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A Genève, le Chœur sauve Macbeth et sa Lady

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Genève. Grand Théâtre. 13-VI-2012. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Macbeth, opéra en 4 actes sur un livret de Francesco Maria Piave et Andrea Maffei. Mise en scène : Christof Loy. Décors : Jonas Dahlberg. Costumes : Ursula Rezenbrink. Lumières : Bernd Purkrabek. Chorégraphie : Thomas Wilhelm. Avec Jennifer Larmore, Lady Macbeth ; Natalia Gavrilan, Dame de Lady Macbeth ; Davide Damiani, Macbeth ; Andrea Caré, Macduff ; Christian Van Horn, Banquo ; Emilio Pons, Malcolm ; Quentin Rychner, Fleanzio ; Christophe Balissat, Duncan. Chœur du Grand Théâtre de Genève (direction : Ching-Lien Wu), Orchestre de la Suisse Romande, direction : Ingo Metzmacher

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Devant le rideau fermé, occupant toute l'ouverture de scène, le Chœur du Grand Théâtre de Genève chante « Patria oppressa ! » Vêtu de costumes noirs, personnages blafards, la mine triste, son chant s'élève avec une solennité, une intensité dramatique, un ressenti d'authenticité qui donne le frisson.

Alors, Macduff comme pour les remercier d'avoir si bien compris la tristesse du moment, entame un sensible « O figli, o figli miei ! » avant un vibrant « Ah la paterna mano », ultime hommage à ses enfants assassinés. Instant magique. La musique de Verdi jaillissant de ces voix, superbement relayées par un s'étendant comme une mer aux flots calmés par la musicalité inspirée du chef , offre un temps suspendu, un moment de grâce. Quand les dernières harmoniques de l'orchestre se seront envolées, quand les ultimes frémissements de musique auront disparus, le public attendra de longues secondes avant de pouvoir exprimer son admiration.

On l'aura compris, le Chœur du Grand Théâtre est l'interprète le plus probant de cette production du Macbeth de . Dès son entrée en scène, il frappe l'imagination quand, accentuant les stridences, la nasalité vocale, il dépeint les sorcières d'une couleur insolite, accentuant ainsi le caractère intemporel et impalpable de ces personnages imaginaires. De la voix, ils sont encore plus crédibles qu'à travers leurs costumes de majordomes ou de soubrettes. Ce travail minutieux, intelligent, longuement préparé trouve sa juste récompense dans le triomphe que lui réservera le public au tombé du rideau final en dépit de la discrétion de , sa directrice, qu'on a encore oublié d'amener sur le devant de la scène au moment des saluts !

Un travail minutieux et longuement préparé qui semble avoir déserté le baryton (Macbeth) dont les approximations vocales, les libertés prises avec la partition mettent les oreilles sensibles au martyr. Des difficultés vocales remarquées principalement quand le baryton chante forte, difficultés déjà mises en évidence en 2004 lors d'un Rigoletto bernois. Elles font mesurer combien son manque de souffle, le porte rapidement aux limites de ses moyens vocaux. Comme dans son air final « Perfidi ! All angolo contro me v'unite ! » qu'il termine péniblement, la voix totalement cassée et détimbrée.

Quant au rôle de Lady Macbeth, on ne comprend pas par quelle intuition subite d'une part, le Grand Théâtre de Genève a décidé d'engager pour interpréter ce personnage dramatique et d'autre part, poussé la mezzo américaine à accepter de se confronter à un rôle qui la dépasse vocalement comme scéniquement. Mystère ! Jusqu'ici majoritairement axés dans le chant baroque, rossinien et belcantiste, ses succès, son métier auraient voulu qu'elle s'en satisfasse et s'éloigne du chant d'un compositeur avec lequel elle n'a aucune affinité vocale. Ainsi sa prestation révèle l'évidence d'une erreur de choix. Certes, sa prestation est valeureuse, cependant, à aucun moment elle ne donne l'impression d'avoir la dimension théâtrale tragique du personnage, ni l'étoffe vocale nécessaire à la dramaticité du rôle. Les vocalises qu'elle offre n'ont rien de verdien. En ajoutant à cela un évident manque de puissance, comme celui des notes aigües (comme le contre-ré bémol de la fin de son air « Una macchia ») le tableau de sa prestation musicale est à oublier.

A leurs côtés, la beauté de la voix de basse de Christian van Horn (Banco) offre un véritable baume de bonheur vocal. Tout comme le ténor (Macduff) dont certains aigus ne sont pas sans rappeler le son de ceux de son illustre professeur. Luciano Pavarotti. A signaler aussi, la prestation de la soprano moldave (Dame de Lady Macbeth) dont la voix émerge des ensembles avec une clarté et une puissance qui auraient certainement fait d'elle la Lady Macbeth de cette production.

Dans la fosse, l' s'affirme comme un accompagnateur rêvé offrant une musique admirable même lorsque, par volonté de servir les chanteurs, le chef allemand modère le volume de son ensemble pour ne pas couvrir la voix de . Cette retenue a pourtant l'inconvénient de rendre les pages de Verdi un peu ternes par rapport à l'expression tragique de cette partition.

Le metteur en scène revient à Genève avec une vision certainement plus en rapport avec les goûts du public genevois que ceux qu'il avait montrés lors de ces précédents spectacles sur la scène du Grand Théâtre (Les Vêpres Siciliennes et La Donna del Lago). Racontant le livret sans autre artifice qu'une transposition, peut-être inutile, il livre une image sans compromis du drame shakespearien dans un univers de la fin du 19e siècle. Le décor monumental () rappelle la noirceur des films américains des années quarante, avec un grand escalier comme une référence à Citizen Kane d'Orson Wells (1941) et des jeux d'ombres noires et grises inspirés de Rebecca d'Alfred Hitchcock (1940),.

Maniant mieux les foules que les individus (les brusques concentrations du chœur d'un angle de la scène à l'autre sont magnifiques autant qu'impressionnants), s'appuie sur ces masses en mouvement pour mieux immobiliser les individus pris dans leurs tourments et leurs peurs. Difficile pourtant de compter sur l'adresse scénique d'une trop occupée à chanter plutôt qu'à incarner ce personnage en contradiction totale avec la personnalité profonde de la chanteuse. Seul moment « particulier » de cette mise en scène, les ballets parodiques de l'histoire de Macbeth imaginés par le chorégraphe Thomas Wilhelm dont les mouvements de danse sont plus intéressants que ce qu'il tente de raconter.

Cet ultime spectacle de saison genevoise, comme celui de l'ouverture confirme le problème récurrent de ce théâtre, à savoir le choix des chanteurs dans les opéras de langue italienne. Alors que le monde du théâtre lyrique ne manque pas de voix « italiennes », et que l'opéra « italien » ne vit qu'à travers son italianité, on comprend difficilement que, tant dans  Andrea Chénier que dans cette dernière production, le Grand Théâtre de Genève continue à faire d'aussi inadéquats et aventureux choix vocaux.

Crédit photographique : (Dame de Lady Macbeth), Jennifer Larmore (Lady Macbeth) ; (Malcolm), Andrea Caré (Macduff) © GTG/Monika Rittershaus.

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Genève. Grand Théâtre. 13-VI-2012. Giuseppe Verdi (1813-1901) : Macbeth, opéra en 4 actes sur un livret de Francesco Maria Piave et Andrea Maffei. Mise en scène : Christof Loy. Décors : Jonas Dahlberg. Costumes : Ursula Rezenbrink. Lumières : Bernd Purkrabek. Chorégraphie : Thomas Wilhelm. Avec Jennifer Larmore, Lady Macbeth ; Natalia Gavrilan, Dame de Lady Macbeth ; Davide Damiani, Macbeth ; Andrea Caré, Macduff ; Christian Van Horn, Banquo ; Emilio Pons, Malcolm ; Quentin Rychner, Fleanzio ; Christophe Balissat, Duncan. Chœur du Grand Théâtre de Genève (direction : Ching-Lien Wu), Orchestre de la Suisse Romande, direction : Ingo Metzmacher

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