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Munich. Nationaltheater. 1-XI-2024.
White Darkness. Chorégraphie : Nacho Duato. Musique : Karl Jenkins ; décor : Jaafar Chalabi ; costumes : Lourdes Frías. Avec Madison Young, Jakob Feyferlik.
Chasm. Chorégraphie : Andrew Skeels ; musique : Antoine Seychal ; costumes : Marija Djordjevic ; décors : Michel Ostaszewski.
Autodance. Chorégraphie : Sharon Eyal ; musique : Ori Lichtik ; costumes : Rebecca Hytting. Avec Elvina Ibraimova ; Carollina Bastos, Zhanna Gubanova ; Robin Strona, Severin Brunhuber.
Bayerisches Staatsballett ; musique enregistrée.
Un classique de Nacho Duato et une pièce un peu longue de Sharon Eyal entourent une création particulièrement peu subtile d'Andrew Skeels.
Il y a beaucoup de points communs entre les trois pièces de ce programme du Ballet de Bavière. Le premier est le bas niveau des choix musicaux des trois chorégraphes, très loin de l'importance accordée à la musique par Laurent Hilaire d'après ses propres dires – il est vrai que Andrew Skeels, le chorégraphe de la deuxième pièce, cite le blockbuster Dune de Denis Villeneuve comme source d'inspiration, et notamment sa musique signée Hans Zimmer ; même la soupe sentimentale de Karl Jenkins choisie par Nacho Duato paraît du Mozart en comparaison. Le second est le refus de la lumière, particulièrement net chez Skeels où on ne voit rien, un peu moins chez Duato qui joue le clair-obscur, ou chez Sharon Eyal où quelques lumens de plus n'auraient pas nui. Le troisième, et c'est celui qui a présidé à sa programmation, c'est le thème de la transe, de l'ivresse, des différentes formes de dépossession de soi et de perte de contrôle.
White Darkness, créé en 2001 à Madrid, est un des plus grands succès de Duato, qui l'a remonté souvent, y compris en 2006 et en 2009 au Ballet de l'Opéra de Paris. Duato s'y confronte à la douleur de la mort de sa sœur tuée par la drogue – un corps de ballet de 8 danseurs entoure un couple central, ici Madison Young et Jakob Feyferlik. Leur duo est véritablement touchant, même si leur interprétation manque un peu de cet engagement absolu qui peut rendre cette pièce vertigineuse.
Il n'aurait peut-être pas fallu lire l'interview d'Andrew Skeels dans le programme avant de voir sa pièce Chasm, tant le contexte de science fiction post-apocalyptique qu'il y dessine paraît primaire. Et quand il en vient à regretter que le rituel n'ait plus de place dans nos sociétés contemporaines (ce qui reste à démontrer), on ne peut pas s'empêcher de trouver ça franchement réactionnaire.
Mais la pièce est plus primaire encore que ce que les propos du chorégraphe semblent annoncer. Le Chasm, la déchirure du titre, c'est l'espoir que le monde clos qui emprisonne la petite communauté de survivants finira par s'ouvrir, que la lumière finira par y pénétrer ; quand cela advient enfin, ce qui se produit est tout sauf la libération attendue pour la plupart de ses membres. Les danseurs y font masse, avec leur gestuelle de primates pas si près que ça de l'humanité, sans visages, sans structure, sans personnalité : pourquoi s'intéresserait-on à eux ? La communauté face à la catastrophe, et le rite pour l'appréhender, ce n'est pas très original : on pense au Sacre de Pina Bausch, avec cette différence que le rituel y avait un sens, tandis qu'il n'est ici qu'une survivance sans grand intérêt ; on pense aussi à une pièce bien oubliée, Les familiers du labyrinthe de Michèle Noiret, créé sans grand succès à l'Opéra de Paris en 2005. Mais Skeels s'intéresse moins aux individus qu'aux images-choc, avec ces rampes de projecteurs qui occupent inutilement le regard, avec ces fumigènes qui ne signifient rien : une esthétique de concert rock à la Shechter qui ressemble à mille autres, pour une pièce indigente et interminable.
La dernière pièce de la soirée, celle de Sharon Eyal, partage avec la précédente encore un point commun : elle est essentiellement une pièce collective, mettant en valeur un collectif plutôt que des individus. Il y a certes deux duos et un solo, mais c'est un peu accessoire face à la force de l'ensemble. On aimerait pourtant voir un peu mieux ces danseurs. Par exemple Elvina Ibraimova fait bonne impression dans le solo, même si on aimerait bien la voir avec un peu plus de lumière… et cela même si, fort heureusement, l'atmosphère générale de la pièce est moins sinistre que la précédente.
Dès le lever du rideau, la verticalité de la danse, souvent sur demi-pointe, entraîne les danseurs comme malgré eux, comme l'indique le titre Autodance : créée en 2018, la pièce joue sur ce mouvement comme mécanique, comme si quelque chose à l'intérieur des danseurs les faisait se mouvoir seuls, sans intervention de leur volonté. La bande-son, (presque) constamment à 85 décibels, participe de cette prise de contrôle, pas plus subtile mais beaucoup moins vulgaire que celle de Chasm. Si le but du programme était de créer une cohérence de troupe en forçant les danseurs à travailler au plus près les uns des autres, à se fondre dans une pratique commune comme celle de la transe qui unit les pièces, la soirée est certainement réussie ; mais une troupe de danse a besoin aussi d'individualités, et ce n'est pas ce programme qui les fera émerger.
Photos : Nicholas MacKay (Duato), Wilfried Hösl (Skeels), S. Gherciu (Eyal)
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Munich. Nationaltheater. 1-XI-2024.
White Darkness. Chorégraphie : Nacho Duato. Musique : Karl Jenkins ; décor : Jaafar Chalabi ; costumes : Lourdes Frías. Avec Madison Young, Jakob Feyferlik.
Chasm. Chorégraphie : Andrew Skeels ; musique : Antoine Seychal ; costumes : Marija Djordjevic ; décors : Michel Ostaszewski.
Autodance. Chorégraphie : Sharon Eyal ; musique : Ori Lichtik ; costumes : Rebecca Hytting. Avec Elvina Ibraimova ; Carollina Bastos, Zhanna Gubanova ; Robin Strona, Severin Brunhuber.
Bayerisches Staatsballett ; musique enregistrée.