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Une Walkyrie pour les voix à l’Opéra de Paris

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Paris. Opéra Bastille. 18-XI-2025. Richard Wagner (1813-1883) : Die Walküre, première Journée de Der Ring des Nibelungen, opéra en 3 actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Calixto Bieito. Décors : Rebecca Ringst. Costumes : Ingo Krügler. Lumières : Michael Bauer. Vidéos : Sarah Derendinger. Dramaturgie : Bettina Auer. Avec : Stanislas de Barbeyrac, Siegmund ; James Rutherford, Wotan ; Günther Groissböck, Hunding ; Elza van den Heever, Sieglinde ; Tamara Wilson, Brünnhilde ; Ève-Maud Hubeaux, Fricka ; Louise Foor, Gerhilde ; Laura Wilde, Ortlinde ; Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Waltraute ; Katharina Magiera, Schwertleite ; Jessica Faselt, Helmwige ; Ida Aldrian, Siegrune ; Marvic Monreal, Grimgerde ; Marie-Luise Dreßen, Rossweisse. Chœur de l’Opéra national de l’Opéra de Paris. Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Pablo Heras-Casado

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Neuf mois après Rheingold, Die Walküre prolonge le Ring de Paris prévu pour s'achever avec deux cycles complets en novembre 2026. Mais si la distribution enflamme parfois cette première journée, la fosse alterne entre énergie et doute dans une proposition globale de de moins en moins passionnante.

Pour la mise en scène du Prologue L'Or du Rhin en février dernier, nous avions tenté de justifier et de trouver des explications au concept futuriste dans lequel plaçait l'action. Mais avec à nouveau un univers dystopique par un parallèle au film Brazil, on semble définitivement se trouver face à un metteur en scène assagi, aujourd'hui inoffensif par ses propos.

Loin de ses productions de Parsifal à Stuttgart ou d'un Tannhaüser exceptionnel vu à plusieurs reprises, ce Ring offre un monde déshumanisé dans lequel l'humain tente encore de s'intégrer comme il le peut. La sauvagerie tirée du comportement des dieux est donc partout, de même que l'atmosphère irrespirable, puisque hommes et femmes doivent porter des masques à gaz ou bouteilles d'oxygènes pour survivre à l'extérieur. À l'ouverture de rideau, le grand mur métallique fait son effet, de même que Siegmund, en grand imperméable de protection et masque, d'abord invisible, recroquevillé. Puis le premier acte s'écoule sans accroc, les longs duos et trios ne nécessitant qu'une pièce pour fonctionner. Pour autant, avait-on encore besoin dans cet univers d'un Hunding en costume de nazi, jusqu'à la moustache quand il se rhabille ?

À l'opposé des propositions du metteur en scène il y a encore cinq ans, cette production s'essouffle totalement à partir du deuxième acte, d'où rien ne ressort, ni force ni message ou potentiel parallèle avec le monde que notre société est en train de créer. Au plus simple, les images font souvent référence au film de Terry Gilliam, avec un univers d'armoires de bureau encadrées de tuyaux, remplies de classeurs. L'absurde est également présent par le chien-robot E-doggy juste décoratif d'Evotech (copieusement hué par une partie du public lorsqu'il arrive seul en scène au début de l'acte III), ce jusqu'au ridicule quand Brünnhilde arrive avec entre les jambes une tête de cheval en jouet. Mais si l'intégration dans ce décor (Rebecca Ringst) n'est pas pour nous rebuter, en plus avec une utilisation des vidéos (Sarah Derendinger) plutôt très moderne, c'est bien la dramaturgie de la partenaire de longue date de Bieito (Bettina Auer) qui pose le plus problème. Souvent trop appuyés, les gestes sont toujours caricaturaux et aucun échange n'est rendu de façon vraiment efficace. Par exemple, après avoir cassé Notung, Wotan se sert de la partie haute de l'épée pour tuer Siegmund, plutôt que de sa lance. Pourquoi pas, mais la scène manque de force, malgré sur le moment une fosse bien échauffée.

Nous verrons où s'achève cette proposition avec les deux dernières journées, mais en attendant, il reste à profiter d'une distribution de haute volée. Toujours absent pour cette quatrième soirée, Iain Paterson (lui-même initialement remplaçant de Tézier) laisse cette fois sa place à en Wotan, car Christopher Maltman présent pour les trois premières n'est plus disponible. À son habitude, le baryton britannique offre une diction précise, mais avec un accent, et si la prestation globale est bonne, sa projection reste limitée dans la grande salle de Bastille, surtout à la scène finale. Sur les traces de Michael Spyres, se montre encore meilleur que lors de sa prise de rôle scénique de Siegmund à Londres en mars dernier. Il possède la vaillance, les couleurs et la jeunesse du héros et propose une prestation de très haut niveau. Face à lui, semblerait mieux convenir à Brünnhilde et manque de l'étincelant aigu possédé ce soir par . Mais si cela limite sa sensualité pour Sieglinde dans la scène d'amour du I, la puissance de la voix permet un très bon acte II et un remarquable départ à l'acte III.

Passionnante dès son arrivée avec des étincelles dans la voix dès les premières trilles, est à compter parmi les meilleures Brünnhilde du moment. Pleine de vaillance elle aussi, elle le reste jusqu'à la dernière scène, pourtant ternie par la fosse et la proposition scénique. Pour Hunding, caricature le jeu du méchant, sans doute comme cela lui a-t-il été demandé, mais le timbre et la présence de la voix donnent une très bonne profondeur au personnage. En bien plus sensuelle, retrouve la flamme scénique qu'elle avait offerte à Fricka dans Rheingold, mais dans cette seconde partition, elle semble se battre entre les registres et séduit surtout quand elle est parfaitement placée dans le médium. Des Walkyries, très en place pour la chevauchée mais impossibles à identifier physiquement sous leurs combinaisons, on remarque l'aigu brillant mais encore un peu trop travaillé de l'Helmwige de Jessica Faselt sur les « Ohjotoho » du début, puis un peu après la Waltraute pleine de gravité de .

Plus à l'aise que dans le Prologue, débute par une magnifique ouverture puis tient avec légèreté mais tension l' pendant une dizaine de minutes. Ensuite, il alterne souvent entre passages peu soutenus et moments ravivés, avec un ensemble qui bien qu'habitué à l'œuvre depuis Jordan, semble vraiment fatiguer en dernière partie. Parfois intéressant, le chef espagnol, qui sera dans la fosse de Bayreuth pour le Ring en 2028, semble encore apprendre son Wagner à Paris, car bien loin de certaines de ses interprétations symphoniques pour d'autres compositeurs, il n'y apporte encore aucune personnalité avec sa direction. Voyons ce qu'il adviendra de Siegfried en janvier !

Crédits photographiques : La Walkyrie 25-26 © Herwig Prammer – OnP

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Paris. Opéra Bastille. 18-XI-2025. Richard Wagner (1813-1883) : Die Walküre, première Journée de Der Ring des Nibelungen, opéra en 3 actes sur un livret du compositeur. Mise en scène : Calixto Bieito. Décors : Rebecca Ringst. Costumes : Ingo Krügler. Lumières : Michael Bauer. Vidéos : Sarah Derendinger. Dramaturgie : Bettina Auer. Avec : Stanislas de Barbeyrac, Siegmund ; James Rutherford, Wotan ; Günther Groissböck, Hunding ; Elza van den Heever, Sieglinde ; Tamara Wilson, Brünnhilde ; Ève-Maud Hubeaux, Fricka ; Louise Foor, Gerhilde ; Laura Wilde, Ortlinde ; Marie-Andrée Bouchard-Lesieur, Waltraute ; Katharina Magiera, Schwertleite ; Jessica Faselt, Helmwige ; Ida Aldrian, Siegrune ; Marvic Monreal, Grimgerde ; Marie-Luise Dreßen, Rossweisse. Chœur de l’Opéra national de l’Opéra de Paris. Orchestre de l’Opéra national de Paris, direction musicale : Pablo Heras-Casado

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