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Peter Sellars exécute Beatrice di Tenda à l’Opéra de Paris

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Paris. Opéra de Paris ; Opéra Bastille. 09-II-2024. Vincenzo Bellini 51801-1835) : Beatrice di Tenda, opera seria en deux actes sur un livret de Felice Romani d’après la pièce de Carlo Tebaldi-Fores. Mise en scène : Petter Sellars. Décors : George Tsypin. Costumes : Camille Assaf. Lumières : James F. Ingalis. Dramaturgie : Antonio Cuenca Ruiz. Avec : Quinn Kensey, Filippo Visconti ; Tamara Wilson, Beatrice di Tenda ; Theresa Kronthaler, Agnese del Maino ; Pene Pati, Orombello ; Amitai Pati, Anichino ; Taesung Lee, Rizzardo del Maino. Chœurs de l’Opéra national de Paris (Cheffe des Chœurs : Ching-Lien Wu). Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Mark Wigglesworth

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Pour son entrée au répertoire de l’Opéra de Paris, Beatrice di Tenda de Bellini ne convainc ni par la mise en scène de Peter Sellars, ni par le chant et un orchestre tout juste honorables, bien loin des standards bel cantistes nécessaires pour enflammer ce répertoire.

Avant de parler de la représentation, nous nous permettrons de regretter qu’aucune inscription sur les écrans de surtitres, ni aucune intervention du directeur de l’Opéra de Paris ne soient venus rendre hommage à Seiji Ozawa, dont le décès avait été annoncé le matin même, un chef pourtant marquant en fosse pendant de nombreuses décennies dans cette institution.

Quant à Beatrice di Tenda, proposé pour la première fois sur cette scène, il est difficile de dire quelle partie du livret de Felice Romani a bien pu attirer Peter Sellars pour qu’il soit à l’origine du projet de cette nouvelle production parisienne, coproduite avec le Liceu de Barcelone. Dans un unique décor métallique de George Tsypin où même les buissons et les arbres sont en fer, se distinguent à cour deux caméras de surveillance qui invitent à placer toute l’action dans un lieu clos. Bien courte, cette idée métaphorique de la prison est sans doute due au fait que le cœur des quatre protagonistes principaux n’est jamais libre, et conduira certains à la torture et la mort. Sans être plus développée pendant les 2h30 de l’opéra, donné dans une édition critique non citée, censée rétablir le finale original et « débarrasser [l’œuvre] de la poussière de l’histoire », l’action livre rapidement les interprètes à une évolution autour de blocs inamovibles, quasi-systématiquement encadrés d’hommes avec mitraillettes en mains, particulièrement mal dirigés pour une mise en scène de Peter Sellars.

À part dans l’utilisation du chœur, plutôt en place vocalement et souvent entendu en aveugle et en hauteur de l’arrière-scène, puis derrière les balcons, la dramaturgie d’Antonio Cuenca Ruiz se résume à placer les chanteurs en plein centre sur le devant lors de leurs parties les plus importantes. Aucunement plus marquant, les costumes de Camille Assaf ne permettent finalement pas plus d’exprimer la souffrance de Beatrice et Orombello, tous deux torturés pour s’être aimés. La Duchesse reviendra sur scène attachée, dans une bure qui rappelle l’image de Jeanne d’Arc ; le seigneur réapparaîtra en béquille et fauteuil roulant dans des vêtements ensanglantés, bien trop caricaturaux pour créer le moindre effet, sous des lumières de James F. Ingalis, soit blanches et vives, soit rouges et sombres.

Sellars n’ayant rien fait ressortir du livret, nous pourrions attendre encore plus du bel canto mais là encore, le résultat peine à convaincre. Déjà dès l’annonce de la saison pouvait-on s’étonner de la distribution, Tamara Wilson dans le rôle-titre semblant bien moins correspondre au style de Beatrice que la soprano (Sondra Radvanovsky) avec laquelle elle devait alterner Turandot sur cette même scène en novembre. Idem pour le reste de la distribution. L’excellente reprise de La Traviata en début d’année (Sierra/Barbera/Tézier) semblait – au ténor près – bien mieux correspondre à Bellini, en plus d’être dirigé par Giacomo Sagripanti, dont a pu apprécier la superbe dynamique dans Beatrice en septembre dernier à Naples.

En ce mois de février, Paris a bien trouvé deux ténors adaptés au style bellinien grâce aux frères Pati, mais si Amitai ravit par sa souplesse et son timbre léger dans le petit rôle d’Anichino, malgré son manque de projection dans la grande salle de Bastille, Pene semble comme souvent lors des premières sur la réserve. Trop timoré pour ressortir de son premier duo, il se fait mieux entendre au second, sans pourtant parvenir malgré un italien compréhensible à jamais vraiment toucher ensuite à l’acte II. Limité à une seule phrase par Bellini (qui n’a jamais écrit la musique de ses autres parties), le Rizzardo de Taesung Lee est quasi invisible si l’on ne sait quand il intervient, là où l’Agnese de Theresa Kronthaler se démarque par la beauté des couleurs d’un mezzo plutôt haut, à défaut d’être elle aussi toujours bien audible, notamment dans les ensembles où elle est souvent couverte.

Quinn Kelsey montre un chant toujours aussi intelligent, mais déjà son Rigoletto accusait en 2016 un manque d’agilité, encore plus prégnant ici pour Filippo, pour lequel le phrasé n’est jamais souple ni rapide. Honorable comme le reste de la distribution, Tamara Wilson démontre avec le rôle-titre d’inattendus piani en plus d’une belle note contre-aiguë, toujours parfaitement tenue, sans pour autant ne jamais parvenir par son timbre peu coloré et nuancé, ni par un registre aigu souvent à la limite de la justesse (le 2ème air…), à enflammer une héroïne pour laquelle il faudrait beaucoup plus, notamment à l’aria final.

Limité par les chanteurs, Mark Wigglesworth est contraint à s’accorder sur des tempi souvent très lents, qui freinent un matériau symphonique auquel il n’instille aucun feu ni aucune lueur italienne. Il faut toutefois louer parfois la mise en valeur d’une écriture bellinienne plus dense qu’on ne veut souvent le croire. Mais comme le chant et comme la production, l’interprétation reste bien trop faible pour parvenir à raviver l’intérêt de cet opéra seria bel cantiste, incapable de souffrir la moindre imperfection.

Crédits photographiques : © Frank Ferville / OnP

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Paris. Opéra de Paris ; Opéra Bastille. 09-II-2024. Vincenzo Bellini 51801-1835) : Beatrice di Tenda, opera seria en deux actes sur un livret de Felice Romani d’après la pièce de Carlo Tebaldi-Fores. Mise en scène : Petter Sellars. Décors : George Tsypin. Costumes : Camille Assaf. Lumières : James F. Ingalis. Dramaturgie : Antonio Cuenca Ruiz. Avec : Quinn Kensey, Filippo Visconti ; Tamara Wilson, Beatrice di Tenda ; Theresa Kronthaler, Agnese del Maino ; Pene Pati, Orombello ; Amitai Pati, Anichino ; Taesung Lee, Rizzardo del Maino. Chœurs de l’Opéra national de Paris (Cheffe des Chœurs : Ching-Lien Wu). Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction : Mark Wigglesworth

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