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Un nouveau Don Giovanni à Munich : Vladimir Jurowski en vrai chef de troupe

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Munich. Nationaltheater. 6-VII-2025. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) : Don Giovanni, dramma giocoso en deux actes sur un livret de Lorenzo da Ponte. Mise en scène : David Hermann ; décors : Jo Schramm ; costumes : Sibylle Wallum. Avec : Konstantin Krimmel (Don Giovanni), Christof Fischesser (Il Commendatore), Vera-Lotte Boecker (Donna Anna), Giovanni Sala (Don Ottavio), Samantha Hankey (Donna Elvira), Kyle Ketelsen (Leporello), Avery Amereau (Zerlina), Michael Mofidian (Masetto). Chœur de l’Opéra national de Bavière ; Bayerisches Staatsorchester, direction : Vladimir Jurowski

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La mise en scène passe-partout de tend à éteindre la flamme, mais un orchestre en grande forme et une belle distribution homogène compensent l'absence de théâtre.

On ne peut pas dire que Don Giovanni soit vraiment au cœur du répertoire à l'Opéra de Munich. La production précédente, qui était l'œuvre de Stefan Kimmig et n'allait pas franchement au fond des choses, avait été exploitée de 2009 à 2019, pour 36 représentations sans faste particulier, et on aura donc attendu six ans pour lui donner un successeur. Le choix de confier cette nouvelle mise en scène à est en soi parlant : ce n'est certes pas de lui qu'on attendra de grandes révélations sur les œuvres qu'il met en scène, et il s'agissait sans doute pour l'intendant Serge Dorny de produire un spectacle capable de rester longtemps au répertoire – non sans un budget conséquent.

Hermann construit son spectacle à partir d'une petite idée originale, consistant à mettre en scène Proserpine et Pluton : on se souvient que dans la scène finale les personnages subsistants envoient Don Giovanni séjourner auprès de ce couple mythologique. Hermann imagine donc que Proserpine, qui passe dans la mythologie la moitié de l'année aux enfers avec Pluton qui l'a enlevée et l'autre moitié avec sa mère Cérès, choisit pendant cette saison terrestre de se glisser dans le corps de Don Giovanni. Il faut de longs surtitres pendant l'ouverture pour expliquer tout cela, mais l'apport de cette réinvention par le mythe reste imperceptible pendant la plus grande partie de l'opéra. Le trouble de genre et la volonté d'une lecture féministe que Hermann associe à son point de départ restent tout aussi discrets pendant la soirée. Cela a suffi pour lui assurer quelques huées le soir de la première, mais le contrat est rempli : une lecture fluide mais banale, un décor impressionnant aux transformations vaines, tout ce qu'il faut pour un spectacle de répertoire sans éclat.

C'était déjà un peu le cas des deux étapes précédentes du cycle Mozart-Da Ponte entrepris par Serge Dorny (Le Nozze di Figaro par Evgeny Titov et Così fan tutte par Benedict Andrews). Cette fois cependant, la musique vient compenser ce que la scène ne peut apporter, dans la fosse tout autant que par les voix. Le meilleur compliment qu'on puisse faire ici est de dire à quel point on sent tout au long de la représentation un travail d'équipe qui transcende les contributions individuelles. réussit ici ce qu'il n'avait pas su faire dans Così, une sorte de fusion entre grand geste mozartien traditionnel et apport des baroqueux : cela s'entend notamment par la mise en avant des vents, non pas seulement dans leurs solos dialoguant avec le reste de l'orchestre, mais aussi comme porteurs du discours musical à égalité avec les cordes. Comme toujours, ce vrai chef de théâtre sait mettre en valeur les voix, sans pour autant réduire l'orchestre à un simple rôle d'accompagnement. Il y a cette fois beaucoup à admirer dans le travail du son et dans la conduite de l'orchestre, vive et dramatique quand il le faut, mais aussi capable de prendre le temps et de laisser se déployer l'émotion. L'orchestre de l'Opéra de Bavière rappelle que, même s'il n'a pas eu souvent l'occasion de le montrer ces dernières années, il est toujours au rendez-vous dans ce répertoire quand il est dirigé avec un véritable esprit mozartien. Les prédécesseurs, Kent Nagano (qui avait dirigé la première du spectacle de Kimmig) comme Kirill Petrenko, n'avaient pas connu de grandes réussites mozartiennes à Munich ; on se réjouit donc que cette fois la réussite soit au rendez-vous.

Pour la distribution, c'est la qualité d'ensemble qui frappe beaucoup plus que les prestations individuelles ; seul , Don Ottavio qui passe trop souvent en force (mais n'a que son air pragois, fort heureusement), ne satisfait pas pleinement. , qui avait chanté Figaro puis Guglielmo dans les étapes précédentes de la trilogie, fait ici ses débuts en libertin puni, avec une droiture et une élégance qui vont de pair avec une probité stylistique de tous les instants – quand on pense qu'au même moment le festival d'Aix affiche Andrè Schuen dans le même rôle, on se dit que les jérémiades qu'on ne cesse d'entendre sur le déclin irrémédiable du chant ne sont décidément que des vieilles lunes sans substance, d'autant que Krimmel trouve en un Leporello à sa hauteur. Les trois dames de la soirée sont à la hauteur : notre préférence va à Vera-Lotte Boecker en Donna Anna, avec une intensité expressive qui ne tombe jamais dans la crispation comme souvent dans ce rôle, mais (Zerlina) et surtout en Elvira  ne déméritent pas. On aurait seulement aimé un peu plus d'humour chez l'une comme chez l'autre, mais il est vrai que le contexte ne les aide pas à aller dans cette direction. Les deux autres rôles masculins, honorablement chantés, sont eux aussi victimes de la mise en scène qui ne semble pas trop savoir que faire de leur personnage, que ce soit le Commandeur de ou le Masetto de .

Crédits photographiques : © Geoffroy Scheid

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