à cordes n°5. Quatuor Diotima : Yun-Peng Zhao, Léo Marillier, violon ; Franck Chevalier, alto ; Alexis Descharmes, violoncelle.

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Tournés vers la création, les quatuors Béla et Diotima sont les invités de la 11ᵉ , mettant à l'honneur les compositrices avec une affiche exclusivement féminine pour les Béla.

En juin 2023, Julian Boutin faisait ses adieux au . C'est désormais l'altiste qui partage la scène aux côtés de ses trois partenaires. Comme il en a l'habitude, le violoniste prend la parole pour une courte présentation des trois premières pièces avant la création mondiale de l'Italienne assise dans les rangs du public.

La compositrice polonaise , décédée en 1969 et encore trop peu connue en Europe, est une personnalité hors norme, écrivaine, violoniste et compositrice (élève de Nadia Boulanger) qui compte quelques deux cents œuvres à son catalogue. La soirée débute dans la fulgurance de son Quatuor à cordes n°3 (1947). L'énergie sourd d'une écriture solidement amarrée à un motif rythmique qui traverse le premier mouvement. Le discours est concentré et la musique offensive, concédant peu de répit aux interprètes. La veine expressive domine le mouvement lent aussi court que richement texturé où l'émancipation de la dissonance s'entend sous les archets des Béla. Le finale témoigne d'une habileté virtuose à conduire les lignes que les interprètes font tournoyer en parfaite synergie.

L'Américaine , décédée en 1953, a étudié avec Schönberg à Berlin dont l'influence se fait sentir dans une écriture très originale qui abolit totalement la hiérarchie entre les instruments. Se conjuguent dans cet unique quatuor de la compositrice que nous font découvrir les Béla un lyrisme et une dimension théâtrale où la vocalité semble toujours affleurer. Le dialogue entre les deux factions instrumentales qui s'instaure dans le quatrième mouvement est digne des joutes sonores d'un Aperghis.

On connait mieux l'artiste américaine multi-disciplinaire (compositrice, chanteuse, scénariste, actrice, danseuse, chorégraphe) , invitée à la Cité de la musique en 2022 avec ses partenaires chanteuses. Son Quatuor (2005), Stringsongs (chants de corde), écrit pour le Kronos Quartet, est, pour elle, une première incursion dans la musique instrumentale. On préfère, au premier mouvement un rien pataud (Clift light), les loops plus aériennes, évoluant librement dans l'espace du 2 (Tendrils). Phantom Strings, le quatrième, fait fonctionner en autonomie les quatre parties, autorisant un libre contrepoint à l'aune de ses performances vocales. Sous les archets sensibles des Béla, la texture est transparente et le charme de la répétition opère.

Les musiciens changent d'instruments pour la création de qui nécessite un autre accord (scordatura) sur les cordes. Andare (Aller) est le cinquième quatuor à cordes de la compositrice qui mène, dans cette nouvelle partition, un travail sur les harmoniques naturelles du son au sein d'une écriture microtonale entretenant la fragilité de l'intonation. Frissons, tremblements, oscillations, grincements doux, stridulation sont autant de subtilités acoustiques requérant l'extension des techniques de jeu sur les cordes. Les particules de son texturent progressivement l'espace, créant un tissu arachnéen, instable et délicat, que les Béla restituent avec une concentration exemplaire, menant cette musique liminale autant qu'étrange au seuil sur-aigu de leur instrument.

L'énergie vitale avec les Diotima

Changement également au sein du avec la venue du violoncelliste (ex-soliste de l'Orchestre de Bordeaux) qui succède à Pierre Morlet et dont c'est le premier concert parisien au sein de la phalange. Sur le même plateau de l'Amphithéâtre et son acoustique chaleureuse, les Diotima ont mis à leur programme deux créations mondiales et une création française.

L'énergie, cette présence vivante au monde que défend l'Américaine , est certainement le principe fondamental de sa musique. Apollo's Riddles (Les Énigmes d'Apollon), le dixième quatuor à cordes de la prolifique compositrice ne saurait le démentir. Tout commence par une vibration intense du son entretenu par les quatre cordes. Tout concourt dans l'écriture à projeter l'énergie via une tension exacerbée du propos : surenchère rythmique, écriture en relai des quatre pupitres ou stricte homorythmie du quatuor pour mieux cerner l'impact énergétique. Le rendu est impressionnant sous les archets acérés des quatre musiciens.

La trajectoire qu'emprunte le Dixième Quatuor de donné en création mondiale est plus sinueuse, pleine d'inattendus et de chemins de traverse. La pièce compte six mouvements (moments) auxquels le compositeur donne des titres : Contraste, Presque rien, Avec énergie, etc., qui balisent l'écriture sans pour autant la contraindre. Règnent au contraire, et pleinement, l'invention et la liberté de propos du compositeur habité par un univers sonore aussi diversifié que fantasque : du bel accord consonant au matériau saturé, de la fulgurance du trait rageur à l'effleurement sensuel. Pour autant, une certaine unité de ton, mâtiné d'humour, en ressort, même si les objets exposés diffèrent. L'énergie du geste des Diotima sidère autant que la virtuosité déployée pour servir au mieux l'univers d'un compositeur dont ils ont déjà créé les quatuors n°8 et 9 !

Out of the bluest blue (venu du bleu le plus bleu), quatuor à cordes n°5 de l'Autrichien , est une co-commande du et le l'Elbphilharmonie de Hambourg, donnée ce soir en création française : « œuvre clivante », selon le terme ajusté d', dont l'écriture traverse les siècles et les langages (modal, tonal, chromatique, atonal, bruitiste, etc.) avec un naturel déconcertant et selon un mouvement de spirale qui ménage des retours. Tel ce « choral », poly-stylistique lui aussi, qui débute la partition, donnant matière au développement à venir. Entre effusion lyrique, accélération rythmique et brouillage spatio-temporel (glissando généralisé sur les quatre instruments), les Diotima épousent tous les détours de l'écriture, maintenant sans faillir la tension de l'écoute avec une concentration et un savoir-faire qui impressionnent.

Crédit Photographique : © Philharmonie de Paris

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16-I : Grażyna Bacewicz (1909-1969) : Quatuor à cordes n°3 ; Ruth Crawford Seeger (1901-1953) : Quatuor à cordes ; Meredith Monk (née en 1942) : Stringsongs, pour quatuor à cordes ; Francesca Verunelli (née en 1979) : Andare, pour quatuor à cordes (CM).
Quatuor Béla : Julien Dieudegard, Frédéric Aurier, violon ; Paul-Julian Quillier, alto ; Luc Debreuil, violoncelle.
17-1 : Augusta Read Thomas (née en 1964) : Appolo’s Riddles (Les Énigmes d’Apollon), pour quatuor à cordes (CM) ; Marc Monnet (né en 1947) : Quatuor à cordes n°10 (CM) ; Thomas Larcher (né en 1963) : out of the bluest blue, quatuor à cordes n°5. Quatuor Diotima : Yun-Peng Zhao, Léo Marillier, violon ; Franck Chevalier, alto ; Alexis Descharmes, violoncelle.

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