Sweeney Todd à Strasbourg : avec Kosky et Dessay, un barbier de qualité
Avec une distribution soignée dont Natalie Dessay en tête d'affiche, une direction musicale convaincue, l'Orchestre philharmonique de Strasbourg en fosse et Barrie Kosky à la mise en scène, l'Opéra national du Rhin a déroulé le tapis rouge pour accueillir Sweeney Todd de Stephen Sondheim.
Créé à Broadway en 1979, Sweeney Todd est considéré outre-atlantique comme un chef-d'œuvre de la comédie musicale. Il ne connaît pas encore en France la même renommée en dépit du film sorti en 2008 qu'en a tiré Tim Burton. Après sa création française au Châtelet en 2011 seulement, la compagnie La Clé des Chants en a proposé dès 2014 une autre version au Château d'Hardelot reprise ensuite à Reims, Calais et Toulon. Le directeur général de l'Opéra national du Rhin Alain Perroux connaît en revanche bien cette œuvre dont il a assuré la mise en scène pour l'opéra de poche de Genève en 2008. Il a donc eu l'excellente idée de faire venir à Strasbourg puis Mulhouse la production de 2024 du Komische Oper de Berlin dans la mise en scène de Barrie Kosky, poursuivant ainsi cette collaboration et un cycle consacré au musical après les remarquables Un Violon sur le toit et West Side Story.
Le synopsis a de quoi déconcerter. Injustement condamné à l'exil par un juge corrompu qui s'est accaparé sa femme Lucy et sa fille Johanna, le barbier Benjamin Barker revient sous le faux nom de Sweeney Todd à Londres en 1824 pour se venger. Pris d'une folie meurtrière et d'une aversion pour le genre humain, il en vient à égorger ses clients, dont sa voisine et secrètement éprise Mrs Lovett farcit ses tourtes et relance ainsi avec succès son commerce déclinant. On oscille en permanence entre tragique, macabre gothique, suspense, horreur, gore voire grand guignol (Mrs Lovett finit grillée par Sweeney Todd dans son four, telle la sorcière de Hänsel und Gretel) mais aussi humour noir, satire sociale, franc comique (le personnage d'Adolfo Pirelli) et même romance avec l'amour naissant entre Johanna et Anthony, les seuls peut-être à trouver la rédemption dans cette histoire qui finit forcément fort mal pour tous.

Pour assurer cette succession d'ambiances, Barrie Kosky choisit à nouveau l'épure et une apparente simplicité qui cache néanmoins un métier solide et une réflexion profonde et aboutie. Pas de reconstitution historique, comme à la création à Broadway, du Londres victorien de Charles Dickens mais une transposition dans l'East End des années 1930 à 1950. Le décor de Katrin Lea Tag occupe le plateau nu, orné seulement d'un cadre coloré très XIXe siècle, par des photographies en noir et blanc évocatrices d'un univers urbain industriel et déshumanisé et par la boutique de Mrs Lovett et son four au rez-de-chaussée surmontée du salon de Sweeney Todd et son fauteuil de barbier, une trappe assurant commodément le passage des cadavres entre les deux. Tous ces éléments bougent, les multiples tableaux se suivent avec une magique fluidité, rehaussés par les splendides lumières d'Olaf Freese. Tant Christopher Bond, auteur de la pièce de théâtre initiale, que Stephen Sondheim, son librettiste Hugh Wheeler et son premier metteur en scène Harold Prince ont intégré dans cette histoire une critique des dérives du capitalisme industriel. Barrie Kosky préfère creuser la psychologie des personnages avec une direction d'acteur très précise et fouillée, parfaitement juste et lisible et impeccablement retransmise à Strasbourg par Martha Jurowski.
Stephen Sondheim a qualifié son ouvrage d'opérette sombre (dark operetta). Sa partition ambitieuse dépasse ce cadre. La musique préémine puisque 80 % du texte est chanté ou soutenu par l'orchestre. L'orchestration de Jonathan Tunick est inhabituellement fournie, incluant harmonium et même un orgue dont les accords massifs assurent l'ouverture. L'usage de leitmotive, le recours à des formes classiques comme la « Ballade de Sweeney Todd » qui charge le chœur à l'antique d'ouvrir et conclure le spectacle tendent eux aussi vers l'opéra. La complexité rythmique, qui se calque sur le débit naturel du langage, se montre elle aussi d'une énorme exigence pour les chanteurs et les instrumentistes.

À des personnages monstrueux, il faut des interprètes à la hauteur. La distribution de l'Opéra national du Rhin réunit des chanteurs rompus au style du musical et d'autres plus connus dans le domaine lyrique. Ce n'est d'évidence plus le cas de Natalie Dessay qui poursuit avec succès son évolution choisie vers le théâtre et la comédie musicale. Après Gypsy de Jule Styne, la voici en Mrs Lovett, un rôle qu'elle rêvait d'aborder. Avec un énorme trou entre un aigu désormais plus ténu et un registre grave gouailleur et sonore, alternant accent cockney bien travaillé et sonorités plus françaises, elle impressionne par l'aisance du texte pourtant difficile, sa précision en particulier rythmique, ses dons innés de comédienne, son plaisir communicatif à jouer. D'emblée mémorable, sa Mrs Lovett sait comme nulle autre s'attirer attention et faveurs du public, tour à tour irrésistiblement drôle, inquiétante ou émouvante dans son espérance d'un avenir meilleur (le très beau « By the Sea »). Né au Texas, Scott Hendricks en Sweeney Todd n'a bien sûr aucune difficulté d'idiomatisme. De sa voix riche et bien timbrée à l'aigu sonore, cet habitué des rôles sombres (Scarpia, Macbeth, Iago ou Alberich entre autres) en traduit toute la complexité, passant avec justesse de la rancœur (« The Barber and his Wife ») à la violence (l'halluciné « Epiphany ») et à la démence.
Plus légères, les voix de Marie Oppert et Noah Harrison se marient idéalement, elle toute de candeur et de fraîcheur en Johanna (rêveur « Green Finch and Linnet Bird » d'entrée), lui parfait de fougue amoureuse et de jeunesse en Anthony. Jasmine Roy bouleverse en Mendiante nymphomane à l'esprit dérangé tandis que Zachary Altman apporte au Juge Turpin son physique inquiétant et la noirceur de son timbre. Mention spéciale au très touchant Tobias de Cormac Diamond, sorte d'innocent à la Boris Godounov, aussi convaincant dans sa naïveté juvénile initiale que dans la folie qui finit par l'emporter. En Adolfo Pirelli, Paul Curievici campe une impayable caricature de ténor italien à l'extrême aigu toutefois tendu. Glenn Cunningham en Bedeau Bamford et Dominique Burns en Mr Fogg viennent compléter cette distribution de parfaite tenue. Tour à tour commentateur du drame ou pensionnaire d'un asile d'aliénés, le Chœur de l'Opéra national du Rhin est à nouveau d'une qualité et d'une présence scénique irréprochables.

Dans le programme, le chef et compositeur Bassem Akiki se livre à une analyse approfondie et éclairante de la partition. Il connaît en effet bien Sweeney Todd qu'il a déjà dirigé à La Monnaie de Bruxelles. Avec énergie et minutie, il obtient un parfait synchronisme de l'orchestre et du plateau et soigne les gradations dynamiques dans un tempo bien allant. L'Orchestre philharmonique de Strasbourg y répond avec une précision, une souplesse et une variété de timbres remarquables.
Après cette belle réussite fêtée par un public nombreux, on attend avec impatience le prochain musical proposé par l'Opéra national du Rhin. Ce sera en juin 2026 Follies toujours de Stephen Sondheim, toujours avec Natalie Dessay mais cette fois dans une toute nouvelle mise en scène de Laurent Pelly.










With memories of the Cariou / Lansbury / Prince production as my touchstone — yes, I saw it in New York ; yes, I’m THAT OLD — I can only agree with the reviewer : Lovely and Sondheim / Wheeler – faithful job, at least on opening night, although . . . hmmm. No real « although » worth mentioning, but I did rather miss Judge Turpin’s black cap ! Amazing how Mme Dessay has mastered English (can one be quite sure that she has not spoken it from youth ? ) ; amazing how much time Zachary Altman must have spent in the gym ; kudos to all. From Hungary with admiration —