Les Mamelles de Tiresias à l’Opéra de Limoges : un opéra post #MeToo de 1947
Rares sont les occasions d'entendre Les Mamelles de Tiresias, opéra bouffe méconnu de Francis Poulenc, adapté d'une pièce surréaliste de Guillaume Apollinaire. Surréaliste peut-être pour l'époque serait-on tenté de dire tant le livret sonne étrangement d'actualité en 2025.
La transition de genre est aujourd'hui parfois sujet à polémique mais elle est d'actualité et une réalité de nos sociétés. Assister à la représentation d'un opéra-bouffe de 1947 évoquant l'histoire d'une femme qui veut se débarrasser de son rôle unique de procréatrice et donc devenir un homme (avec toutes les prérogatives de pouvoir qui vont avec) a de quoi surprendre. D'autant que, comme annoncé dans le prologue par le directeur de théâtre, il s'agit ici de réformer les mœurs et c'est finalement le mari qui accouchera des enfants ! Précédée par la diffusion d'un court-métrage hilarant (avec notre regard d'aujourd'hui) intitulé Good girl (production cinétévé en partenariat avec l'INA et raconté par Agnès Jaoui), la représentation opératique est magnifiquement éclairée par cette mise en perspective sur la place des femmes dans la société et le regard sur leur genre depuis la fin du XIXe siècle. On mesure alors le chemin parcouru et celui restant à faire avec humour et panache.
Avec panache en effet car la mise en scène proposée par le contre-ténor Théophile Alexandre ne manque pas d'élégance. L'esthétique de music-hall aux éléments de décors et de costumes symboliques sert d'écrin au texte surréaliste d'Apollinaire. L'on y retrouve le canapé-bouche de Dali, une cape de mamelles que la femme refile à l'homme, les jupes bananes de Joséphine Baker, des yeux suspendus… Il faut dire que la musique de Poulenc était une invitation à ce ballet grotesque et un peu « bordélique » (tant sur le visuel que les mots), alternant la fantaisie et les langueurs avec toujours en ligne de mire une réflexion sur les normes sociales. On rit beaucoup de la place des personnages, puis on s'interroge de ce rire et de ce qu'il recouvre. Telle est la force de ce livret et de cette musique où le pétillement et le lyrisme se succèdent, le tout accompagné d'une prosodie redoutable à assumer pour les chanteurs.
Le plateau s'amuse manifestement beaucoup avec cette vision. En Thérèse/Tiresias, Sheva Tehoval impressionne d'emblée comme elle l'avait fait sur cette même scène dans Le Voyage dans la lune. Soprano aux aigus stratosphériques et à la voix très agile, elle passe du lyrique au piquant sans aucune difficulté, sans oublier de mordre dans le texte pour apporter un supplément d'âme qui pourrait faire défaut avec la seule virtuosité. Peut-être encore plus séduisant encore est le baryton Jean-Christophe Lanièce qui interprète ici le mari. Le timbre est splendide et la ligne de chant souple et fluide confère beaucoup d'agilité et de nuances à cette interprétation qui allie comique de situation et élégance du style.
Le chœur très précis et le reste de la distribution partagent le même investissement scénique avec notamment le gendarme drolatique de Marc Scoffoni et le très bon duo Lacouf et Presto de Philippe Estèphe et Blaise Rantoanina.
À la tête de l'Orchestre de l'Opéra de Limoges, il faut souligner également la direction attentive et cohérente de Samuel Jean qui évite le piège de l'opéra « à numéros » que pourrait représenter cet opéra bouffe très singulier. Toujours fluide et soignée, elle rend justice à l'écriture musicale si particulière à Poulenc sans écraser le plateau. Une soirée réjouissante et éclairante !









