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Edgar Moreau, jeune génération française du violoncelle

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Prix du jeune soliste au concours Rostropovitch en 2009, deuxième prix du concours Tchaïkovski en 2011, révélation instrumentale de l'Adami en 2012lauréat de la fondation Banque Populaire en 2015, deux Victoires de la musique classique en 2013 et 2015 en tant que révélation puis soliste instrumental de l'année : à seulement 23 ans, est devenu en quelques saisons l'un des violoncellistes les plus en vue de sa génération.

53n0Y95D« Ce qui me frappe depuis que j'ai commencé ce métier à 17 ans, c'est que vous vous enrichissez tout le temps. Il n'y a pas une semaine que je passe sans que j'en sorte grandi et plus riche. »

ResMusica : Lorsqu'on évoque votre parcours, on pense souvent à cette jolie histoire, le jour où vous avez découvert le violoncelle. Pouvez-vous nous la raconter ?

: A la base, mes parents n'étaient pas forcément musiciens ni même très mélomanes. Mon père avait fait un peu de guitare électrique et ma mère du piano pendant un an mais il n'y avait pas de traditions familiales basées sur la musique. Mon père était antiquaire. Quand j'avais 3 ans et demi, j'étais avec lui à Drouot, dans le quartier d'antiquités à Paris. Nous sommes entrés dans une boutique et une petite fille prenait un cours de violoncelle dans la cave. Cela a été vraiment un coup de foudre ! En voyant ma mine sidérée, mon père a pris le numéro de téléphone de ce monsieur qui a été par la suite mon professeur durant 5 ans. Une rencontre par le plus grand des hasards. Dès ce moment- là, la passion pour la musique et pour cet instrument ne m'a pas lâché. Vu que j'adorais la musique, mes parents m'avaient emmené écouter des cours de piano et de violon et j'aurais dit : « ah, non, moi c'est le violoncelle ! » J'étais resté sur cette idée de l'instrument. Un an plus tard, je savais que je voulais en faire mon métier. Ce fut tout de suite évident.

RM : Quelques années plus tard, vous étudiez également le piano…

EM : J'ai fait du piano pendant dix ans. A sept ans, je me suis levé un matin et au petit déjeuner, j'ai dit à mes parents : « je veux faire du piano ! » Ils m'ont alors inscrit au conservatoire. Avec le recul, je me rends compte à quel point cet apprentissage-là a été très important pour moi. Quand on joue d'un instrument à cordes qui est mélodique, on ne développe pas naturellement une oreille harmonique. On peut le faire par d'autres moyens comme par l'écriture mais, si on ne travaille que le violoncelle, on va avoir du mal à avoir une approche très complète de la musique et à comprendre tout le spectre musical. Même très jeune, je sentais que j'avais besoin de quelque chose de plus complet et que le piano me ferait du bien. Mais je n'ai jamais commencé cet instrument en me disant que je voulais être pianiste.

RM : Est-ce que c'était cette dimension polyphonique et l'écriture verticale qui vous attiraient ?

EM : Exactement. A l'époque, je ne mettais pas de mots aussi précis. Aujourd'hui, j'ai un peu de recul et je me rends compte qu'il s'agissait de cela, c'était plus une histoire de complément. C'était pour moi une sorte de logique naturelle des choses.

RM : Le fait de pratiquer ces deux instruments, est-ce que cela peut influencer votre jeu aujourd'hui, notamment en musique de chambre si on pense au rôle de l'écoute ?

EM : Je le pense. L'écoute, en général, est une des choses essentielles. Elle est très importante que ce soit en musique de chambre, avec l'orchestre, le chef et les autres musiciens autour de nous. Toute la base harmonique, tout ce qu'on apprend au piano devient presque instinctif au fur et à mesure qu'on pratique cet instrument. Parallèlement, très jeune, j'ai beaucoup fait d'harmonie et d'écriture au clavier. C'est une chance car plus on le fait jeune, plus cela reste en nous, des automatismes se créent. Aujourd'hui, même si je ne suis pas très vieux, j'ai des années d'expérience et de la maturité. Je m'étonne moi-même d'avoir eu envie si jeune de « savoir », là où beaucoup de jeunes ont envie de jouer aux jeux vidéos ou au football- ce qui peut être aussi très agréable. Je ne le regrette pas aujourd'hui même si cela parait incongru d'avoir eu envie de perfectionner tout mon savoir et ma connaissance en terme de musique.

RM : Parfois, quand on regarde les générations éloignées d'une même famille, on s'aperçoit qu'il y a eu des ancêtres qui étaient également spécialisés dans un même domaine.

EM : C'est assez drôle car j'ai appris il y a quatre ans que mon grand oncle était Béla Bartók. Il faisait partie de ma famille du côté de mon arrière-grand-mère. Je ne sais pas si c'était du côté par alliance. Je ne me suis pas renseigné car c'est une histoire compliquée : cela se passait au moment de la guerre et il faudrait faire des recherches généalogiques.

RM : Revenons à votre parcours. Après avoir eu votre bac à 15 ans, vous débutez une carrière de soliste. Vous souvenez- vous de votre première expérience sur scène ?

EM : Si on parle des auditions de classe, j'avais 4 ans. Je me souviens de mon premier vrai engagement où j'étais invité. C'était à 11 ans avec l'. C'était le concerto de Dvořák dans une salle comble. Cette œuvre, c'est un peu l'Everest pour tout violoncelliste. On a tous entendu les enregistrements de Du Pré, de Rostropovitch… Je m'en souviens comme si c'était hier. Cela fait partie de ces étapes où je me suis dit que c'était ce que je voulais faire.

« Je pars du principe que quand on aime quelque chose et qu'on le fait avec passion et avec sérieux, on a le droit de le faire. »

RM : Quand on regarde votre répertoire, on est frappé par son éclectisme. Une volonté d'être présent sur toutes les époques ?

EM : Exactement ! J'ai fait mon premier album avec des pièces de différents genres, des petites pièces de bis allant de l'Ave Maria de Schubert à l'Humoresque de Rostropovitch. J'ai également enregistré un deuxième disque de musique baroque qui n'a absolument rien à voir avec le premier. Je joue de la musique française comme du Debussy et je fais aussi de la musique contemporaine comme du Escaich.

Je pars du principe que quand on aime quelque chose et qu'on le fait avec passion et avec sérieux, on a le droit de le faire. Je me suis posé la question de la légitimité quand j'ai fait par exemple ce disque baroque. Face à des gens qui dédient leur vie à ce style et font des années de recherche pour reproduire les ornements dans les moindres détails, est-ce que moi, un très jeune violoncelliste qui n'a pas cette expérience, je peux m'attaquer à cela ?
Très vite, je me suis dit que j'avais envie de m'exprimer dans cette musique. Je sentais que j'avais quelque chose à dire. L'interprétation, pour moi, est quelque chose de très personnel. On est le messager d'une œuvre et d'un compositeur mais on l'est avec sa propre patte, ses propres couleurs. Il y a une part de nous-même. C'est pour cela qu'il y a des différences si on écoute un Quatuor de Beethoven dans la version de Maurizio Pollini, de ou de Radu Lupu. Pour tout type de musique, on ne doit pas se mettre de barrières. C'est pareil avec , Adrien La Marca ou Guillaume Chilemme. On a créé ce Quatuor à cordes pour s'attaquer justement à ce répertoire qui est réservé à des quartettistes qui font un travail incroyable. Mais pourquoi si nous aussi, nous avons envie de jouer ces pages, on n'aurait pas le droit de le faire ?

Avec tout le respect que j'ai pour les gens qui se spécialisent, je pense que ce n'est pas du tout le même travail. Pour mon disque baroque, j'ai travaillé avec un orchestre « baroque» qui m'a beaucoup appris sur tous les « codes » de ce répertoire. Ils m'ont dit que je leur avais apporté une certaine fraîcheur qu'ils avaient perdue parce qu'ils sont tellement dans le travail des fac-similés, des manuscrits, qu'ils en oublient parfois l'instinct. C'était l'occasion d'apporter quelque chose de nouveau. Dans tout type de répertoire, je suis ouvert quand la musique me plaît.

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RM : A quel moment est-ce que cela devient pour vous une nécessité de jouer une œuvre en public?

EM : Lorsque je sens que c'est le moment de le faire ! Jouer une œuvre et la graver sont deux choses différentes. Par exemple, les suites de Bach : je les joue, mais peu. Je sais que je ne suis pas encore « prêt » pour les jouer beaucoup. J'interprète des extraits lors de certains concerts particuliers, une fois, deux fois par an ; mais si demain on me demande de les enregistrer, je sais que je ne le ferai pas. Je sens que ce n'est pas encore le moment. Pour les sonates de Brahms, je commence à avoir beaucoup plus envie de les jouer et à m'y sentir vraiment à l'aise alors qu'il y a quelques années, c'était un répertoire qui ne m'attirait pas forcément. J'ai 5 ans d'expérience mais j'ai quand même déjà constaté une évolution de mon répertoire en fonction de ce que j'ai envie de faire. Notre vie artistique est longue, on a le temps de dire les choses.

RM : Est-ce qu'une rencontre musicale va donner envier de monter un projet ?

EM : Les rencontres sont très importantes dans ce métier. Je parlais tout à l'heure du projet « baroque », il n'aurait peut-être pas eu lieu si je n'avais pas rencontré cet orchestre qui m'a motivé. Dans le projet « Quatuor », c'était la rencontre avec qui m'a dit : « mais allons-y ! Pourquoi on aurait peur de se mesurer aux grands quatuors ? » Nous pouvons justement apporter quelque chose d'autre, avec quatre personnalités différentes qui se retrouvent. Cela peut être par hasard, ou alors des rencontres qui sont provoquées mais qui font naître des projets artistiques intéressants.

RM : Comme ce concept de concert « frères et sœurs » qu'on a retrouvé encore cette année au festival de Pâques.

EM : Effectivement. C'est un concept magnifique : jouer avec des membres de votre famille, c'est particulier. Il y a forcément plus de complicité avec ma sœur parce qu'on a grandi ensemble et qu'on a fait de la musique ensemble depuis toujours. C'est assez étrange et c'est difficile d'expliquer ce qu'on ressent. Il y a quelque chose en plus, c'est sûr. Il y a une inspiration mutuelle et un respect aussi. Une compréhension de l'autre qui est forcément forte. C'est rare d'avoir autant de fratries sur scène comme lors du festival de Pâques.

RM : Khatia Buniatishvili a récemment dit que sa sœur Gvantsa la surprenait toujours sur scène, que ce soit dans des aspects du jeu ou par sa spontanéité, alors qu'elles se connaissent par cœur !

EM : On est toujours étonné par les gens qu'on connaît le plus. Peut -être qu'on pense inconsciemment, à tort, qu'on connaît tout d'eux parce qu'on les côtoie au quotidien. Forcément, sur scène, il y a ces moments uniques d'étonnement, et cela de façon réciproque. Le fait que ce soit notre sœur ou notre frère, cela nous étonne encore plus !

RM : Est-ce que les projets originaux, notamment ceux qui sortent des sentiers battus, occupent une place aussi importante dans votre agenda que les concerts plus « classiques » ?

EM : Je fais plein de choses différentes. L'année dernière, au festival Metis de musiques du monde, j'ai joué avec Fatoumata Diawara, une artiste malienne. J'ai participé à Violon sur le Sable aussi. J'ai joué avec Vianney, un chanteur de variétés, avec Yaron Herman, pianiste de jazz, à l'Olympia. Je ne suis pas fermé seulement au monde de la musique classique. Une de nos missions aussi en tant que jeune artiste est de perpétuer cette musique qui est extraordinaire, avec un répertoire incroyable. On doit aussi s'adapter à la société : on doit aller chercher des publics. On ne peut pas reprocher aux gens de ne pas se cultiver alors qu'ils n'ont pas toujours accès à la musique classique. Il faut aussi se poser les bonnes questions et se demander pourquoi ils n'y ont pas accès : quelles idées reçues la musique classique peut avoir ? Elle souffre de son côté élitiste. Je discute avec des jeunes qui ne viennent pas de ce milieu et quand je leur dis de venir au concert, ils me répondent « mais, tu es fou, moi je n'ai pas 300 euros pour une place de concert ! » Les gens imaginent que c'est très cher… Comme tout domaine d'excellence, elle a ses codes, bien différents de la variété et de la musique pop qui sont très accessibles : on écoute à moitié, on boit de la bière, on discute et on va fumer une cigarette.

« Dans une société qui va profondément mal, je suis persuadé que le monde va fondamentalement changer dans les prochains 30, 40 ans et que la culture sera le point de ralliement. »

RM : Si on pense à une série de concerts qui s'inscrit dans cette vision-là, pouvez-vous nous raconter votre participation au Sucre à Lyon, dans le cadre de Shake your Classics ?

EM : Shake Your Classics, c'était cela : des gens qui écoutaient de la musique classique en buvant leur bière. C'était incroyable à voir et j'ai été frappé par exemple par le silence. J'étais un peu angoissé avant ce concert car je m'étais dit que le concept était compliqué. Au final, j'ai joué du Bach dans un club électro et les gens étaient absorbés. Je suis resté pendant la soirée, il y avait un set électro après: les mêmes personnes en train d'écouter du Bach pendant 40 minutes avec un silence religieux étaient en train de danser sur de la techno minimale hardcore une demi-heure après ! Cela montre qu'il n'y a pas de barrières et qu'on peut tout écouter.

Parfois, il faut avoir l'humilité en tant qu'artiste de se dire qu'on va aller provoquer ces rencontres. C'est notre devoir par rapport à ces génies qui ont écrit des pages incroyables de la musique et de faire en sorte qu'elle va continuer d'être écoutée, d'être aimée, mais on va aussi s'adapter à l'époque. En tout cas, on va la proposer de façon différente et trouver des raccourcis en allant parfois prendre les auditeurs par la main, en la démocratisant et en s'exposant aux yeux du grand public. Les gens seront forcément intéressés et accèderont par votre biais à ces grands hommes de l'Histoire. Dans une société qui va profondément mal, je suis persuadé que le monde va fondamentalement changer dans les prochains 30, 40 ans et que la culture sera le point de ralliement. Elle permettra aux gens de se nourrir et d'avoir presque une raison de vivre.

RM : Récemment, vous avez été invité à la Philharmonie par pour jouer le trio de Chostakovitch avec . Est-ce que cela fait partie de moments clefs dans votre parcours ?

EM : En sortant de scène, Martha nous a regardés et nous a dit « c'était spécial ! » C'est vrai que c'était un moment fort. Il y a des moments comme ça dans la carrière qui marquent et qui sont intenses. Martha est un génie, une personne extrêmement inspirante. Mais il y a aussi le côté transgénérationnel. Ce qui était beau dans ce trio, c'était qu'il y avait un jeune violoncelliste, un violoniste confirmé et une « maman » du piano et que cela ne s'entendait pas. La musique pour moi n'a pas d'âge, c'est une alchimie. Ce sont des rencontres, parfois cela marche, parfois non.

Si je devais choisir un moment clef, ce moment de musique de chambre était particulièrement incroyable. Je pense aussi à des rencontres magnifiques avec Valeri Guerguiev, Tugan Sokhiev : des chefs avec qui j'adore travailler. Je vais également bientôt travailler avec Gustavo Dudamel que je n'ai jamais rencontré mais que j'adore. J'ai hâte car j'ai joué avec ses deux orchestres mais jamais avec lui. C'est l'un des plus grands chefs du monde qui inculque une forme d'énergie, de grandeur et de bienveillance aux musiciens avec lesquels il travaille. Je pourrais vous parler aussi d'András Schiff avec qui j'ai joué. Il y a tellement de personnes dans ce métier qui vous apportent : c'est de la richesse permanente. C'est en cela que c'est un métier magnifique. Bien sûr, c'est difficile : il y a énormément de voyages, de stress et d'angoisse. Les gens ne se rendent pas compte de l'envers du décor. Mais ce qui me frappe depuis que j'ai commencé ce métier à 17 ans, c'est que vous vous enrichissez tout le temps. Il n'y a pas une semaine que je passe sans que j'en sorte grandi et plus riche au sens fort du mot.

RM : Vous avez déjà enregistré deux disques, quels seront vos prochains projets discographiques ?

EM : A l'automne, je vais sortir une intégrale Debussy avec Bertrand Chamayou et Renaud Capuçon. Quelques mois plus tard, il y aura un autre disque de musique française avec David Kadouch qui se composera des sonates de Franck, Poulenc et Strohl. J'ai également un projet d'enregistrement de Gulda et d'Offenbach. Puis, dans le futur, les concertos romantiques…

Crédits photographiques : Portraits 1 et 3 © Radio France/Julien Mignot – Portrait 2 © Matt Dine

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