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Giulio Cesare à Salzbourg, le meilleur du théâtre musical

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Salzbourg. Haus für Mozart. 6-VIII-2025. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Giulio Cesare in Egitto, opéra sur un livret de Giacomo Francesco Bussani adapté par Nicola Francesco Haym. Mise en scène et décor : Dmitri Tcherniakov ; costumes : Elena Zaytseva. Avec Christophe Dumaux (Giulio Cesare), Olga Kulchynska (Cleopatra), Lucile Richardot (Cornelia), Federico Fiorio (Sesto), Yuriy Mynenko (Tolomeo), Andrey Zhilikhovsky (Achilla), Jake Ingbar (Nireno), Robert Raso (Curio). Le Concert d’Astrée ; direction : Emmanuelle Haïm.

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Distribution parfaite, direction efficace, mise en scène pleine de vie à défaut d'une véritable interprétation : Salzbourg réussit rarement un spectacle d'opéra de ce niveau.

Avis de tempête au : les prix n'ont pas augmenté cette année, la programmation n'a pas changé d'orientation artistique, mais les places d'opéra peinent à se vendre, aucune représentation d'aucun opéra au programme n'affiche complet, alors que les concerts, eux, n'enregistrent pas cette baisse de fréquentation. Le festival, certes, réagit en adaptant ses tarifs : certaines places sont vendues en dessous du tiers de leur prix, y compris pour ce Giulio Cesare, non sans succès, mais sans parvenir à écouler tous les billets pour autant. Les très hauts tarifs de Salzbourg sont bien sûr une explication à cette désaffection, mais pourquoi brusquement cette année ?

Ce spectacle précis, en tout cas, ne justifie nullement que le public se détourne de lui, et on aurait attendu au moins un effet de bouche à oreille une fois la première passée. Certes, la mise en scène de n'est pas du goût de tout le monde, mais la très haute qualité musicale de la soirée, elle, n'est pas contestable.

Et si la réussite musicale est incontestable, Tcherniakov n'y est pas pour rien. Le travail de construction des personnages qu'il a accompli avec les chanteurs ne donne pas seulement de la vie théâtrale, il les aide aussi à insuffler de la vie dans leur chant, à aller au-delà des notes pour donner à chaque phrase une nécessité théâtrale et émotionnelle : voilà du vrai théâtre musical, au bénéfice de la partition mais bien au-delà des notes imprimées, ce qui manquait tant dans le Mitridate vu deux jours plus tôt.

En choisissant de placer tous les personnages au fond d'un bunker, Tcherniakov crée une promiscuité qui les contraint à d'incessantes frictions. Trois compartiments, celui tout à gauche plutôt réservé à César, celui de droite dominé par Tolomeo, et celui du centre pour les rencontres entre ces univers. L'efficacité dramatique est certaine, et Tcherniakov sait raconter une histoire ; ce qui nous manque un peu, c'est le sens qu'il veut lui donner, une interprétation de cette histoire de pouvoir et de sentiments. Ceux qui ne connaissent pas cet opéra trouveront là une bonne exposition de ce qui en fait la force, ceux qui le connaissent déjà n'y découvriront rien de très neuf.

Mais tout de même, quel plaisir de suivre ce spectacle si bien construit, si professionnellement préparé ! Tant de metteurs en scène habitués à ce répertoire échouent à donner vie aux airs à da capo, tombant au choix dans le statisme ou (pire encore) dans la suragitation ; Tcherniakov, qui n'avait jamais mis en scène Haendel ou quelque opéra baroque que ce soit, semble ne même pas voir le problème et maintient un même niveau d'intensité théâtrale.

Mais tous ces efforts ne seraient naturellement rien sans des chanteurs à la hauteur de ce sommet de la production dramatique haendelienne. On ne l'écrit pas tous les jours : voilà une distribution où il est impossible de trouver un point faible. n'en est certes pas l'élément fort, mais son Tolomeo insidieux et cruel s'appuie sur une voix solide et bien conduite (et son homme de main, , n'est pas en reste).

, : un vrai couple impérial

a un vrai soprano qui donne à son Sesto une fluidité très juvénile ; même si sa voix n'a pas un volume énorme, il compense par la projection et sa maîtrise des difficultés techniques n'est jamais prise en défaut. Et c'est à lui que Tcherniakov offre le plus beau moment théâtral : à l'approche du dénouement, quand les ennemis de son père sont défaits, Tcherniakov lui offre un stupéfiant moment dansé. Danse de joie, danse de folie ? Peu importe ; ce moment est un bel exemple de la manière dont Tcherniakov sait donner vie aux personnages par le corps des acteurs. C'est toute la soirée, à vrai dire, qui marque par cette évidence physique des personnages, mais ce moment-ci reste particulièrement en mémoire après la représentation. Sa voix ne pourrait être plus différente de celle de Cornelia : le bouleversant duo qui clôt le premier acte ne joue donc pas sur la fusion des timbres, mais sur la complémentarité de deux personnages très différents. Avec , Cornelia n'est pas une héroïne tragique gravée dans le marbre : sa voix sombre a quelque chose d'une blessure ouverte. On se passerait bien de la scène juste avant l'entracte où Tcherniakov indique une passion incestueuse pour son fils, vraie faute de goût dans ce spectacle par ailleurs si bien construit, mais on a rarement vu Cornelia si vivante, si actrice de l'histoire.

Comme il se doit, c'est pourtant Cléopâtre qui fait tourner toutes les têtes : est aussi brillante dans son jeu que dans son chant, et ce n'est pas peu dire. Son dernier air de déploration est poignant, ses railleries contre Tolomeo sont mordantes (Non disperar, chi sa?) ; si elle ne va pas aussi loin dans l'humour que ce que le rôle permet, c'est le fait de la mise en scène, mais Tcherniakov montre ainsi Cléopâtre comme une femme d'action plutôt que comme une simple intrigante. Cela va de pair avec une vision de Cesare plus humaine qu'héroïque, parfaitement en ligne avec les forces du chant de : il ne démérite pas dans les passages les plus héroïques du rôle, mais sa force est plutôt dans les moments les plus émouvants, les plus élégiaques, sans s'effrayer pourtant devant les parties plus virtuoses du rôle.

Il n'est pas difficile d'entendre dans toutes ces performances individuelles un véritable travail d'équipe, et l'expérience haendelienne d' n'y est certainement pas pour rien. D'autres chefs savent donner un peu plus d'ampleur à l'orchestre, souligner le galbe des phrases pour sculpter le volume sonore ; son travail a du moins le mérite de favoriser les chanteurs et de ne jamais laisser la tension dramatique retomber. Et naturellement, si on admire la qualité individuelle des solistes de l'orchestre, elle n'y est pas non plus pour rien.

Crédits photographiques © SF/Monika Rittershaus

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Salzbourg. Haus für Mozart. 6-VIII-2025. Georg Friedrich Haendel (1685-1759) : Giulio Cesare in Egitto, opéra sur un livret de Giacomo Francesco Bussani adapté par Nicola Francesco Haym. Mise en scène et décor : Dmitri Tcherniakov ; costumes : Elena Zaytseva. Avec Christophe Dumaux (Giulio Cesare), Olga Kulchynska (Cleopatra), Lucile Richardot (Cornelia), Federico Fiorio (Sesto), Yuriy Mynenko (Tolomeo), Andrey Zhilikhovsky (Achilla), Jake Ingbar (Nireno), Robert Raso (Curio). Le Concert d’Astrée ; direction : Emmanuelle Haïm.

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2 commentaires sur “Giulio Cesare à Salzbourg, le meilleur du théâtre musical”

  • Resmusica dit :

    « Benoit » fait référence à la mise en scène des Dialogues des Carmélites montée à Munich par Dmitri Tcherniakov et à la question de la possibilité d’éditer en DVD cette mise en scène. En définitive, la Cour d’appel de Versailles a rendu un jugement favorable au metteur en scène Dmitri Tcherniakov et BelAir Classiques. Voir : https://www.radiofrance.fr/francemusique/la-justice-tranche-en-faveur-de-tcherniakov-dans-l-affaire-des-dialogues-des-carmelites-9309650

    Par « voler l’argent public », notre lecteur ne fait pas référence à un détournement d’argent public pénalement poursuivi, mais à une utilisation d’argent public qui lui parait si mal placée qu’elle constituerait en définitive une forme de vol.

    Il nous paraît important que notre lecteur puisse s’exprimer son opinion subjective, en rappelant les faits pour les lecteurs intéressés.

  • Benoit dit :

    A quand une nation qui arrête tte de protéger et caser les hauts fonctionnaires qui ont dupé et volé le système?!
    Voilà une personne qui a déjà été condamnee, II a volé l’argent public et à qui on donne un salaire , une fonction sans que cela ne choque personne !

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