Martin Gester magnifie l’art des Chorals de Leipzig de Bach

« Dix-huit poèmes pour une île déserte » : c'est ainsi que Martin Gester qualifie ces chorals du Cantor de Leipzig, dont il nous offre sa vision très poétique, colorée par les jeux de l'orgue Thomas de Saint-Loup de Namur.

Dans les trois dernières années de sa vie, Johann Sebastian Bach travaille à un ensemble de Préludes et Fantaisies de Chorals pour livrer à la postérité ces dix-huit chorals, les plus élaborés de son œuvre d'orgue. Restés autographes, ils seront publiés en recueil après sa mort. Sorte de testament musical du Cantor, ils représentent une synthèse des différentes formes de chorals : ornés, figurés et en trio, à la manière des Sonates. Ils s'ouvrent et se referment par deux grandes paraphrases organo pleno invoquant l'Esprit Saint. Rajouté ultérieurement, le choral Von deinen Thron semble être la toute dernière oeuvre du Cantor, dictée quelques jours avant sa mort à son gendre Altnikol, émouvante prière de confiance du croyant. Martin Gester a choisi d'adjoindre à cet enregistrement les Variations canoniques sur le choral Vom Himmel Hoch, oeuvre de spéculation formelle écrite par Bach à la fin de sa vie pour son admission à la société savante Mitzler, dans la lignée de L'Offrande musicale et de L'Art de la fugue. Ces cinq variations en canon offrent un haut degré de complexité d'écriture qui n'empêche nullement un lyrisme propre à l'atmosphère de Noël.

Cet album marque le retour à l'orgue de Martin Gester, dix ans après l'enregistrement de la Clavierübung. Car celui qui dirige depuis trente-cinq ans le Parlement de Musique à Strasbourg est avant tout un organiste passionné. Il a choisi ici le grand orgue d'esthétique baroque allemande construit en 2023 par la Manufacture Thomas. Sa palette sonore très riche colore le caractère de chaque choral de façon bien différenciée : plenums brillants, anches volubiles, flûtes poétiques, toutes ces couleurs choisies en fonction des affects de la pièce font la principale qualité de cette interprétation, nourrie par une profonde connaissance de l'œuvre. Le cycle s'ouvre par une grande paraphrase du Veni Sancte Spiritus en forme de toccata, sur le plenum. Un des chorals ornés les plus émouvants, Schmücke dich O liebe Seele (« Pare-toi chère âme »), gagne encore en poésie grâce au tremblant de l'orgue. Les première variations sur O Lamm Gottes unschuldig (« Ô innocent Agneau de Dieu ») permettent d'apprécier la qualité des jeux de fond, qui préparent l'arrivée des anches douces. Un des plus beaux chorals du recueil est le célèbre Nun komm der Heiden Heiland (« Viens maintenant, Sauveur des païens ») avec sa mélodie richement ornée au soprano, qui se déroule en volutes infiniment expressives. Tout au long de ces deux disques, on ne peut qu'admirer l'écriture savante d'une polyphonie poussée à la perfection, à laquelle la sensibilité de l'interprète offre de grandes qualités poétiques.