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Klangforum Wien à l’affiche de Manifeste

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Paris. Festival Manifeste. Centre Pompidou, Grande salle. 20-VI-2014. Aurélien Dumont (né en 1980): Abîme, Apogée pour ensemble et électronique; Franck Bedrossian (né en 1971): Epigram I et II sur des poèmes d’Emily Dickinson pour soprano et ensemble; Pasquale Corrado (né en 1979): Grain pour grand ensemble; Vito Žuraj (né en 1979): Fired-up pour grand ensemble; Georg Friedrich Haas (né en 1953): Introduktion et Transsonation pour 17 instruments et matériau audio extrait d’expérimentations sonores enregistrées de Giacinto Scelsi. Donatienne Michel-Dansac, soprano; Klangforum Wien; direction Emilio Pomarico.

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Aurelien_Dumont_4Le festival accueillait dans la Grande salle du Centre Pompidou le prestigieux ensemble dirigé ce soir par l'éminent Emilio Pomarico. Le programme pléthorique faisait une large place à la génération émergente des compositeurs d'aujourd'hui. Il s'agissait en effet de réunir trois jeunes lauréats (parmi les six sélectionnés) du concours San Fedele de Milan – jusque là réservé aux plasticiens – qui lançait en 2010 une première édition dédiée à la création musicale. Le concours se déroulait en trois ans. Chaque année, les compositeurs devaient écrire une nouvelle pièce qui était, ou non, sélectionnée pour la suite du parcours. Les six compositeurs en lice de l'année 2013 étaient embarqués dans un projet commun intitulé Unirsi al cielo, Cosmologie chinoise et Hildegarde von Bingen auquel s'associait , s'engageant à jouer les six oeuvres à l'issue du concours. L'idée d'Antonio Pileggi, personnalité à l'origine du projet, était de faire réfléchir les musiciens à la problématique d'une « dramatisation » du concert.

Les trois oeuvres entendues ce soir, celle du Français , de l'Italien et du Slovène s'intéressaient donc à la cosmologie chinoise et à ses cinq éléments… auxquels s'ajoute « l'homme » consacrant le tout. C'est cette dernière thématique, échue à , qui traverse sa pièce Abîme Apogée, un titre/oxymore faisant référence au dynamisme des contraires qui s'opposent et se complètent, dans la cosmogonie chinoise.

L'oeuvre incluant l'électronique (elle s'inscrit aussi dans le cadre du Cursus II de l') doit normalement clore le cycle; elle était entendue ce soir en ouverture de concert. Débutant « dal niente », elle nous immerge progressivement dans un univers sonore étrange et onirique, laissant émerger au centre de l'oeuvre les voix d'un choeur virtuel portant le texte poétique de Dominique Quélen. Les textures sonores d'une grande sophistication jouent sur l'intégration très fusionnelle de l'électronique et le ressort de nombreux modes de jeu (sur les cordes et dans celles du piano notamment) créant une matière fine et insaisissable qui nourrit une vision poétique très singulière.

ne révèle pas, dans sa notice de programme, l'élément (peut-être la Terre) qui impulse son élan créateur dans Grain, pièce qu'il définit comme « une célébration du rythme de la vie scandée par une pulsation ». L'écriture extrêmement virtuose et de qualité très plastique fourmille de trouvailles sonores et de trajectoires originales que l'ensemble instrumental réalise avec une richesse acoustique étonnante. Corrado y injecte une énergie rythmique et une vitalité explosive qui allient séduction et combinatoire formelle.

Tout aussi aventureux, sinon convainquant, se concentre sur le Feu et le concept de friction dans Fired-up. Il exploite le matériau naturel des galets que les instrumentistes frottent et entrechoquent au début et à la fin de l'oeuvre et qui restent tout du long la signature timbrale de la pièce. D'une facture plus improbable mais d'une grande richesse sonore, l'écriture donne à entendre des sonorités insolites comme celle de la sanza et déploie toute une ingénierie de modes de jeu, aux cordes et à la percussion notamment, pour agir, par l'action des processus, sur une matière en continuelle mutation.

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Au centre de la soirée, le au sommet de son art, et superbement conduit par Emilio Pomarico, donnait la création française très attendue d'Epigram I et II  (2010-2014) de , une pièce pour soprano et ensemble dédiée (Epigram I) à la soprano Donatienne Michel-Dansac, soliste de la soirée, et commandée (Epigram II) par Françoise et Jean-Philippe Billarant, mécènes attentifs et voués très activement à la création d'aujourd'hui.

s'approprie les textes de la poétesse américaine Emily Dickinson (1830-1886) pour élaborer une oeuvre puissante où les thèmes de la solitude, de la quête d'identité et de la disparition, qui traversent le corpus de l'écrivaine, constituent le fil rouge de la grande forme. Epigram I et II (26′) constituent d'ailleurs un work in progress qui doit aboutir in fine à une oeuvre somme de six mouvements, d'une durée totale de quarante minutes.

Travaillant sur des textes poétiques très concentrés, qui lui « laissent la place » de s'exprimer, Bedrossian met à l'oeuvre l'énergie du geste et du son pour forger une matière très éruptive, avec la richesse de toutes ses composantes et une certaine violence dans la manière de l'articuler. L'écoute est littéralement happée par les sollicitations sonores et la force cohésive de l'écriture instrumentale restituée avec une virtuosité confondante par le Klangforum Wien. On en oublierait presque la partie vocale, défendue pourtant avec beaucoup d'investissement par Donatienne Michel-Dansac dont la voix, souvent mise à mal par l'activité volcanique de l'ensemble, flotte au-dessus du socle instrumental qui menace toujours de l'absorber; même si cette fragilité participe très certainement de la dramaturgie, on regrette un peu que la veine poétique, à travers les mots du texte, ne nous parvienne pas davantage. Ajoutons cependant que l'équilibre des forces en présence était optimisé par le recours à une légère amplification de la voix; elle est ici exploitée par dans tous ses registres, parlé, chanté, vocalisé voire théâtralisé, une dimension dont s'acquitte Donatienne Michel-Dansac avec beaucoup d'expressivité et de panache.

Le concert se terminait sans chef, Emilio Pomarico quittant le devant de la scène au milieu de la pièce de , pour laisser les instrumentistes jouer seuls avec support audio et écrans de contrôle… Le compositeur autrichien nous étonnait une fois de plus avec Introduktion und Transsonation, une pièce qui s'inscrit dans un projet collectif, initié par le Klangforum Wien et intitulé « Scelsi Revisited »: huit compositeurs sont invités à écrire une pièce à partir de diverses documentations sonores expérimentales du compositeur romain ; ce dernier avait l'habitude d'improviser/composer sur un ondiola (un des premiers générateurs de sons apparu à la fin du XIXème siècle) une musique dont aucune notation écrite ne pourrait véritablement rendre compte. C'est donc à partir de cette musique « de support », prêtée par la fondation Isabella Scelsi et diffusée pendant le concert, que Haas, passionné par les composantes du spectre harmonique et la microtonalité, va tenter un « transfert (sonore), dûment écrit, de la pensée de Scelsi. Les dix premières minutes, dirigées, font naître de longues trames sonores, aux couleurs moirées, qui se stratifient, l'écriture jouant sur les variations du spectre harmonique et la fusion des timbres: du Scelsi en technicolor, somptueusement restitué par l'ensemble instrumental; le départ du chef modifiait les éclairages, en demi-teintes cette fois, et instaurait une atmosphère méditative et intérieure, sans doute celle de Scelsi lorsqu'il entreprenait de sonder la force cosmique du son.

Crédits photographiques : © N. Bouils; Klangforum Wien © Lukas Beck

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