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La musique élémentaire d’Édith Canat de Chizy

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Édith Canat de Chizy (née en 1950) : Suono pour orgue et deux accordéons microtonals (2020) ; Sailing pour piano (2020) ; Prélude au silence pour piano (2010) ; Cinq miniatures pour violon et piano (2013) ; Mobiles immobiles pour piano (1998) ; Véga pour orgue, transcription pour deux accordéons microtonals (2022) ; Arcanes pour deux accordéons microtonals et électronique (2021). Karol Mossakowski, orgue ; Duo Xamp : Fanny Vicens et Jean-Étienne Sotty, accordéons microtonals ; Dana Ciocarlie, piano ; Marianne Piketty, violon. 1 CD Radio France « Signature ». Enregistré à Nice, au Centre national de création musicale (CIRM) en novembre 2021 (Arcanes) ; à Paris, au Studio 104 et à l’Auditorium de la Maison de la radio et de la musique en avril 2022. Notice de présentation en français et en anglais. Durée : 61:30

 
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Dans les sept œuvres chambristes du disque « Suono », prête vie au seul son, dont elle met en valeur tous les paramètres et toujours suivant une construction dramatique. 

« Suono » : deux syllabes et un accent tonique bien marqué sur le premier « o ». Ainsi, privé d'article et anobli par la majuscule, le mot italien pour « son » personnifie-t-il la banale vibration mécanique à l'origine de toute musique et endosse-t-il le premier rôle dans la première pièce du disque dont il est l'unique sujet : Suono (2020) pour orgue et deux accordéons microtonals. Modestement décrite dans le livret par comme « essentiellement une étude sur le son », l'œuvre va bien au-delà de l'exploration de combinaisons instrumentales et des paramètres abordés respectivement dans les quatre mouvements : l'espace, le temps, le timbre et la vibration. En effet, ces quatre actes jalonnent à leur manière la dramatisation du héros Suono. Car, projeté puis immobilisé par deux accordéons traités comme un vocodeur en de longues notes tenues semblant tourner dans l'espace, frotté par ces mêmes accordéons jouant-ne-jouant-pas les mêmes accords très serrés et frémissants, apparaissant puis disparaissant dans un brouillard masquant l'origine des sources, maintenu pianissimo puis théâtralement enflé d'un coup, déchiré entre les suraigus d'accordéons très mobiles et les notes pédales d'un orgue beaucoup plus stable, répété inlassablement dans une tierce chromatique descendante, balancé entre les fébriles inspirations-expirations des accordéons et la royale majesté d'un orgue concluant le propos, Suono apparaît dans toute la complexité de son personnage. Un Suono tantôt interrogatif, tantôt caressant, tournoyant, luttant ou conquérant, un être primitif et aérien qui révèle sa richesse dans ses multiples avatars. C'est toute la complexité de Suono, baignant dans un climat d'étrangeté, étranger à la périodicité classique de l'octave et procédant par mutations avec un naturel qui surprend. Une grande unité s'en dégage donc. Le en particulier (Fanny Vicens et Jean-Étienne Sotty) fait merveille dans cette infatigable recherche.

Après l'agitation éolienne, voici la liquidité du timbre du piano solo dans Sailing (2020), qui tout naturellement (encore) évoque le milieu marin, sa vie intime surtout, mais aussi sa force, dans une proximité avec les éléments étrangère à tout pathos romantique. Cette vie interne est tout d'abord représentée par le redoublement à deux mains de phrases à l'extrême grave du clavier, qui ouvrent et, juste avant l'arpège conclusif dans les cordes, referment le premier mouvement. Rumeur de la mer roulant inlassablement ses vagues. Ce « En navigant » (sailing) est constitué de cinq tableautins de 2-3 minutes, toutes sur un thème océanique : « Ressac », « Twinkle » (« scintillement »), « Foghorn » (« corne de brume »), « Gust » (« bourrasque ») « Estran ». Une certaine âpreté de ton, une grande concentration dans la conduite des motifs et toujours le doublement du timbre par une résonance infinie sont communes à ce piano évocateur et envoûtant. , dédicataire, en exploite toute l'expressivité.

« Mettre en sons le silence », tel est, de l'aveu de la compositrice, le paradoxe qui sous-tend Prélude au silence pour piano (2010), morceau de 2 minutes et inspiré de l'haïku : « La lampe éteinte, les étoiles fraîches se glissent par la fenêtre. » S'y répondent deux « pianos » si l'on peut-on dire. Premièrement, un « gamelan » très métallique stratifiant sans idée de développement ni donc de relation harmonique ses accords aigus syncopés ou étirés par la pédale forte enfoncée. Comme la nuit scintillent les corps célestes ? Deuxièmement, une sorte de piano plus mélodique, commentateur ou interrogateur, suggérant peut-être la durée du silence et l'épaisseur de la nuit. Cette musique éloignée de toute joliesse ou d'idée de séduction impressionne par la nécessité qui l'a fait naître.

Cinq haïkus ont inspiré les Cinq miniatures pour violon et piano (2013). Plus rêveuse est cette pièce où le violon – l'instrument de la compositrice – s'élance sur des motifs repris avec insistance et sans grande variation, tandis que le piano soutient discrètement dans tous les registres et conclut dans un effet d'écho. et sont les parfaits protagonistes de ces cinq mini-drames immobiles de la vie contemplative.

Un élan motivique comparable au début de la « Miniature 1 » de l'œuvre précédente inaugure Mobiles immobiles pour piano (1998). Tout l'univers poétique de la compositrice se trouve dans cette concentration-dilatation dans laquelle un statisme premier et dernier se voit momentanément effleuré par des tournoiements mélodiques ou franchement troublé par des intrusions saccadées. L'éternité concentrée dans 5 minutes !

Blanche et teintée de bleu, environnée d'un disque de poussières, Véga, l'étoile la plus brillante de la constellation de la Lyre, avait tous les attributs pour susciter les méditations de Philippe Jaccottet dans « À Henry Purcell » puis d', qui s'est inspirée du poème. La monotonie de Véga pour orgue, transcription pour deux accordéons microtonals (2022) n'a d'égale que la voluptueuse féerie des accordéons microtonals en léger décalage de hauteur exécutant leurs pas de deux dans une vaste respiration vaporeuse tout juste animée de micro-événements. En plus d'être capables de restituer la finesse d'une telle poésie musicale, les Xamp, auteurs de la transcription, font entendre les différents registres de l'orgue initial. Son caractère monolithique et la somptuosité des timbres entendus font tout bonnement de cet ouvrage un chef-d'œuvre.

Cinq mouvements encore découpent Arcanes pour deux accordéons microtonals et électronique (2021) et illustrent autant de cartes du tarot de Marseille : la Lune, la Mort, l'Étoile, la Maison-Dieu et le Soleil. Une aura de mystère baigne l'ensemble, très bien entretenue par l'électronique et son pouvoir d'extension d'un espace ouvert par les deux accordéons, eux-mêmes utilisés bien au-delà du jeu traditionnel. C'est donc toujours l'élément son, réduit parfois à sa dimension de bruit, qui, en se transformant, génère la composition, laquelle semble à chaque fois assembler matière et inspiration au plus haut lieu d'intersection.

Du creusement de la matière phonique naît une musique dont le caractère minéral et intime n'interdit ni l'impétueuse vitalité, ni la tension confiante vers une transcendance. La beauté couronne cette ascèse sans compromis.

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