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Première Cinquième Symphonie de Mahler à Besançon

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Besançon. Théâtre Ledoux. 22-V-2025. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 5. Orchestre Victor Hugo, direction : Jean-François Verdier

Après une Première et une Quatrième de très haute tenue, entraîne son dans la Cinquième de Mahler.

Mahler 5, peut-on lire sur le programme. Comme un nom de code. Que tout le monde comprend aujourd'hui. Mais qui eût paru bien indéchiffrable en 1971, lorsque sortit le film Mort à Venise : qui eût cru alors qu'un cinéaste (Lucchino Visconti) allait faire autant pour un compositeur qu'un chef d'orchestre (Leonard Bernstein qui, depuis une dizaine d'années s'escrimait dans les studios de CBS), afin qu'advînt enfin, comme l'avait prédit le grand Gustav, le temps d'une musique dont le génie n'en finit pas depuis d'éblouir. Qui dit Mort à Venise, dit la Cinquième de Mahler, dont l'Adagietto n'était que la face émergée d'une symphonie infiniment plus retorse que les quatre qui l'avaient précédée. Si Mahler 1, Mahler 2, Mahler 3, Mahler 4 sont des chefs-d'œuvre d'un accès immédiat, il en va tout autrement de Mahler 5, dont moult années de fréquentation n'ont toujours pas épuisé la complexité.

Mahler 5 aurait dû être une symphonie en quatre mouvements sans cor anglais ni… harpe ! Est-ce à dire que le célébrissime Adagietto fut sorti du chapeau au dernier moment par le compositeur conscient que sans cette pièce, aujourd'hui emblématique de sa manière, la symphonie aurait été une noix par trop dure à craquer ? Cinq mouvements donc. Mais trois parties, tant les deux premiers mouvements, comme les deux derniers, semblent soudés l'un à l'autre, notamment par leur interpénétration thématique, le très long Scherzo central faisant vraiment diversion avec son oasis de Ländler et de Valses, ses pizzicati, son corno obligato, son fouet…

Le Théâtre Ledoux affiche complet pour cette première bisontine. Il faut dire que l'attente a été longue. Le festival de la vieille ville espagnole, bien qu'avec Aix-en-Provence un des plus plus vieux de France (1948), a programmé les symphonies de Mahler très tardivement : à ce jour, on a pu y entendre la Quatrième (mais dans la version chambriste d'Erwin Stein), la Résurrection et c'est tout ! La Cinquième semble ce soir avoir donné rendez-vous à toutes les générations. Mais un Adagietto de huit minutes ne faisant pas une soirée, d'aucuns s'alarment en amont du concert quant à la réception de la symphonie dans sa globalité. À tort bien sûr, comme ils s'en rendront compte à la fin du concert.

L'orchestre mahlérien est un orchestre de solistes. C'est à cette démonstration que les 84 instrumentistes de l' vont devoir s'atteler. Mission accomplie pour la trompette introductive de Florent Sauvageot sur la Trauermarsch. Mais aussi pour le cor merveilleux de Nicolas Marguet, âme du Scherzo au sein d'un sextuor si sollicité par Mahler que les interprètes sont parfois conviés par leur chef à jouer debout, pour la petite harmonie avec un trio de clarinettes capiteux, volubile et rieur, les cinq percussionnistes (une grosse caisse aux allures d'écrin pour tous), pour les six contrebasses en cinémascope, et bien sûr pour la harpe de Dorothée Cornec. Faisant mentir la réputation acoustique du Théâtre Ledoux, le son de la phalange ne serait rien sans la passion de pour le génie de cette musique, dont il saisit parfaitement chacun des passages les plus attendus et pas forcément les plus aisés à mettre en place, comme le baptême du feu que constitue la soudaine véhémence du Plötzlich schneller. Leidenschaftilch. Wild à cinq minutes du lancement de la Trauermarsch. Les impressionnantes sautes d'humeur du Stürmisch bewegt montrent un orchestre très réactif, des cordes idéalement échevelées, jusqu'à l'irruption orgasmique, retardée par un savant rubato, du sublime choral. Tout comme la Trauermarsch, prise dans un tempo retenu afin d'en inscrire au mieux dans la mémoire de l'auditeur les différents thèmes qui l'innervent, l'Adagietto est irréprochable, avec une conclusion des cordes graves particulièrement pénétrante. Son enchaînement au Rondo-finale ne produit cependant pas son plein effet, le chef s'accordant un instant de pause un peu plus long qu'il n'est coutume. Mais les choses sont reprises en main, le précieux dernier mouvement, un des deux finales vraiment riants de Mahler, déroulant à nouveau la fontaine de jouvence de ses sortilèges : une ode quasi enfantine (Le Knaben Wunderhorn y saute à la corde à chaque tourne de page, Mahler y joue à la fugue…) à l'énergie et à la joie de vivre, que couronne le retour du choral, une fois encore amené puis conduit avec toute la majesté possible.

On connaissait l'excellence à laquelle avait patiemment conduit une phalange née de la fusion en 2010 des deux orchestres de Besançon et Montbéliard. À l'audition de cette Symphonie n°5 suivie et acclamée par tous avec une intense ferveur, on songe déjà aux six symphonies de Mahler que Jean-François Verdier n'a pas encore dirigées.

Crédit photographique : © Mylène Haas

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Modifié le 3.6/2025 à 18h56

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Besançon. Théâtre Ledoux. 22-V-2025. Gustav Mahler (1860-1911) : Symphonie n° 5. Orchestre Victor Hugo, direction : Jean-François Verdier

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5 commentaires sur “Première Cinquième Symphonie de Mahler à Besançon”

  • Michel Faivre dit :

    petites précisions : J.F.Verdier a déjà dirigé à Besançon la 4ème dans la version originale, il y a 2 ou 3 ans, Le Chant de la Terre a été joué il y a bien longtemps par l’orchestre National dirigé par Georges Sébastian, la Symphonie Titan a aussi retenti à Besançon, conduite par Lorin Maazel, ainsi que les Rückert Lieder chantés par Michael Volle, et sans doute j’en oublie…

    • Resmusica dit :

      Bonjour, si j’avais bien précisé que JF Verdier avait déjà dirigé la quatrième, j’avais effectivement omis de préciser que mon papier ambitionnait de ne parler que des symphonies. Un mot manquait (symphonies) : grâce à votre lecture attentive, voilà qui est réparé.
      Quant à la Titan par Maazel, mahlerien sous-estimé, aucun souvenir. Enquête est en cours, à laquelle je vous convie volontiers.
      Cordialement, JL Clairet

  • Eric dit :

    La transcription de la 4ème de Mahler n’est pas de Schoenberg, mais d’un de ses élèves Erwin Stein…

  • michel Faivre dit :

    Maazel a dirigé l’Adagio de la n°10 avec le Pittsburgh SO (au palais des sports, de mauvais souvenirs pour beaucoup de chefs et de spectateurs) et pas la Titan – honte à moi – par contre la 5ème avait été donnée au même endroit avec la Philharmonie Hongroise et Aldo Ceccato et bien sûr la 2ème au Kursaal dirigée par Ivan Fischer, c’est peu c’est sûr, il faut aller à Dijon pour entendre Mahler, mais remercions JF Verdier pour son travail inlassable et de grande qualité

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