Rolf Romei, un nouveau Siegfried à l’Opéra de Bâle
Élève de Nicolaï Gedda, Rolf Romei se produit principalement à Bâle où, depuis 17 ans, il assure les premiers rôles de ténor. Belmonte, Idoménée, Parsifal, Lohengrin, Faust, Hoffmann, Paul, Gandhi, Pelléas, Max… et, en ouverture de la prochaine saison lyrique : Siegfried !
ResMusica : Vous êtes le « primo uomo » de l'Opéra de Bâle. Comment en êtes-vous arrivé là ?
Rolf Romei : Cela s'est fait progressivement, très lentement même. Cela fait bientôt 18 ans que je chante au Theater Basel. Au début de ma carrière, ma voix était plus légère. Je chantais beaucoup de musique baroque, notamment l'Évangéliste. Après quelques incursions dans la musique romantique, ma voix, à mon insu, a pris de l'ampleur. Bâle m'a engagé dès 2006, comme ténor lyrique dans Mozart (L'Enlèvement au sérail, Zaïde) mais aussi dans Haendel. Assez vite, j'ai abordé le répertoire français avec le Faust de Gounod. Comme le directeur de l'époque, Dietmar Schwarz, envisageait Parsifal, et que Mario Venzaro, le chef d'orchestre, souhaitait le faire avec un ténor mozartien, on m'a proposé le rôle, je dois le dire à ma grande stupéfaction, moi qui n'avais même jamais entendu cet opéra ! De fait, l'un comme l'autre avaient raison. Parsifal ne comporte pas tant que cela de la musique héroïque. C'est presque de la musique de chambre. Parsifal ça doit être délicat. J'ai plongé dans la partition et j'ai adoré ce nouvel univers. Le succès, qui a été au rendez-vous, n'a pas été pour rien dans la trajectoire qui me conduit aujourd'hui à aborder Siegfried. Ce qui ne signifie pas que je suis un pur Heldentenor. Le chanteur baroque que je suis resté n'est jamais très loin : je n'ai pas délaissé cette gymnastique précieuse pour la voix.
« Je trouve plus intéressant, et plus important aussi, que l'opéra ne soit pas qu'un musée. »
RM : Vous produisez-vous ailleurs qu'au Theater Basel ?
RR : Oui, mais très occasionnellement : au début, j'ai accepté un Idomeneo à Aachen, une Lulu à Berlin, et, il y a cinq ans, j'ai chanté Manolios dans une formidable production de The Greek Passion à Graz qui m'a valu d'être nommé en tant que « meilleur premier rôle » en Autriche. Comme j'ai une famille, je ne souhaite jamais être absent trop longtemps.
RM : Le Theater Basel est, depuis longtemps déjà, un des lieux les plus innovants d'Europe en matière de mise en scène. Le Don José accusé de tous les maux que vous fait incarner Constanza Macras dans son actuelle Carmen montre que vous êtes un « chanteur facile »…
RR : Cette Carmen est l'expression d'une chorégraphe qui, tout en militant contre les féminicides, ne voulait surtout pas d'une mise en scène pléonastique. Cela dit, s'il arrive que certains metteurs en scène soient difficiles, je ne me considère pas comme un interprète « facile » : pour que je sois prêt à tout, il faut que le metteur ou la metteuse en scène arrive à me convaincre. Je pose beaucoup de questions, ce qui peut ébranler leur force de conviction. Ils doivent dès lors travailler autant que je dois travailler. Intime, politique ou philosophique, l'opéra, avec les grandes émotions qu'il charrie, reste une question sociale. Pour moi l'image du Don José de Macras, immobile pendant tout l'Acte IV, fonctionne assez bien. J'ai tenté de mon côté d'en faire le vecteur d'une émotion maximale, afin que l'on comprenne bien le drame du personnage, ici sommé de porter sur ses seules épaules tous les féminicides contemporains. Raconter un opéra de façon à ce qu'il parle à notre époque : voilà, je crois, le secret de l'Opéra de Bâle.

RM : Que pensez-vous de l'actuelle polémique qui pose la question de savoir si, en matière d'opéra, on ne serait pas allé trop loin ? Vous joignez-vous au concert critique à ce sujet, de certains de vos confrères ténors : Kaufmann, Alagna, Dubois, Del Toro ?
RR : J'aime les histoires, j'aime contribuer à les raconter de façon compréhensible. Parfois il m'arrive de sourciller lorsqu'un metteur en scène, désireux d'actualiser à tout prix, se met à faire tout autre chose que ce que dit le livret. Cela dit, je trouve plus intéressant, et plus important aussi, que l'opéra ne soit pas qu'un musée. Le musée a sa place en version de concert. Pas en version scénique. Autrefois, l'opéra n'était pas un musée. On ne jouait pas les opéras anciens. On faisait surtout des créations, qui étaient ce qu'on aurait pu qualifier de « musique actuelle ». Une musique qui n'a rien en commun avec celle de la deuxième moitié du XXe siècle qui, selon moi, s'est un peu éloignée du goût commun. La plupart des opéras joués aujourd'hui ont plus de 100 ou 200 ans. Même si je trouve formidable de refaire un opéra de Mozart, de Gounod ou de Wagner, il faut créer, au risque de choquer (comme ce fut le cas pour Carmen, ne l'oublions pas) ou même de rater sa cible, lorsque le succès n'est pas au rendez-vous.
RM : Richard Brunel, lors de la présentation de la nouvelle saison de l'Opéra de Lyon, disait qu'une maison d'opéra avait un devoir de conservation des œuvres mais aussi le devoir de les questionner par rapport à notre présent.
RR : C'est exactement mon avis. Dietmar Schwarz disait cela aussi. Et c'est ce que fait également Benedikt von Peter. C'est la troisième direction sous laquelle je travaille ici, et tous ont suivi cette double ambition ce conservation et d'expérimentation.
RM : Quels sont pour vous les productions les plus mémorables auxquelles vous avez participé ?
RR : A Bâle, je citerais Faust avec Philip Stölzl. C'est une production qui a ensuite fait les beaux soirs du Deutsche Oper où Dietmar Schwarz a été par la suite nommé intendant. J'ajouterais Lohengrin avec Vera Nemirova. C'était une production assez classique mais extrêmement belle, très intense, très lisible, avec une touche de modernité et même d'humour. Die Tote Stadt, qui marqua aussi les débuts à l'opéra de Simon Stone. Le War Requiem, plus sensoriel que choquant, ce qu'on aurait pu craindre de la part de Calixto Bieito, dont je peux aussi citer la première Carmen, différente de celle que l'on connaît, ou encore sa Lulu. Je n'oublie pas De la maison des morts avec un immense avion à la place de l'aigle. Et enfin Satyagraha par Sidi Larbi Cherkaoui, un spectacle méditatif d'une immense beauté, à l'image de la musique de Glass.
RM : Vous y chantiez manipulé en tous sens, et même la tête en bas !
RR : Ce n'était pas facile mais, pour une plus grande expressivité, ça peut m'aider de chanter couché, ou même en train de grimper sur un arbre ou une maison. Chanter suspendu, c'est évidemment très difficile. Nous avons passé beaucoup de temps à essayer. Cela dit, c'était les danseurs qui faisaient tout le travail : je n'avais qu'à me laisser faire.
RM : En septembre, vous serez Siegfried !
RR : Je n'aurais jamais pensé qu'un jour je chanterais Siegfried. Nous venons de commencer les répétitions. C'est une aventure exigeante mais source de tant de plaisir ! Je chanterai les deux Siegfried, le premier fin septembre, celui du Crépuscule une semaine plus tard. Les répétitions finales sont un moment qu'il va falloir savoir gérer. Ce sera assez difficile car, avec Benedikt von Peter, metteur en scène qui sollicite beaucoup l'émotion, on risque de vouloir donner trop. J'ai déjà travaillé avec lui sur Parsifal, Dialogues des carmélites, et, plus récemment, Saint-François d'Assise.
» Je n'aurais jamais pensé qu'un jour je chanterais Siegfried. »
RM : Pouvez-vous parler de sa méthode de travail ?
RR : Rheingold et Walkyrie, qui ont ouvert et vont refermer la saison 2023/2024, ont donné quelques indices. J'ai adoré ces deux productions très pensées, qui ambitionnent de mettre en images l'arbre généalogique de cette fabuleuse saga. Benedikt von Peter est aussi attaché aux mots du livret qu'aux émotions de la musique. Il arrive très préparé, avec des idées très précises, mais reste ouvert aux propositions des chanteurs. On bouge beaucoup dans ce Ring qui s'adresse aussi aux enfants, à l'image du jeune Siegfried présent devant son castelet de marionnettes dès L'Or du Rhin. Les marionnettes sont toujours là mais l'enfant a grandi… Je suis ravi de faire partie de cette Tétralogie originale, intelligente et surtout profondément humaine.

RM : Siegfried arrive-t'il pour vous au bon moment ?
RR : Oui, tout à fait.
RM : Comment se prépare-t'on à ce rôle des rôles ?
RR : La Tote Stadt a nécessité deux années de préparation. Je prépare Siegfried depuis deux années et demie. Un rôle où il est surtout question d'endurance, à l'instar de celle d'un coureur inscrit à un marathon. Rien que la partie de Siegfried dure deux heures et quart : c'est énorme.
RM: Etes-vous allé à Bayreuth voir et entendre les autres Siegfried?
RR: Je ne suis jamais allé à Bayreuth. Je le regrette beaucoup mais j'espère y aller bientôt.
RM : Les Siegfried se comptent généralement sur les doigts d'une main. Aujourd'hui, Andreas Schager, Clay Hilley, Klaus Florian Vogt… Vous allez être le quatrième homme de cette liste de privilégiés.
RR : Comme pour la Tote Stadt, il n'y a effectivement aussi peu d'appelés que d'élus. On saura dans deux ans si l'on peut compter un Siegfried de plus…
RM : Quel Siegfried serez-vous ? Plutôt Lauritz Melchior ou plutôt René Kollo ?
RR : Question difficile. Ma réponse se situe peut-être entre les deux : j'aimais beaucoup le Siegfried de Siegfried Jerusalem, plus lyrique qu'héroïque. J'espère à présent que le public va se précipiter à Bâle pour appréhender l'originalité de ce nouveau Ring dont le cycle complet sera donné en fin de saison.









excellent Siegfried à Bâle juin 2025
MERCI§ Jamais je n’ai été à ce point émue par la fin du 3ème acte de Siegfried!